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Propositions de résolution

Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales la grande priorité nationale 2020 - n°2015

Chaque année, la fraude et l’évasion fiscales coûtent au budget de l’Etat entre 60 et 100 milliards d’euros. Soit l’équivalent du déficit budgétaire annuel de notre pays.

Face à ce problème complexe et systémique, nous considérons qu’il faut agir à tous les niveaux, du local au transnational.

Ainsi, nous proposons que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales soit la grande priorité nationale de l’année 2020 et qu’elle mobilise tous les acteurs : puissance publique, secteurs associatifs, entreprises et organisations syndicales.

Proposition de résolution tendant à faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales la grande priorité nationale 2020

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabien ROUSSEL, Jean-Paul DUFRÈGNE, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie-George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Jean-Paul LECOQ, Jean-Philippe NILOR, Stéphane PEU, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il est urgent d’afficher une volonté politique sans faille dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Ce combat n’est pas aisé, loin de là. Dans un monde globalisé, les intérêts sont nombreux et parfois contradictoires, les enjeux multiples. Nos démocraties s’effacent désormais devant la puissance de multinationales dont les exigences, notamment fiscales, deviennent insupportables. Ces grands groupes et ces ultra-riches aux fortunes colossales – ont pris une telle ampleur qu’ils sont désormais en mesure de tordre le bras des puissances publiques et d’imposer leurs vues pour que la régulation aille dans leur sens.

L’intérêt particulier parvient ainsi à s’imposer face à l’intérêt général et face à l’intérêt du plus grand nombre : c’est ainsi la démocratie dans son ensemble qui est piétinée.

Peu de pays décident de s’attaquer à la fraude et l’évasion fiscales. Et quand ils le font, c’est avec beaucoup de paroles et peu d’actes, se rangeant derrière l’impossibilité de mener ce combat, de prendre des mesures efficaces, même en s’y mettant à plusieurs. Le sentiment grandit dans l’opinion d’une forme de complaisance, voire de connivences entre les dirigeants des pays et les délinquants en col blanc.

Faut-il continuer à accepter cette grande évasion qui se déroule sous nos yeux, en temps réel, et voir nos finances publiques pillées, le consentement à l’impôt reculé ?

Tout cela n’est plus tenable.

De cette fatalité, voire de cette résignation politique, les Français en ont assez : il leur est désormais insupportable de voir la triche fiscale continuer à avoir deux, voire trois coups d’avance. Preuve en est : la lutte contre l’évasion fiscale est l’un des principaux sujets de préoccupation de nos concitoyens. Et pour cause : l’évasion fiscale est le symbole même de l’injustice fiscale !

Tandis que certains, qu’ils soient particuliers ou entreprises, continuent à éluder l’impôt et à lui soustraire des montants considérables, les classes moyennes et populaires doivent payer le prix fort. Pire, il leur est demandé toujours plus d’efforts pour financer le redressement des comptes de la Nation mais aussi les baisses d’impôt, notamment via des niches fiscales, dont vont profiter ces riches contribuables et ces grandes entreprises, au motif qu’ils pourraient s’installer ailleurs et déplacer leur fortune.

En définitive, notre système multiplie les exonérations au profit des acteurs économiques les plus mobiles, des très riches et des multinationales, exonérations qui seront financées par le plus grand nombre, soit par de l’impôt supplémentaire – qu’il s’agisse de la TVA ou de la CSG –, soit par le recul des services publics dans nos territoires : des maternités qui ferment, une transition écologique en manque cruel de financements, des trésoreries qui disparaissent, des horaires d’ouverture de préfecture qui se réduisent ou une dématérialisation toujours plus poussée de ces procédures administratives qui met de côté les victimes de la fracture numérique.

La fraude et l’évasion fiscales « coûtent » entre 60 et 100 milliards d’euros à la France, comme de nombreuses études l’illustrent. Le Président de la République vient pourtant de proposer de faire réaliser un nouveau rapport sur ce montant. Mais même en prenant l’estimation la plus basse, le montant fraudé, qui permettrait notamment de relever le défi climatique, est énorme.

Voilà pourquoi nos concitoyens attendent une lutte acharnée et une volonté politique forte pour s’attaquer véritablement à ce fléau, à ce cancer qui ronge la société et qui fragilise la cohésion sociale de notre pays dans son ensemble.

À un problème systémique, il faut des réponses systémiques. Aussi devons-nous agir à tous les niveaux, du local au transnational.

Ainsi, nous proposons que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales soit la grande priorité nationale de l’année 2020 et qu’elle mobilise tous les acteurs : puissance publique, secteurs associatifs, entreprises et organisations syndicales.

