EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En mai 2011, les estimations d’émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pour l’année 2010 ont fait état d’un nouveau record : une progression de près de 5 % des émissions mondiales d’équivalent CO2. Les responsables de l’Agence soulignaient « les perspectives lugubres » qui se dessinent en matière de réchauffement climatique au regard de la trajectoire actuelle en matière de rejets dans l’atmosphère. Ainsi, suivant les différents scénarios climatiques envisagés par le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat (GIEC), la trajectoire des émissions actuelles vient valider une hypothèse de hausse des températures plus proche de +4°C d’ici 2100, que des +2°C prônés par le GIEC pour éviter tout risque d’emballement climatique et d’effets non maîtrisables.
Ces chiffres, particulièrement alarmants, placent l’ensemble des États de la planète devant une responsabilité historique pour parvenir à maîtriser le réchauffement climatique, afin d’en limiter les conséquences pour les populations humaines et assurer la pérennité des grands équilibres naturels et écosystémiques.
À la veille de la prochaine Conférence des Parties (CoP 17) de Durban dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), et à l’approche du nouveau Sommet de la Terre, qui s’ouvrira à Rio en 2012, il apparaît indispensable que la représentation nationale se positionne sur la teneur des engagements que défendra notre pays sur la scène internationale face à l’ampleur du défi climatique qui se pose à l’humanité.
Une prise de conscience progressive
mais des engagements insuffisants
La découverte d’un bien commun à gérer : le climat.
Dès 1970, les climatologues font le constat d’une inflexion notable de la température moyenne à l’échelle du globe à partir de la révolution industrielle. Ils pointent la responsabilité humaine à travers l’émission de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane essentiellement). L’usage des ressources fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) et à forte teneur en carbone en serait l’origine principale. Déjà, les scientifiques s’inquiètent des conséquences de cette évolution climatique sur les activités humaines et les écosystèmes. Les progrès dans la connaissance du système climatique et de ses modifications conduisent progressivement à une prise en compte par la communauté internationale de la problématique du changement climatique. La première conférence mondiale sur le climat, en 1979, conduira les Nations Unies à rassembler les experts internationaux dans ce domaine de recherche, ce qui aboutira à la création du GIEC en 1988.
En parallèle des progrès remarquables accomplis dans la connaissance des effets des gaz à effet de serre sur le système climatique, le GIEC fournira des rapports de plus en plus précis sur la corrélation existant entre l’évolution de la température moyenne observée et l’origine anthropique de cet accroissement rapide. Le premier rapport, publié en 1990, incitera l’Organisation des Nations Unies à adopter en 1992 une Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Elle fera partie intégrante, la même année, des négociations lors du Sommet de la Terre de Rio.
Les différents rapports du GIEC (1990, 1995, 2001, 2007) servent de base à la négociation climatique : ils traduisent les points de convergence scientifique à l’échelle mondiale sur l’ampleur du changement climatique et ses origines, présentent plusieurs scénarios d’évolution et proposent une série de mesures et d’objectifs, qui permettrait de limiter la hausse de la température moyenne et ses conséquences. Ils confirment que nous sommes placés devant un phénomène global, touchant l’écosystème planétaire. Par voie de conséquence, seule une réponse coordonnée au niveau international est à même de réduire efficacement son ampleur et ses conséquences locales encore mal évaluées.
Des enjeux partagés.
À la suite des derniers rapports, un accord s’est par ailleurs dégagé pour admettre qu’il apparaissait primordial de contenir, dès que possible, l’élévation de la température moyenne du globe à +2°C. Au-delà de cette élévation, les conséquences seraient insupportables en termes de dégâts environnementaux et de désorganisation des sociétés humaines. Non seulement le GIEC pointe le risque « d’un emballement climatique incontrôlable », mais il présente de façon récurrente les conséquences dramatiques d’une telle augmentation : aléas climatiques amplifiés et plus grande fréquence des phénomènes météorologiques violents, recul des glaciers affectant les ressources en eau, recul de la banquise, élévation du niveau des mers… Ces tendances, liées à l’élévation de la température, auraient naturellement des impacts particulièrement lourds : baisse des capacités agricoles impactant directement une situation alimentaire mondiale déjà critique, inondation ou désertification de zones densément peuplées entraînant des migrations massives, impacts sur la santé en favorisant le retour de maladies, perte accélérée de biodiversité et atteintes irrémédiables au fonctionnement des grands écosystèmes planétaires…
C’est aujourd’hui autour de ce chiffre phare de +2°C que se cristallise le niveau d’effort nécessaire et d’engagements à prendre pour les États en terme d’émissions. Les recommandations du GIEC n’ont de cesse de revenir sur cet objectif quantifiable, et sur les engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il implique. Le respect de cet objectif est aussi le symbole de la capacité de la communauté internationale à respecter l’intérêt général climatique qui conditionne les capacités des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.
