présentée par Mesdames et Messieurs les député-e-s :
Marc DOLEZ, François ASENSI, Alain BOCQUET, Huguette BELLO, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Jacqueline FRAYSSE, Alfred MARIE-JEANNE, Nicolas SANSU, Gabriel SERVILLE,
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’Accord économique et commercial global (AEGC) ou « Comprehensive Economic and Trade Agreement » (CETA), traité international de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Canada, est un « accord mixte ». Cet accord concerne, en effet, des domaines de compétences partagées entre l’Union Européenne et les États membres. Sa nature juridique suppose une procédure d’adoption particulière puisqu’elle suppose un accord des pays de l’Union Européenne. La conclusion de l’accord ne pourra donc intervenir qu’après approbation du Parlement européen, dont le vote a été reporté au 24 janvier prochain, en raison de la pression d’une partie des eurodéputés qui dénonce une volonté d’étouffer toute forme de débat. Les commissions Emploi et Environnement ont, il est vrai, été dépossédées du dossier sur lequel elles comptaient adopter des résolutions. En cas de vote favorable du Parlement européen, le CETA devra ensuite être soumis à la ratification des États membres, qui suppose elle-même l’autorisation des parlements nationaux. L’intervention in extremis des représentants des peuples devraient ainsi permettre de faire définitivement barrage à cet accord dangereux.
Toutefois, la Commission européenne a déclaré à la suite de la décision du Conseil et de la signature de l’accord, qu’il sera possible d’appliquer l’accord économique et commercial « à titre provisoire », jusqu’à ce que les procédures de ratification nécessaires à sa conclusion soient achevées. Cette décision pose des problèmes sur le plan juridique et surtout politique.
Dans une résolution rejetée le 23 novembre, une partie des eurodéputés demandaient une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne avant toute application du traité. Plusieurs analyses remettent en effet en question la légalité du CETA au regard même du droit de l’Union européenne. Des interrogations qui s’opposent à toute application provisoire du texte. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle allemande a récemment décidé que l’application provisoire du CETA ne pouvait pas inclure les domaines de compétence nationale. Elle a également jugé que le gouvernement allemand devra s’assurer que l’Allemagne peut se retirer unilatéralement de l’application provisoire du CETA si cet accord est déclaré incompatible avec la Constitution fédérale allemande. Cette jurisprudence instille une telle insécurité juridique quant à cet accord que l’on peut légitimement s’interroger sur sa viabilité.
Sur le plan politique, une application provisoire - prévue à partir du 1er mars - de l’accord représenterait un coup de force antidémocratique, par lequel un texte entrerait de fait en vigueur sans avoir été soumis aux représentants des peuples nationaux. Les parlements des États auraient à se positionner sur un texte qui aurait déjà commencé à produire ses effets.
Compte tenu des obligations étendues découlant de l’accord économique et commercial global pour les États membres, leur capacité à pouvoir librement participer au processus décisionnel ne saurait être préjudiciée par une mise en œuvre anticipée de l’accord. Il convient, ainsi, que des précisions soient données quant aux articles jugés applicables provisoirement car relevant de compétences communautaires et aux articles non concernés par une application provisoire car relevant de compétences nationales. Cela permettrait d’apprécier le périmètre que recouvre réellement le caractère mixte de l’accord. Dans ce contexte, afin de permettre le bon exercice du contrôle démocratique, il apparaît indispensable que la France exprime auprès de la Commission européenne son refus de toute application provisoire de l’accord.
Cette pratique antidémocratique s’inscrit dans la lignée des négociations opaques qui ont abouti à cet accord. Les enjeux du CETA impliquent l’organisation d’un véritable débat public, ouvert et contradictoire. Or, la délégation de pouvoir dont a bénéficié la Commission comme les négociations qu’elle mène en notre nom – un comble – s’inscrivent dans une logique foncièrement antidémocratique, méprisant le principe même de la souveraineté nationale. L’exclusion de toute participation des peuples, des Parlements et de la société civile pose la question de la légitimité même de ces négociations tenues à huis clos et entourées d’un silence assourdissant pour le moins suspect. En ce sens, le Gouvernement a une part de responsabilité non négligeable dans cette volonté de faire passer en force, ou du moins en catimini, un traité dont la gestation a été cachée aux principaux intéressés : les peuples.
Si les peuples n’ont été pas été informés des négociations et des enjeux de ce traité – là encore dans la pure tradition de l’opacité qui caractérise l’élaboration de ce type d’accord de libre-échange - les partenaires sociaux et les producteurs locaux se sont rapidement mobilisés contre la perspective de l’entrée en vigueur d’un tel accord qui nivelle vers le bas les normes sociales, environnementales et alimentaires. Une caractéristique qui souligne l’intervention et l’influence des lobbies des multinationales durant les négociations de cet accord.
