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Budget de l’État

Loi de finances pour 2022 - partie 1

Nous voici réunis pour l’examen du dernier projet de loi de finances de cette législature, à l’heure d’établir le bilan d’une politique économique qui, durant cinq ans, aura favorisé les nantis et les entreprises, détérioré le pouvoir d’achat des ménages populaires, laissé sombrer dans la pauvreté des centaines de milliers de nos concitoyens et négligé la bifurcation écologique.

L’autosatisfaction qui inspire les propos du ministre, du ministre délégué et du rapporteur général, les Français, dans leur grande majorité, ne la comprennent pas. D’après un récent sondage, 58 % d’entre eux ne s’estiment pas satisfaits de la politique économique menée depuis cinq ans. Bien entendu, beaucoup n’entendent pas votre discours concernant la baisse des impôts et le pouvoir d’achat : il faut dire que ces fameuses réductions d’impôts n’ont pas bénéficié à tout le monde de la même manière – j’y reviendrai – et que, dans le même temps, vous n’avez rien fait pour contrer la hausse des principales dépenses des Français, comme le logement et l’énergie. À terme, les classes populaires et moyennes ne s’y retrouvent pas.

Ce qui nous marque le plus, toutefois, c’est l’accroissement des inégalités, dont vous semblez n’avoir que faire, et ces trop nombreux Français qui tombent dans la pauvreté. Le million de pauvres supplémentaire qui découle de la crise sanitaire est souvent cité, mais il existe des chiffres plus précis : par exemple, les départements affirment que leurs dépenses de RSA ont augmenté de 9,5 % en 2020 – une trajectoire engagée avant la crise, puisque le taux de pauvreté avait atteint 14,6 %, soit le niveau de 1979. Derrière ces données abstraites, il y a des femmes et des hommes à qui vous avez commencé, à peine arrivés au pouvoir, par retirer 5 euros d’APL, avant de les abandonner, au cœur de la crise sanitaire, en refusant d’augmenter le RSA ou de l’étendre aux moins de 25 ans.

À l’autre bout de la chaîne, au contraire, une petite élite peut s’estimer très satisfaite de votre politique, car c’est pour elle que vous gouvernez depuis maintenant cinq ans. En même temps que l’APL, vous réduisiez les prélèvements obligatoires, avant de réformer la fiscalité du capital : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’ exit tax , création de la flat tax , c’est-à-dire plafonnement des impôts sur les revenus du capital, soit au moins 4 milliards d’euros de cadeaux annuels. Comme le rappelait fort justement un article publié en septembre par l’INSEE, ces réformes ont encore largement enrichi les 5 % les plus riches de la population, grâce à la baisse de la fiscalité mais aussi et surtout à la forte augmentation des dividendes. Nous voici loin de la réalité du Français moyen, à qui vous prétendez avoir rendu 25 milliards d’impôts.

Ces politiques n’ont pas eu d’effet sur l’investissement : c’était là un fait prévu, confirmé par les études que le Gouvernement a commandées à France Stratégie, et qui concluent à l’impossibilité d’établir un lien entre les réformes de la fiscalité du capital et un accroissement des investissements ou des créations d’emploi. Affirmer le contraire, comme vous le faites régulièrement, relève donc de la fable. La baisse des prélèvements obligatoires s’inscrit dans une logique particulièrement empreinte d’idéologie, consistant à réduire non seulement les impôts des plus riches, mais aussi la place de l’État dans l’économie. En cinq ans de réformes, ce sont 50 milliards qui manqueront chaque année au budget de l’État : 25 milliards du côté des ménages, dont la moitié pour les plus riches ; et 25 autres milliards du côté des entreprises, essentiellement les plus grandes, lesquelles ont davantage profité de la baisse des impôts de production et de celle du taux supérieur de l’IS.

Associée à un classique chantage à la dette publique, la baisse des recettes fiscales constitue le meilleur moyen de justifier la réduction des dépenses sociales. La réforme de l’assurance chômage, celle, avortée, des retraites, guidées par l’unique objectif de faire des économies aux dépens d’un système prétendument déficitaire, en sont les exemples les plus probants.

Il vous faut réduire la fameuse « part », qui n’en est pas une, des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques dans le PIB : c’est là votre boussole, l’alpha et l’oméga de votre politique. Pourtant, une société sans impôts n’existe pas, à moins de devenir une société du tous contre tous où les plus faibles restent sur le bord de la route. Nous l’avons constaté lors de la crise sanitaire. On pourra bien sûr louer les mesures de soutien aux entreprises : celui-ci était essentiel, même s’il aurait dû être davantage ciblé et conditionné. Cependant, alors que vous déployiez des moyens pharaoniques pour préserver le tissu économique, les travailleurs précaires et les étudiants ont été laissés de côté.

Afin de répondre à leurs attentes, vous aviez promis d’inscrire dans le projet de loi de finances un grand revenu d’engagement. À l’heure où je vous parle, rien de tel ne figure dans le texte. Nous restons suspendus aux décisions verticales du Président de la République – cependant que Les Échos , toujours mieux informés que les parlementaires, annoncent un dispositif rabougri de 500 millions d’euros, contre 1 à 2 milliards attendus. Après le « quoi qu’il en coûte », déjà le retour au dogmatisme budgétaire ?