Lenteur et insuffisance des engagements internationaux.
Dès les premières négociations climatiques dans le cadre onusien, les pays du Sud ont fait valoir à juste titre qu’ils ne portaient que peu de responsabilités dans le niveau actuel de concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, puisque les émissions accumulées sont essentiellement le fait des pays industrialisés. Les grandes puissances ont dû convenir du principe de « responsabilité commune mais différenciée » dans le cadre des négociations du Protocole de Kyoto en 1997.
Aussi, les principaux pays historiquement émetteurs, en admettant leur responsabilité, ont accepté de prendre une part importante de l’effort international. Le Protocole de Kyoto, adopté en 1997 par la Conférence des Parties (Cop 3) et ratifié aujourd’hui par 141 pays, a précisé pour la première fois les engagements de réduction des pays historiquement émetteurs (regroupés dans l’Annexe I) pour l’horizon 2008-2012. Il précisait également les outils de gestion économique susceptibles d’être mis en place par les signataires de l’Annexe I pour atteindre leurs objectifs : système des marchés de permis d’émission avec leur extension, Mécanisme de Développement Propre (MDP) et de Mise en œuvre Conjointe (MOC). Le Protocole de Kyoto, malgré ses objectifs modestes de 5,5 % de baisse des émissions des pays de l’Annexe 1 par rapport à leur niveau de 1990, reste à ce jour le seul cadre contraignant pour les États. Alors que la période de réalisation des engagements arrive à son terme en 2012, après une mise en œuvre réelle retardée à 2005 faute de ratification d’un nombre suffisant d’États, on peut affirmer maintenant que les objectifs de réduction ne seront pas atteints par un nombre important de pays. Par ailleurs, le choix de privilégier des outils de marché, avec l’allocation gratuite de quotas d’émissions liée à la mise en place du marché carbone au sein de l’Union Européenne (European Union Emission Trading Scheme – EU ETS), suscite de plus en plus d’interrogations sur leur efficacité réelle. En effet, ces outils concentrent aujourd’hui de nombreuses critiques : effets pervers qu’ils induisent en terme de fuite de carbone et de délocalisation d’activités émettrices dans les pays du Sud ; largesse des décideurs politiques dans l’attribution de permis d’émission pour les secteurs économiques concernés ; effondrement des prix de la tonne d’équivalent CO2 échangeable sur le marché.
Comme il fallait s’y attendre, la négociation climatique lors de la tenue de la Conférence de Copenhague (CoP 15), en décembre 2009, a marqué un net recul en terme de volonté d’engagement des États. Alors que la Conférence avait pour enjeu de fixer un cadre d’engagement pour donner une suite au Protocole de Kyoto, elle s’est soldée par un simple « Accord » de trois pages, sans réel statut juridique. Il ne présente qu’une seule référence globale à la nécessité de réduire les émissions de GES pour maintenir l’augmentation de la température moyenne planétaire en dessous de +2°C par rapport à la période préindustrielle. Ainsi, alors que le consensus paraissait acquis, l’objectif global de réduction de 50 % des émissions planétaires d’ici à 2050 ne figure pas dans le texte, pas plus que l’engagement des pays industrialisés à réduire les leurs de 80 % dans le même délai, pourtant indispensable pour tenir les objectifs prônés par le GIEC. Les seuls engagements chiffrés ont concerné le principe d’une aide des pays industrialisés aux pays en développement pour leur permettre de « s’adapter » au réchauffement climatique. Cette aide serait portée à 100 milliards de dollars par an en 2020, mais sans précision sur son mode de financement et ses finalités réelles. La négociation de Copenhague a par ailleurs marqué le rôle prépondérant des États-Unis et de la Chine dans la négociation climatique, avec l’effacement progressif de l’Union Européenne, absente du groupe de pays chargé de la rédaction de l’« Accord » malgré l’activisme diplomatique déployé notamment par le Président de la République française.