Antidémocratiques, ces négociations sont également synonymes de régression sociale et environnementale. Au lieu d’offrir une alternative aux dérives actuelles du libéralisme, le Gouvernement accompagne et participe même au mouvement. Notre Gouvernement soutient ainsi le processus de négociation du Traité transatlantique. Conquête des marchés et mise en concurrence des salariés en sont les seules motivations. La « Loi de la jungle » comme règle du jeu, en somme.
Officiellement, ce grand marché transatlantique ouvrirait de nouvelles perspectives pour la croissance et l’emploi. Un discours lénifiant distillé par les tenants du néo-libéralisme et de la dérégulation de l’économie, qui ont produit une globalisation sauvage et un monde où les inégalités se creusent inexorablement. L’accord transatlantique s’inscrit dans cette même impasse. Conformément au modèle des accords de libre-échange qui matérialisent et intensifient une globalisation néolibérale synonyme de dérégulation, le CETA réduit drastiquement les barrières tarifaires et non-tarifaires et déréglemente le commerce de biens et de services dans l’intérêt des entreprises européennes et canadiennes, avant celui des peuples européens et canadiens.
D’ailleurs, aucune étude d’impact sérieuse n’existe au sujet du CETA : non seulement la croissance escomptée est sujette à caution, mais ses conséquences seraient à coup sûr négatives en matière d’évolution des standards de protection sociale.
Le CETA éliminerait les droits de douane rapidement – la suppression complète est prévue pour sept ans après l’application du traité – pour une économie attendue de près de 600 millions d’euros par an. Cette mesure s’appliquerait à la quasi-totalité des secteurs d’activité, l’agriculture maintenant des exceptions, mais 92 % des biens agricoles seraient concernés. Ce traité est susceptible d’avoir des effets dans de nombreux domaines, au-delà du seul commerce international : environnement, agriculture, emploi, et santé notamment.
Au-delà de la création d’une vaste zone de libre-échange, l’accord vise à supprimer les normes permettant de réguler des secteurs fondamentaux de notre vie économique et sociale et à soumettre les différends à un tribunal arbitral privé au profit des opérateurs économiques privés. En effet, en matière de règlement des différends, le CETA prévoit qu’en cas de désaccord avec la politique publique menée par un État, une multinationale peut porter plainte contre cet État. Certes, cette plainte ne serait plus transmise à des tribunaux arbitraux privés, qui ont été remplacés in extremis par un système de « Cour des investissements ». Toutefois, ses juges seront autorisés à faire des va-et-vient vers des activités d’avocat d’ISDS avant et après leur mandat de juge.
Ce mécanisme est une menace pour la souveraineté des États et la liberté des peuples de choisir leurs propres politiques publiques. Comme le souligne l’Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) adopté le 15 décembre 2016, le système d’arbitrage investisseurs-États du CETA, n’apporte pas les garanties d’indépendance d’une cour publique. Les membres du tribunal d’arbitral ne sauraient être qualifiés de « juges », car ils ne relèveraient pas d’une magistrature indépendante, ils ne seraient ni nommés par une autorité indépendante, ni prémunis sérieusement contre les conflits d’intérêts. De plus, l’avis de la commission souligne la caractéristique inégalitaire de l’arbitrage d’investissement : celui-ci joue en faveur des investisseurs privés, contre les États, puisque les premiers peuvent attaquer les seconds, non l’inverse. Les entreprises se retrouvent dans une position où elles sont irresponsables de leurs actes en matière sociale et environnementale devant le tribunal arbitral, même en cas de manquement.
Ensuite, ce traité représente une menace pour l’agriculture et les producteurs européens. Le principe de précaution n’existant pas au Canada, il n’existe pas d’obligation d’étiquetage des OGM. Nos agriculteurs soulignent le manque de reconnaissance des produits certifiés français - seule une centaine d’AOC reconnue sur les 561 que compte le territoire français. L’accord prévoit la protection de 172 indications géographiques protégées (IGP) agroalimentaires européennes au Canada, dont 42 dénominations françaises, devant faire l’objet d’une protection totale, assortie de la possibilité d’un recours administratif. Or, ce sont plus de 1 400 indications géographiques protégées qui sont actuellement reconnues par l’Union européenne, ou enregistrées et en voie de l’être. Des informations plus précises sur l’impact de ces mesures en France doivent être données. Il faudra également évaluer l’impact du système « indications géographiques protégées » sur la qualité des produits ainsi que sur la structuration des filières de production et de commercialisation, compte tenu de la coexistence autorisée d’une partie des marques déposées canadiennes.