Une réforme constitutionnelle doit être conduite pour y inscrire explicitement les impératifs de justice fiscale et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Considérant ces fléaux comme autant d’entorses au pacte républicain et à la cohésion sociale, notre norme fondamentale, qui fait primer la liberté d’entreprendre, doit être amendée pour donner priorité à l’éthique fiscale et pour que toutes les possibilités juridiques soient ouvertes aux représentants du peuple pour légiférer et pour prendre des mesures fortes.

Un ministère ou un secrétariat d’État à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales pourrait être institué au sein du Gouvernement, permettant de faire travailler collégialement et de manière coordonnée l’ensemble des services existants dans ce domaine.

Une loi-cadre doit être présentée, afin de mobiliser l’ensemble des composantes de la Nation. Elle doit conduire au renforcement des prérogatives de l’administration fiscale et à une lutte contre la délinquance financière enfin exemplaire. Les délinquants en col blanc doivent être sévèrement sanctionnés et se voir privés des privilèges dont ils disposent à l’heure actuelle, notamment celui de pouvoir négocier leur amende.

Les salariés doivent être dotés de véritables pouvoirs en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Ils peuvent être les victimes des agissements fiscaux de leur entreprise, comme les exemples récents McDonald’s et Procter & Gamble l’ont montré. Ils doivent notamment être informés et consultés sur la politique de prix de transfert de l’entreprise et sur les cessions d’actifs au sein d’un même groupe.

Une stratégie pluriannuelle ambitieuse, dotée d’indicateurs de suivi précis, doit fixer comme objectif le « zéro fraude fiscale » tant concernant les particuliers que les entreprises.

La puissance publique se doit d’être innovante tant les montages utilisés pour éluder l’impôt font parfois preuve d’une imagination singulière. Ainsi, notre code des impôts pourrait prévoir un prélèvement à la source des bénéfices des grands groupes avant qu’ils ne partent à l’étranger, notamment dans des paradis fiscaux. Afin de lever toute difficulté liée à la mise en œuvre d’un tel dispositif compte tenu des nombreuses conventions fiscales existantes, il revient à la puissance publique de revoir en priorité les conventions fiscales liant la France avec les paradis fiscaux notoires.

Sociale et environnementale, la responsabilité des entreprises est également fiscale. Cette notion doit être enfin reconnue, en renforçant les normes de transparence sur leurs agissements internationaux. Cette responsabilité pourrait notamment être davantage prise en compte dans les marchés publics à court terme, par exemple en interdisant toute société d’y répondre dès lors qu’elle dispose d’une activité dans un paradis fiscal à des fins uniquement fiscales.

Face aux bataillons de fiscalistes qui œuvrent en sous-main pour optimiser toujours plus l’impôt, aux frontières de la légalité, notre pays doit se doter, non pas d’une police mais d’une armée fiscale. Plutôt que de les fragiliser, les effectifs du contrôle fiscal, de la direction générale des finances publiques et des douanes doivent être renforcés. Ces postes rapportent plus qu’ils ne coûtent.

Considérant la complexité du fléau, un observatoire indépendant en matière fiscale, rattaché au Parlement et associant des experts (économistes, fiscalistes, syndicalistes, sociologues, universitaires, milieu associatif, etc.), sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), pourrait être institué et contribuerait à la bonne information du législateur.

Au-delà de nos frontières, les initiatives politiques doivent se démultiplier, tant au niveau européen qu’à l’échelle internationale. L’Europe doit balayer devant sa porte en bannissant toute pratique fiscale dommageable. L’existence de paradis fiscaux en son sein est tout bonnement insupportable. D’autant que leur opacité permet aux plus grands pollueurs de la planète de s’y cacher, mettant les autres États dans l’incapacité de les poursuivre et retrouver les responsables physiques en cas de catastrophe (marée noire, barrage endommagé, déforestation, etc.).

C’est pourquoi une liste crédible et sérieuse de paradis fiscaux établie par la France, avec la menace de rupture de toute relation commerciale, serait suffisamment dissuasive pour que ces États et territoires rentrent dans le rang et adoptent des pratiques fiscales correspondant aux standards communément acceptés.

Au niveau mondial, tous les pays ne sont pas égaux face à la fraude et l’évasion fiscales. Ce sont les pays en développement qui en subissent le plus lourdement les conséquences. D’après le Fonds monétaire international (FMI), l’impact sur ces pays est 30 % plus élevé que celui sur les États membres de l’OCDE. Ils perdraient l’équivalent de 125 milliards de dollars de recettes fiscales chaque année, soit plus que le montant de l’aide internationale qui leur est destinée. Il n’est plus acceptable de voir des multinationales engager un rapport de force avec ces États en vue d’obtenir des avantages fiscaux exorbitants.