De Copenhague à Cancun : l’intérêt général climatique confronté aux intérêts des puissances dominantes.
Suite à cet échec, et un an plus tard, la Conférence de Cancun (Cop 16) était censée permettre « l’adoption d’un ensemble de décisions équilibrées » traduisant les vagues intentions de l’accord de Copenhague. Malgré l’unanimité du discours médiatique saluant le nouvel accord final, aucune suite n’a en réalité été donnée aux engagements de Kyoto lors de la conférence.
Deux voies devaient en effet faire l’objet de négociations à Cancun :
– La première cherchait à traduire, dans un accord cadre contraignant, les engagements des pays les plus émetteurs de CO2 pour donner une suite aux objectifs du Protocole de Kyoto et répondre aux objectifs du GIEC.
– La seconde concernait les pays les plus pauvres et les plus démunis à travers deux axes : comment leur permettre de s’adapter aux conséquences du changement climatique dont ils sont les premières victimes et comment leur permettre de s’engager eux-mêmes dans la limitation de leurs émissions alors que leurs besoins énergétiques sont très loin d’être satisfaits ?
Dès l’ouverture des négociations, les renoncements des pays les plus émetteurs à poursuivre les négociations sur la première voie ont révélé leur refus de contribuer au respect de l’intérêt général climatique au-delà des objectifs de Kyoto, alors que la plupart de ces pays ne les ont pas atteints. Ce revers était prévisible puisqu’il découle directement des rapports de force issus de l’échec de Copenhague. C’est donc sans surprise que les grandes puissances ont orienté les débats sur la seconde voie, pour définir des mesures non contraignantes concernant les pays pauvres. La teneur des négociations a illustré une nouvelle « stratégie d’évitement », voire « de délocalisation des responsabilités environnementales » des grandes puissances. Ainsi, les objectifs de réduction sont désormais systématiquement repoussés à des horizons lointains (au-delà de 2020 et en général vers 2050), et formulés sans engagement juridique contraignant sur le plan international.
L’émergence des pays du Sud.
Cette situation a eu le mérite de faire émerger à Copenhague, puis à Cancun, une véritable confrontation avec les représentants de pays du Sud. Ces pays se sont rassemblés au sein d’un groupe dit « G 77 », qui compte désormais 135 pays, pour porter deux grandes revendications :
– Dénoncer l’irresponsabilité des pays développés, notamment à l’égard du fait que les pays du Sud sont les principales victimes du réchauffement climatique, et qu’en conséquence, il est indispensable de leur donner des moyens suffisants pour en pallier les conséquences.
– Remettre en cause plus profondément le contenu et les finalités du système économique capitaliste, dont l’addiction intrinsèque à l’accumulation privée du profit privilégie des mécanismes économiques et financiers, des modes de production et de consommation, et une organisation internationale du travail incompatibles avec la volonté de réduire efficacement les émissions de CO2 planétaires.
Au final, les seuls engagements de Cancun ont été la création d’un Fonds vert de 100 milliards de dollars, destiné à financer l’adaptation au changement climatique des pays du Sud, avec des modalités de contribution aussi incertaines que sa réalité financière, et la mise en œuvre du programme de Réduction des Emissions résultant du Déboisement et de la Dégradation des forêts (REDD). L’accord de Cancun reprend simplement l’objectif d’une « limitation de l’élévation de la température mondiale à 2 degrés Celsius, voire 1,5 degré ». Ce dernier seuil de 1,5°C correspond aux demandes de l’alliance des petits pays insulaires.
Les États exhortés à prendre leurs responsabilités et à agir.
Le seul traité qui engage les États arrive donc au terme de sa période d’application en 2012, dans un climat d’incertitude sur leur prise en compte de la lutte contre le réchauffement climatique, alors même que grandissent la connaissance des changements climatiques en cours et la prise de conscience collective des conséquences probables.
Aussi, à la suite de sa réélection comme Secrétaire général des Nations Unies, le 21 juin 2011, Ban Ki Moon a exhorté les pays développés à mener des efforts internationaux pour limiter le réchauffement global.
