Propositions

Propositions de résolution

PR n° 2379 - création d’une commission d’enquête sur la situation de l’industrie faïencière et céramique du Nord-Pas de Calais, et sur les dispositifs appliqués au sein d’une entreprise-phare, la SA Desvres

présentée par Mesdames et Messieurs
Alain BOCQUET, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Début décembre 2009, la direction de l’entreprise SA Desvres (Pas-de-Calais), fait connaître un projet de « restructuration » imposant la fermeture d’un site de production (Desvres Longfossé) et la suppression de 67 emplois.
Dans le prolongement de cette décision, délégués du personnel et responsables syndicaux diffusent une information dénonçant ces dispositions couperet, et contestent la délocalisation de la moitié, dans un premier temps, de la production en Turquie… L’autre moitié pouvant être transférée, précisent alors les organisations syndicales, chez « Villeroy & Boch (qui est la propriété du groupe Vitra, détenu à 51 % par des capitaux turcs) ».
L’initiative prise par l’intersyndicale : « Vivre et travailler à Desvres ; non à la fermeture » s’inscrit dans l’objectif de s’opposer à une dégradation brutale de la situation que préparait, courant octobre 2009, la définition d’un plan d’actions « seniors » de l’entité Desvres, s’appliquant aux salariés de trois sociétés dont les sièges sociaux sont établis dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais : la Cofrac (97 salariés, fin novembre 2009) ; la Cermix (100 salariés) et la SA Desvres (279 salariés) ; soit un total de 476 dont 67 sur le site de Desvres Longfossé.
« Les sociétés Desvres, Cermix et Cofrac, peut-on lire dans le préambule du plan d’actions « seniors », constituent un ensemble industriel et commercial dédié à la conception, à la fabrication et la commercialisation de carrelages, et de produits de mise en œuvre (mortiers et colles à carrelage). »
La SA Desvres produit par exemple, rappelle encore l’intersyndicale, 1 800 000 m² de carrelage par an.
Le type de difficultés qui se rencontre fin 2009 n’est pas nouveau dans cette industrie. Et ce constat rend plus intolérable encore la radicalité des moyens mis en œuvre pour y répondre : liquidation d’une unité de production et de dizaines d’emplois ; délocalisation des productions.
Par phases successives et contrastées, la réalisation des poteries vernissées, puis la faïencerie dès le xviiie siècle, puis encore, la production de carreaux et de carrelages ont constitué les principales étapes de développement d’une industrie et d’une création et production artistiques qui ont fait très tôt dans le monde, la réputation de Desvres.
Des villes comme Boulogne-sur-Mer, Hesdin, Saint-Omer ont accompagné cet essor, avec des fortunes diverses. Mais Desvres, au cœur du bassin d’emploi boulonnais, constitue le centre d’une activité riche d’une longue tradition appuyée sur de solides savoir-faire étayés par des brevets qui, note l’intersyndicale de la SA Desvres, « quitteraient la France pour devenir la propriété de capitaux étrangers ». Quitte à continuer d’utiliser la signature prestigieuse de la ville de Desvres !
Directement alerté, fin janvier 2010, de l’imminence de décisions préjudiciables à tous points de vue (économique, social, territorial et culturel), et susceptibles de porter un coup fatal à l’industrie faïencière et céramique du Nord-Pas-de-Calais, le ministère de l’industrie s’est tenu à renvoyer sur les services de l’État en Région, la tâche de suivi et en fait, d’accompagnement « social » de cette casse délibérée.
Pour la direction de l’entreprise et du groupe, la voie était donc libre et rien n’interdisait plus d’accélérer la liquidation engagée.
On voit pourtant l’ampleur des enjeux, tant en termes d’emplois qu’en termes d’activité créatrice et industrielle sachant, qui plus est, que des exemples existent dans l’arrondissement, de la capacité de ce secteur économique, divers dans ses champs de production, à se maintenir, à réussir et à se développer.
En témoigne ainsi l’information consacrée dans le numéro d’avril 2008 de la revue de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Boulogne, à la société « Atelier céramique Régnier », qui met l’accent sur l’existence d’un marché européen, pour les producteurs de ce territoire.
Bien évidemment, ce serait l’un des objets de la commission d’enquête parlementaire consacrée au devenir de l’industrie faïencière et de production de carrelage du Nord-Pas-de-Calais à partir du cas de la SA Desvres, que de préciser les pistes économiques susceptibles de permettre sa relance et la conquête de nouveaux marchés.