Des actions fortes doivent donc être engagées : d’une part, en nettoyant les conventions fiscales bilatérales des dispositions manifestement déséquilibrées pour les pays en voie de développement et, d’autre part, en prenant l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, sur l’harmonisation et la justice fiscales permettant de réunir autour de la table l’ensemble des pays membres de l’ONU. La lutte contre l’évasion fiscale représente une opportunité diplomatique majeure pour notre pays. Elle doit être l’une de ses priorités.

Il est temps de s’attaquer à ce fléau qui mine nos sociétés et le vivre-ensemble. Il est urgent de faire vivre le principe d’égalité de tous face à l’impôt et de mettre ces richesses produites au service de l’être humain et de la planète.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que la fraude et l’évasion fiscales sont des fléaux planétaires, affectant tous les États, quel que soit leur niveau de développement, portant préjudice à la cohésion sociale, contribuant à l’accroissement des inégalités, au détriment du plus grand nombre et pour le seul profit d’une minorité ;

Considérant que, face à l’ampleur du fléau, il est urgent d’agir à tous les niveaux : local, national, européen et mondial ;

Considérant que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est fondamentale pour garantir le consentement à l’impôt, élément fondamental en démocratie ;

Considérant que notre pays doit se fixer des objectifs ambitieux dans le combat contre l’évasion fiscale ;

Considérant que les peuples, les acteurs du monde du travail et de la société civile ont un rôle essentiel à jouer dans ce combat ;

Considérant que les États-membres de l’Union européenne se livrent à une dangereuse concurrence fiscale conduisant à la réduction progressive de la contribution des entreprises à l’effort collectif, privant également les États des moyens d’action dont ils auraient pourtant besoin pour lutter efficacement contre la pauvreté et le réchauffement climatique ;

Considérant que ce combat implique de mettre sur un pied d’égalité les pays en voie de développement afin qu’ils puissent bénéficier des ressources qui devraient légitimement revenir à leur population ;

Considérant que certaines dispositions de nos conventions fiscales bilatérales ont des conséquences néfastes pour l’autre partie à la convention, notamment celles conclues avec des pays en voie de développement ;

1. Appelle le Gouvernement à faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales la grande priorité nationale de l’année 2020.

2. Propose que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales soit inscrite dans la Constitution.

3. Appelle le Gouvernement à présenter une loi-cadre mobilisant l’ensemble de la Nation, renforçant les prérogatives de l’administration fiscale et l’arsenal judiciaire de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, octroyant de nouvelles prérogatives aux salariés dans l’entreprise et aux associations en matière d’investigation, et développant des actions de prévention.

4. Considère que la création d’un ministère ou d’un secrétariat d’État chargé de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales enverrait un signal politique fort au plus haut sommet de l’État.

5. Appelle le Gouvernement à définir, à travers une stratégie pluriannuelle, des objectifs chiffrés ambitieux quant au recouvrement de l’impôt éludé du fait des pratiques de fraude et d’évasion fiscales des particuliers et des entreprises.

6. Demande au Gouvernement d’innover pour agir efficacement contre les pratiques fiscales de grandes multinationales, notamment en instaurant un prélèvement à la source de leurs bénéfices pour qu’elles soient justement imposées et en consacrant la notion de responsabilité fiscale des entreprises à travers des règles de transparence renforcées.

7. Appelle le Gouvernement à sanctuariser les effectifs des directions générales des finances publiques (DGFiP) et des douanes et droits indirects (DGDDI) en 2019 et initier un plan triennal de recrutements et de développement des compétences et d’expertise dès 2020.

8. Estime qu’il serait utile d’instaurer un observatoire indépendant, composé d’experts de divers horizons et rattaché au Parlement en vue de l’assister dans l’exercice de ses pouvoirs en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

9. Considère qu’il est temps que l’Europe agisse enfin contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment en interdisant l’existence de paradis fiscaux en son sein.

10. Invite le Gouvernement à être à l’initiative de la renégociation de nos conventions fiscales bilatérales en vue d’en faire disparaître les dispositions portant manifestement atteinte aux intérêts des pays en développement.

11. Invite le Gouvernement à être à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, portant sur l’harmonisation et la justice fiscales dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance démocratique permanente de coopération et de régulation fiscale internationale.

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)
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