Sur le même registre, le Président du GIEC, Rajendra Pachauri, déclarait le 21 juillet dernier dans le journal Le Monde : « J’ai bien conscience qu’un certain nombre d’études indiquent que les choses sont pires que ce que nous avions projeté (…) Il est clair que le monde ne fait pas assez pour abaisser les émissions de CO2. Pourtant, les travaux du GIEC ont montré que plus on attend, plus les coûts seront élevés et pire seront les impacts (…) Nous avons fourni les enseignements de la science. Nous avons montré quels seraient les impacts du changement climatique si on ne réduisait pas les émissions de CO2 en soulignant que ces impacts seraient les pires dans les pays les plus pauvres, au risque de créer des millions de réfugiés. C’est maintenant aux gouvernements de savoir ce qu’ils veulent faire. »
Dans son rôle, la Secrétaire exécutif de la CCNUCC précisait, le 6 juin dernier, dans sa déclaration à l’issue de la réunion de Bonn de la CCNUCC, que « les négociateurs s’efforçaient actuellement de définir plus clairement l’architecture du futur régime climatique international voué à réduire les émissions mondiales assez rapidement pour éviter le pire des scénarios climatiques » et qu’il était « plus que jamais indispensable de mobiliser tous les efforts afin de respecter tous les engagements pris ». Mais son relatif optimisme devant les médias cachait mal l’absence d’avancées réelles sur la voie du respect des louables intentions de Copenhague et de Cancun, puisque l’essentiel de la Conférence de Bonn a consisté à approfondir les mécanismes financiers et techniques pour aider les pays en développement.
Un glissement inquiétant dans le traitement
de la problématique climatique
Vers un système non contraignant et épargnant les grandes puissances ?
La première des remarques que nous pouvons faire à l’issue des dernières négociations climatiques, c’est que le refus d’une architecture globale contraignante, en terme de réduction pour les responsables historiques des émissions et les grandes puissances émergentes, devient un véritable préalable à la poursuite des négociations. Pourtant, ces mêmes États n’éprouvent aucun scrupule à s’inscrire dans l’objectif global de limitation à +2°C d’ici 2050.
Ce double discours, entre la volonté affichée et les actes, marque une réelle irresponsabilité diplomatique, dont les États-Unis et la Chine deviennent les principaux habitués. Ils contribuent ainsi à porter des engagements en trompe l’œil à l’horizon 2020, alors que le GIEC vient de demander de limiter les émissions dès 2015. Par ailleurs, ces engagements, toujours plus flous à l’horizon 2020, interpellent quand on connaît les délais de réalisation d’investissements et de programmes de réduction d’émissions dans les différents secteurs économiques et sociaux concernés : habitat, industrie, transports, agriculture… Ainsi, parmi les pays de l’Annexe 1, les États-Unis affichaient, après Copenhague, un objectif de -17 % d’émissions en 2020, en prenant pour année de référence 2005, alors que la croissance des émissions a poursuivi son rythme entre 1990 et 2005. Le respect de cet objectif minimaliste entraînerait donc une baisse de seulement 4 % des émissions sur la période 1990-2020 pour le premier pays émetteur de GES par habitant. Mais il faut aussi rappeler que ces engagements n’ont pas été ratifiés par le Congrès américain.
Parmi les grands pays émergents, les objectifs de la Chine, premier émetteur mondial en volume, ne portent que sur une réduction de l’intensité carbone de la croissance économique, de 45 % maximum en 2020 par rapport à l’année de référence de 2005.
À la différence des négociations précédant le Protocole de Kyoto, l’accord de Copenhague ne norme pas la façon dont les pays rendent compte des réductions d’émissions qu’ils s’engagent à réaliser. Ce laisser-faire en matière de contrôle du respect des engagements présente sans aucun doute un risque majeur de report des objectifs au fil du temps et de l’évolution de la situation diplomatique et économique.
À la recherche de nouveaux mécanismes de marché.
Par ailleurs, l’essentiel des négociations est guidé par l’objectif des grandes puissances de confier la mise en œuvre des réductions aux seuls outils de marché, en perfectionnant et multipliant les innovations financières issues du Protocole de Kyoto, comme l’extension des marchés de permis échangeables ou l’inclusion des puits de carbone forestiers dans un système de contreparties financières (programmes REDD et REDD +). Cette recherche sur les outils de marché mobilise d’ores et déjà beaucoup des ressources intellectuelles des pays du Nord dans le domaine de l’économie du changement climatique, pour avancer des mécanismes de financement capables d’être inclus progressivement comme monnaie d’échange dans les négociations internationales. Cette recherche se concentre donc autour de l’amélioration du fonctionnement du système capitaliste, pour qu’il traite ses « externalités » d’émissions de GES à travers sa propre matrice : extension des marchés carbone, techniques diverses de compensation financière des émissions de CO2, systèmes de notification et de vérification fondés sur le concept de la « bonne gouvernance »… Il n’est donc pas étonnant que les échanges, lors des ateliers et tables rondes thématiques des conférences, s’éternisent sur la conception et la mise en œuvre de tels mécanismes.