Tout cela porte à croire que vous anticipez la baisse drastique des dépenses publiques prévue dans le cadre du programme de stabilité, puisque, je le répète, celle-ci constitue la contrepartie – aux dépens des plus pauvres – de vos réductions d’impôts au profit des plus riches. Comme d’habitude, vous proposez donc d’économiser sur la santé, sur le logement ; sur l’assurance chômage, donc sur le dos des chômeurs ; sur l’APL, donc au détriment des familles et des étudiants ; enfin sur des services publics de proximité qui n’ont déjà plus les moyens d’accomplir correctement leur mission, ainsi qu’il ressort de la grande consultation lancée par le collectif « Nos services publics » ou du rapport de Jean-Paul Dufrègne et Jean-Paul Mattei. Je ne surprendrai personne en affirmant que nous ne partageons pas votre vision de la société.

Un État fort est un État capable d’agir, grâce à des marges budgétaires importantes issues des recettes fiscales. Or, alors même que vous réduisez leur imposition, les plus riches continuent inlassablement de se dérober à celle-ci : après les Panama papers , les Pandora papers viennent de braquer une nouvelle fois les projecteurs sur cet argent soustrait aux caisses de l’État, en l’occurrence sur 11 300 milliards de dollars – un peu moins que le PIB de l’Union européenne – d’actifs disséminés dans le monde afin d’échapper à la taxation. Devant l’Assemblée, le ministre délégué, Olivier Dussopt, avait réagi vigoureusement, promettant des vérifications. Le ministre Bruno Le Maire est passé aux actes : rencontrant à Bruxelles ses homologues européen, il a donné son accord pour que les Seychelles soient retirées de la liste des paradis fiscaux !

Si ceux qui sont censés les traquer agissent de la sorte, les criminels financiers ont encore de beaux jours devant eux. Les solutions sont pourtant claires : plus de moyens pour les contrôles, plus de contrôleurs, l’imposition à la source des sociétés sur la base de la part de leur chiffre d’affaires réalisé en France, la création de la notion d’établissement stable pour les entreprises du numérique. Nous faisons ces propositions depuis de nombreuses années ; cette fois encore, nous les renouvellerons lors de l’examen du projet de loi de finances, sans guère d’illusions quant au sort que vous leur réserverez. Les sommes en cause sont pourtant essentielles si l’on considère les défis sociaux et environnementaux auxquels, plus que jamais, nous faisons face. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) laisse peu de place au doute : nous nous trouvons à la croisée des chemins. Alors que, par ailleurs, les inégalités ne cessent de croître, le moment est venu d’agir vite et fort sur les deux fronts, d’entamer une transition à la fois écologique et solidaire.

Pourtant, sur ce point, votre politique relève davantage de la cosmétique que de l’action en profondeur. Par idéologie, vous laissez de côté le levier fiscal, qui est essentiel. Pourquoi ne pas agir sur la TVA afin de favoriser certains biens et activités tout en rendant du pouvoir d’achat aux Français ? Pourquoi ne pas diminuer immédiatement son taux sur les transports, sur l’achat d’un vélo, sur les véhicules neufs, sur la rénovation énergétique des bâtiments ? Vous vous gargarisez de réduire les impôts, mais ceux qui sont payés par tous, vous n’y touchez pas ! C’est d’ailleurs également le cas de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), que vous avez même prolongée en catimini.

Au-delà de la fiscalité, le budget devrait mobiliser les crédits nécessaires aux grands investissements de la transition écologique. Consacrer 10 milliards par an à la rénovation des bâtiments publics et des logements permettrait de réduire la consommation énergétique des ménages, donc leur facture ; il faudrait par ailleurs investir 5 milliards par an dans le secteur ferroviaire. Que ce soit par leur ampleur ou par leur ciblage, ni le plan de relance, ni les nouveaux crédits prévus cette année ne répondent à ces enjeux.

Cinq ans après le vote du premier budget du quinquennat, ce dernier PLF s’inscrit parfaitement dans les standards du macronisme. En 2022, la baisse des impôts se poursuivra : 5 milliards pour les plus riches, avec le dégrèvement de la taxe d’habitation et la baisse à 25 % de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises. Cette année encore, il n’y aura aucune mesure de justice fiscale ou de solidarité, alors que la crise a accru les inégalités. Les enjeux sociaux, marqués par la hausse des inégalités et de la pauvreté, et les enjeux écologiques, qui appellent des investissements en faveur de la transition écologique, sont une fois de plus laissés de côté.

Comme à son habitude, le groupe communiste sera force de proposition durant l’examen du texte, avec des amendements permettant de dresser les bases d’une autre société : une société plus juste, dans laquelle chacun participe et paie sa juste part d’impôt, avec une progressivité réaffirmée, une imposition du capital et les moyens pour lutter contre la fraude fiscale ; une société beaucoup plus solidaire, qui s’attaque à la question du pouvoir d’achat des classes populaires et des jeunes ; une société, enfin, ayant intégré les enjeux environnementaux et se donnant les moyens de réussir la transition écologique et solidaire. Cette société est loin de celle que vous construisez avec ce dernier PLF, qui oppose et laisse de côté tous les citoyens qui se trouvent dans la pauvreté.

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Alain
Bruneel

Député du Nord (16ème circonscription)

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