Il ne s’agit pas ici d’opposer les peuples. Au Canada, aussi, la mise en garde est réelle. Ainsi, Sujata Dey, représentante de l’ONG Conseil des Canadiens, estime que le CETA « C’est choisir le pire modèle de production agricole. Dans chaque accord commercial qui est négocié, on choisit toujours les modèles industriels intégrés, contre les exploitations familiales. Et on fait évoluer aussi les habitudes alimentaires des consommateurs vers moins d’exigences qualitatives. » La suppression de la majeure partie des droits de douane couplée à l’adoption de quotas d’importations de viande bovine et porcine (au total, près de 65 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine par an pourront bénéficier de droits de douane nuls en Europe) suscitent de vives inquiétudes dans le contexte actuel de crise de ces filières en France. Ces mesures risquent de fragiliser davantage les producteurs français.
Enfin, en matière d’environnement et de développement durable, comme le souligne l’avis de la CNCDH, le dispositif général de l’accord s’avère en contradiction par rapport aux objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat en 2015. En outre, les implications du principe de liste négative que retient l’accord économique et commercial global pour les secteurs ouverts à la concurrence des entreprises et opérateurs étrangers et leurs conséquences pour la conduite des politiques publiques (tout nouveau service ne pouvant être réglementé ou nationalisé) demeurent difficiles à évaluer.
Ce traité privilégie les intérêts des grandes multinationales au détriment des États et des peuples. Si les États semblent jouer contre leurs propres peuples, ces derniers se mobilisent et nous sommes fiers de répondre à leur appel à travers cette proposition de résolution.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution ;
Vu l’article 3 de la Constitution ;
Vu l’article 11 de la Constitution ;
Vu la version consolidée du projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada signée le 30 octobre 2016 ;
Vu l’Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) adopté le 15 décembre 2016 ;
Considérant que la Constitution, dans son préambule et dans son article 3, consacre les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ; qu’elle précise, à son article 1er, que la France est une République « démocratique et sociale » ;
Considérant que les négociations menées en vue d’un accord économique et commercial global avec le Canada (CETA) ont été menées sans respect réel des principes d’ouverture et de transparence posés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par voie de conséquence, sans qu’ait pu être assuré un contrôle démocratique national et européen digne de l’État de droit ;
Considérant qu’en vertu des articles 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 21 du traité sur l’Union européenne, la politique commerciale commune doit être menée dans le respect des objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne et donc promouvoir un ordre multilatéral respectueux de la démocratie et de l’État de droit ;
Considérant la décision du Conseil européen du 5 juillet 2016 qualifiant la signature de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada comme un accord mixte, cette décision pouvant être interprétée à la lumière de la décision de la Cour constitutionnelle allemande ;
Considérant que ces traités veulent instaurer des tribunaux spéciaux pour régler des différends entre les investisseurs et les États au risque de menacer la possibilité des peuples à instaurer leurs propres politiques publiques ;
Considérant les conclusions du rapport de l’Assemblée nationale sur la résolution sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, n° 134, novembre 2014, quant au caractère incomplet de la réforme proposée par l’Union européenne et au risque de non-conformité avec les traités européens ;
Considérant qu’en Europe, 3,5 millions de personnes ont signé une pétition contre le CETA et son accord « jumeau », le Tafta. On compte également 2 100 collectivités locales et régionales déclarées « hors Tafta et Ceta ». En outre, 450 organisations et collectifs européens et canadiens ont appelé dans un texte commun leurs élus à voter contre l’accord de libre-échange UE-Canada.
Considérant que le CETA n’est pas conforme aux engagements de l’Union européenne et de la France pris lors de la COP21 pour lutter efficacement contre le changement climatique ;
1. Rappelle qu’en vertu de l’article 1er de la Constitution, la France est une République « démocratique » et « sociale » ;
2. Invite le Gouvernement à consulter le Parlement avant toute mise en œuvre provisoire de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada ;
3. Demande que la France poursuive auprès de la Commission européenne la défense du caractère mixte de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada ;
4. Invite le Gouvernement à organiser un referendum populaire au sujet de l’autorisation de ratification du CETA.
Propositions de résolution
PRE n° 4335 pour un débat démocratique sur l’accord économique et commercial global (CETA) (Niche GDR du 2/02/17)
Publié le 21 décembre 2016
Marc
Dolez
Député
du
Nord (17ème circonscription)
le texte de la proposition