Les orientations de Copenhague et de Cancun révèlent que les « centres » du système refusent de remettre en cause leur domination économique et financière. Ils préfèrent argumenter sur les mécanismes propres à inclure les pays pauvres dans la négociation. Pour cela, ils mettent au travail les experts libéraux sur la construction de mécanismes de financements, dits « non contraignants », pour répondre aux demandes des pays de la « périphérie », qui leur sont indispensables pour maintenir leur domination. On peut s’interroger sur la capacité de ces mécanismes à s’affranchir des multiples formes, directes ou indirectes, de pressions et de contreparties économiques et financières qu’imposent les grandes puissances à ces mêmes États dans le cadre de l’aide au développement.
Des choix économiques et politiques en contradiction avec les objectifs affichés.
L’Union Européenne (UE) est régulièrement citée en exemple comme un ensemble de pays volontaires en matière de réduction des émissions, et affichant les engagements les plus importants pour 2020 : entre -20 % et -30 % à l’horizon 2020 par rapport à 1990. Mais le bilan réel des efforts consentis est à nuancer. Dans l’UE à 15, les émissions de CO2 n’ont baissé que de 1,5 % entre 1990 et 2005 alors que l’objectif était une baisse de 8 %. Il faut par ailleurs mettre en relation ce résultat avec le niveau record des délocalisations industrielles opérées sur la même période vers les pays du Sud, qui ont entraîné une délocalisation des émissions européennes.
Par ailleurs, de nombreux choix politiques en matière énergétique pris par l’UE sont contradictoires avec les engagements pris fin 2008 dans le cadre de son « Paquet Énergie-Climat » et la règle « des trois fois 20 » (réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, porter la part des énergies renouvelables à 20 % de la consommation et réaliser 20 % d’économies d’énergie) : importation massive d’agrocarburants issus de la culture du palmier à huile dans les pays du Sud, après déforestation, pour satisfaire des objectifs d’incorporation de biocarburants dans les carburants européens ; promotion de l’exploitation des gaz et huiles de schiste dans plusieurs pays de l’UE. Quant au choix récent de l’Allemagne d’abandonner rapidement la production de son parc nucléaire, sans la mise en œuvre d’une transition énergétique progressive, il entraîne une utilisation accrue des énergies carbonées.
Ces décisions politiques s’appuient sur un vaste mouvement de privatisation de services et d’entreprises publiques, et de libéralisation de certains secteurs d’activité, qui constituaient de véritables leviers publics pour accélérer la transition énergétique vers une économie décarbonée. En France par exemple, le démantèlement progressif de l’entreprise publique SNCF et de sa branche Fret a occasionné un transfert massif des volumes de fret ferroviaire vers le transport routier, fortement émetteur, contredisant ainsi les intentions et les objectifs « de faire évoluer la part modale du non-routier et non-aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 » et « d’atteindre une croissance de 25 % de la part modale du fret non routier et non aérien d’ici à 2012 », fixés par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. De même, en matière d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, secteur responsable de 43 % de la consommation d’énergie finale dans notre pays, l’absence de volontarisme budgétaire, couplée aux mesures de suppression de postes dans la fonction publique, prive l’État, les collectivités territoriales et les organismes parapublics des moyens indispensables pour accélérer la construction et la rénovation énergétique des parcs de logements sociaux et contrôler efficacement le niveau de performance énergétique réellement réalisée.
L’adaptation comme substitut à la réduction des émissions ?
Alors que le changement climatique nous impose de faire des choix majeurs en matière de réduction des émissions, la tentation est grande pour les pays riches de privilégier l’anticipation des conséquences du réchauffement sur leur seul territoire au détriment de la participation ambitieuse à la réduction globale des émissions dans un contexte de négociation internationale tendu, de compétition économique exacerbée et d’incertitudes économiques de plus en plus grandes en lien avec la crise financière.
Ainsi, une nouvelle sémantique apparaît, notamment en France. Elle s’articule autour du concept « d’adaptabilité », dont les présupposés sont particulièrement inquiétants. Ce soudain engouement pour « l’adaptation » laisse entendre que les scénarios de maîtrise efficaces proposés par le GIEC ne seront pas atteints, que la maîtrise du réchauffement climatique sera insuffisante, et qu’il convient prioritairement d’orienter les investissements dans l’adaptation de nos sociétés à ce réchauffement. Le « plan d’adaptation au changement climatique pour la période 2011-2015 », dévoilé le 20 juillet 2011 par la ministre de l’écologie, tient de cette logique, tout en étant financièrement très éloigné des enjeux qu’il mentionne. Comment ne pas le percevoir comme un signal inquiétant d’un nouveau positionnement de notre pays sur son engagement et son volontarisme à promouvoir l’intérêt général climatique dans les échéances à venir ? Pourquoi ne pas avoir privilégié un vaste plan de réduction de nos consommations énergétiques dans les secteurs clés comme les transports ou l’habitat ?
Pour des engagements internationaux contraignants
et une nouvelle coopération à l’échelle internationale
Ce contexte nous conduit à formuler trois grands axes dans l’engagement de la France dans le cadre de la négociation climatique internationale, au niveau de l’Union Européenne et sur le plan national : une action diplomatique déterminée pour parvenir à un engagement ferme des Etats, propre à répondre aux objectifs prônés par le GIEC dès 2015 et pour 2020 ; la promotion d’une politique énergétique décarbonée coordonnée à l’échelle internationale ; un débat public sur la question climatique, dans notre pays comme dans le monde, portant sur les objectifs à atteindre.
Une action diplomatique résolue pour faire avancer l’ensemble des États sur la voie d’une responsabilité commune.
Le cadre de la préparation de la prochaine Conférence des Parties de Durban, en decembre 2011, puis du prochain Sommet de la Terre de Rio en 2012, doit permettre d’amener l’ensemble des États sur un chemin ambitieux de réduction d’émissions, pour satisfaire à terme aux objectifs du GIEC dès 2020. Pleinement partie prenante de la négociation climatique, l’Union Européenne comme la France doivent être exemplaires en matière climatique afin d’entraîner les pays riches à se dégager des intérêts particuliers de puissance pour promouvoir l’intérêt général climatique. Pour s’aligner sur les demandes exprimées par le GIEC, il est nécessaire de revoir la conception même de l’architecture climatique sur d’autres bases systémiques, en promouvant des mesures de réduction contraignantes et significatives pour les pays de l’Annexe 1. Par ailleurs, les grands pays émergents, et notamment la Chine, devraient intégrer les contraintes d’émissions avec des niveaux et des délais déterminés. Cela suppose naturellement de définir un certain nombre de moyens de contrôles performants qui pourraient être confiés directement à la CCNUCC ou à une structure internationale d’expertise indépendante rattachée au système des Nations Unies.
Aussi est-il important de respecter deux conditions essentielles qui devraient guider notre action diplomatique :
– Orienter les négociations sur la base des principes de « justice et d’équité » en renouvelant la double ambition d’une « réduction des émissions globales » et d’une « convergence des émissions par habitant ».
– Créer les conditions d’une véritable coopération entre pays du Nord et du Sud, incluant la problématique essentielle du développement et des transferts de technologie à moyen et long terme.
Ces deux conditions doivent être satisfaites pour affronter le processus de renoncement à l’œuvre en matière climatique. Elles contribueront à initier un autre rapport de force où l’intérêt général climatique prime sur l’intérêt particulier des puissances dominantes, et sur celui des principaux agents économiques et financiers à l’échelle internationale. Dès maintenant, la France peut s’engager dans de nouveaux rapports avec les pays du « G 77 » et les peuples pour définir collectivement des propositions novatrices dans les futures négociations.
La récente adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une déclaration portant uniquement sur la reconnaissance des possibles atteintes à la sécurité liées au changement climatique, ne plaide pas pour ce type de rapprochement, plaçant de fait la lutte contre ce changement climatique sous le seul arbitrage des grandes puissances représentées au sein du Conseil. La réaction de la représentante argentine, s’exprimant au nom du « G 77 », résume bien les craintes que fait peser ce glissement vers un traitement sécuritaire et monopolisé par les « centres » du système : « Est-ce que quelqu’un peut sérieusement soutenir que le Conseil de sécurité est le bon outil pour traiter les pertes agricoles provoquées par la désertification ? Et que les migrations doivent être régulées par des interventions armées ? »
La mise en œuvre rapide de politiques de coopération novatrices, notamment en matière énergétique.
L’urgence de la situation impose aujourd’hui de porter une attention spécifique aux enjeux de développement et à la réalisation d’un véritable droit universel à l’énergie « décarbonée » dans les pays du Sud. La concrétisation de ce « droit à l’énergie » apparaît comme un objectif essentiel tendant à inclure l’ensemble de la communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement et à placer l’ensemble des pays émetteurs face à leurs responsabilités.
Il suppose une impulsion nouvelle en matière de coopération par l’intermédiaire de nouvelles structures de coopération, adossées au système des Nations Unies, ou de structures existantes modifiées, comme un Conseil mondial de l’énergie remanié. Ces structures, regroupant tous les pays et garantissant la voix de chacun d’eux, seraient chargées d’arrêter un certain nombre d’objectifs planétaires contraignants, de contrôler leur mise en œuvre et d’apporter un véritable appui technique désintéressé et permanent pour conseiller les pays du Sud dans leurs choix énergétiques.
La mise en place d’un Fonds international d’aide à la réalisation du droit à l’énergie décarbonée, doté de moyens suffisants, permettrait d’appuyer fortement les investissements vertueux. Alors que les contours de l’annonce de la création d’un Fonds vert, à hauteur de 100 milliards d’euros annuels en 2020, demeurent flous et soumis à la définition de nouvelles « innovations financières » par les grandes puissances, la France pourrait proposer d’asseoir la constitution de ce Fonds international sur la base d’une contribution sur les ressources financières liées aux énergies fossiles et sur un engagement permanent des pays développés, assis en partie sur leurs niveaux d’émissions.
Compte tenu des objectifs portés par le GIEC et du rythme actuel de croissance des émissions, de telles mesures structurelles sont indispensables pour répondre aux enjeux.
Un grand débat public pour la construction de réponses partagées à la crise climatique.
La réduction de 75 % de nos émissions implique des changements de modes de vie, et une réorientation des structures économiques et des outils productifs d’une ampleur considérable. Cette transition énergétique et économique nécessite de replacer l’enjeu climatique au centre du débat public. Car nous constatons un réel décalage entre la prise de conscience générale de la problématique climatique et la connaissance par le plus grand nombre des enjeux diplomatiques, économiques, sociaux et environnementaux réels liés à cette problématique. Ainsi, derrière l’écho médiatique donné aux dernières conférences internationales, le discours ordinaire sur le changement climatique ne met pas suffisamment en perspective les bouleversements sociaux qu’il implique, tout comme il masque les enjeux de pouvoir et de domination des grandes puissances. De la même façon, les fondements idéologiques et politiques des mécanismes négociés à l’échelle internationale ne sont pas présentés.
Par ailleurs, la voix des peuples est régulièrement écartée du contenu des négociations climatiques, comme ce fut le cas à Cancun alors que quelques mois auparavant le Sommet de Cochabamba, en Bolivie, s’était traduit par des exigences fondamentales en matière de réduction d’émissions, de droits nouveaux et de mise en œuvre de politiques internationales de coopération de grande ampleur. Elles n’ont pas pu être présentées et débattues à Cancun pour deux raisons : elles remettaient profondément en cause les logiques du capitalisme mondialisé et la domination qu’entendent maintenir les grandes puissances ; elles rejetaient également les différents outils de marché mis en avant au cours des dernières négociations, notamment à propos de la lutte contre la déforestation. Cette sélection dans le contenu des négociations privilégie toujours plus la parole des experts au détriment de l’intelligence et de la construction populaire de réponses au changement climatique. Ce mécanisme contribue ainsi à renforcer des orientations dominantes dans le traitement climatique, sans que puissent, par exemple, être mises en débat des solutions alternatives aux mécanismes de marché proposés.
Les décisions qui engagent les peuples à moyen et long terme doivent être élaborés et portées avec leur appui. Sans cela, il paraît assez illusoire d’opérer, à la fois efficacement et rapidement, les transitions et les réorientations nécessaires. De même, l’ampleur du défi climatique qui se pose aux sociétés vient profondément remettre en cause les logiques économiques et financières sur lesquelles elles se fondent aujourd’hui. C’est particulièrement le cas pour les pays développés où les logiques de rentabilité à court terme guident aujourd’hui les investissements dans la quasi totalité des secteurs économiques, sans considération des enjeux de long terme. Quant à l’implication des citoyens dans la construction des réponses politiques en matière de lutte contre les émissions de GES, elle est très insuffisante. Aussi, la France doit-elle ouvrir un grand débat national sur les objectifs à atteindre et les politiques publiques à mener dans le cadre d’une planification écologique : investissements à réaliser d’ici 2020, transition énergétique et maîtrise de la demande, gestion publique des secteurs clés en matière d’émissions comme les transports et l’habitat, adaptation des modes de vie…
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale :
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement,
Considérant les bases scientifiques et physiques des changements climatiques, ainsi que les conséquences, l’adaptation et la vulnérabilité aux changements climatiques présentées dans le quatrième rapport du GIEC en 2007 ;
Considérant les recommandations du rapport du Groupe de travail III sur l’atténuation des changements climatiques de 2007 ;
Considérant l’accélération des émissions de GES au cours de la dernière période, et les besoins de parvenir à une réduction rapide des émissions pour maîtriser le changement climatique et ses conséquences sur la vie humaine et les écosystèmes ;
Considérant les engagements internationaux des Parties, pris à Copenhague et à Cancun, sur la « limitation de l’élévation de la température mondiale à 2 degrés Celsius, voire 1,5 degré » ;
Considérant l’état d’avancement des négociations climatiques dans le cadre de la préparation de la Conférence de Durban, fin 2011, et du Sommet de la Terre de Rio en 2012 ;
Demande que le Gouvernement français agisse aussi bien au sein de l’Union Européenne que sur le plan international pour la conclusion d’accords contraignants en mobilisant le maximum d’États sur des objectifs significatifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre dès 2020, voire 2015.
Invite le Gouvernement français à proposer l’instauration d’une politique de coopération, notamment énergétique, avec l’ensemble des pays du Sud, dans le cadre de la conférence de Durban.
Souhaite que notre pays lance un grand débat public sur la nécessaire maîtrise du réchauffement climatique, sur la gravité de ses conséquences potentielles, et sur les mesures à prendre pour le maîtriser dans le cadre d’une planification écologique.
PR n° 3815 - sur les engagements internationaux à tenir en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de la préparation de la Conférence de Durban (CoP 17)
Publié le 14 octobre 2011
André
Chassaigne
Jean-Paul
Lecoq
Daniel
Paul
Jacques
Desallangre
Jean-Claude
Sandrier
Jean-Jacques
Candelier
Marc
Dolez
Marie-George
Buffet
Marie-Hélène
Amiable
le texte de la proposition
A la Une
Dernières vidéos de André Chassaigne
Intervention d’André Chassaigne le 22 juillet 2020 devant la Commission des Affaires européennes lors de l’examen d’un rapport d’information sur la politique européenne de voisinage.
ReplierIntervention d’André Chassaigne (PCF) devant la Commission de la Défense nationale et des Forces arméees, le mercredi 22 juillet 2020, sur le rapport d’information sur les systèmes d’armes létaux autonomes.
ReplierDébat organisé le 14 septembre 2019 à la Fête de l’Humanité avec André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme et Président du groupe communiste à l’Assemblée nationale et Jean-Baptiste Moreau, député LREM de la Creuse, chargé des questions agricoles, ancien rapporteur de la loi EGALIM. Présentation Julien Brugerolles.
ReplierIntervention d’André Chassaigne (PCF) lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le 17 juillet 2019.
ReplierIntervention d’André Chassaigne (PCF) lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le 17 juillet 2019.
ReplierIntervention d’André Chassaigne (PCF) lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le 17 juillet 2019 - Motion de rejet préalable.
ReplierDernières vidéos de Jean-Paul Lecoq
Intervention du 30 octobre 2024 en Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, en réaction à l’examen pour avis de la mission "Immigration, asile et intégration" du Projet de loi de finances 2025.
ReplierIntervention en hémicycle le 25 octobre 2024 pour exposer la position du groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine sur l’article 40 (recettes de l’État affectées au budget de l’Union européenne) du Projet de loi de finances 2025.
ReplierEn commission des Affaires étrangères, j’ai pu revenir sur la question du droit international autour de la question de Mayotte.
Les spécialistes invités étaient tous unanimes pour critiquer la position du droit international et chercher des excuses à la France pour ce premier référendum illégal mené en 1974... Seul face aux autres intervenants pour défendre la position du droit international, j’ai dû tenir bon !