Un rapport d’expertise économique met en cause la gestion des marchés nord-européens (britannique par exemple) au sein de la SA Desvres. La question est donc posée, y compris, d’examiner comment ces enjeux sont pris en compte par l’ensemble de cette industrie, et quelle perspective d’essor résulterait des stratégies commerciales et industrielles qui devraient être engagées ou renforcées pour progresser à l’intérieur de ces marchés étrangers.
On sait qu’avant le drame du World Trade Center du 11 septembre 2001, dans lequel disparurent les relais américains de l’industrie faïencière, les États-Unis représentaient un débouché naturel important. Près de dix ans après, une des questions qui se posent est précisément de savoir comment retrouver le chemin de cette exportation outre-Atlantique.
En juin 2006, une note de la DRIRE du Nord-Pas-de-Calais consacrée à la zone d’emploi du Boulonnais rappelait : « Le territoire est également structuré par la présence d’un système productif local faïencier à Desvres. La ville est en effet connue pour sa tradition de pièces faites à la main dans des décors aux styles célèbres. Desvres est aujourd’hui le dernier centre de production céramique du Nord–Pas-de-Calais. »
Cette même note évoquait d’ailleurs les efforts mobilisés pour protéger et pérenniser ces activités. La reconnaissance par la DIACT (Direction interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires), depuis 1999, de la Communauté de communes du pays de la faïence de Desvres comme pôle faïencier, s’inscrivait dans ce cadre.
« Une diversité d’actions en ont découlé pour affirmer l’identité des activités liées à la faïence, à leur renouveau et à leur promotion : la mise en œuvre d’un système productif local en 1999, puis la définition d’un plan d’actions économique et territorial spécifique avec la mise en place de la plateforme faïencière (…), la Drire, grâce aux programmes “actions collectives” a cofinancé des actions transversales : mise en réseau d’entreprises (SPL), promotion industrielle à travers l’apport au territoire et à ses industries des compétences d’un designer de renom international, étude de faisabilité sur la mise en place d’un pôle design en réseau avec les autres sites faïenciers de France. »
Ces éléments d’étude datent de 2006. Quatre ans après il serait également utile qu’une commission d’enquête parlementaire revienne avec les intéressés, entreprises, salariés, élus territoriaux, services de l’Etat, sur l’ensemble de ces données. Ce serait d’autant plus nécessaire que l’activité faïencière, on l’a compris, présente deux dimensions, l’une mettant l’accent sur la relation avec les métiers d’art, l’autre de vocation davantage industrielle (production de carrelage) sans que la création en soit non plus absente.
C’est vers cette activité-là qu’est tournée la SA Desvres, filiale du groupe Koramic.
La lettre adressée le 29 janvier 2010 au ministre de l’industrie évoquait précisément ces liens d’intérêt et l’atout en résultant pour permettre à la SA Desvres de gérer la situation présente, sans casse de l’outil de production, ni suppressions d’emplois.
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur d’attirer voter attention sur la situation dramatique que connaissent les salariés de la SA Desvres (Pas-de-Calais) confrontés à la décision du groupe Koramic dont elle est filiale, de fermer le site de production de Longfossé et de supprimer plus de 60 emplois.
Entreprise de fabrication de carrelages muraux et de sols, la SA Desvres produit chaque année 1 800 000 m² de carrelage.
Elle est partie intégrante d’une industrie faïencière et céramique en perdition, la Drire Nord Pas-de-Calais soulignant déjà en juin 2006 dans une étude consacrée à la zone d’emploi du Boulonnais, que « Desvres est aujourd’hui le dernier centre de production de céramique du Nord–Pas-de-Calais ».
Une demande de commission d’enquête parlementaire sur la situation de l’entreprise faïencière et céramique du Nord Pas-de-Calais, sur les moyens de son maintien et de son développement est en cours de dépôt à l’Assemblée nationale, à mon initiative.
Mais au-delà des enjeux qui s’y attachent, préservation d’entreprises et d’emplois, de savoir-faire et de brevets dont l’intersyndicale de la SA Desvres signale le risque qu’ils quittent à terme « la France pour devenir la propriété de capitaux étrangers », il y a l’urgence prioritaire de la fermeture de l’usine de production de Longfossé et du sauvetage des emplois.
Un plan social est annoncé, mais un chèque ce n’est pas un emploi. Des dispositions sont prises pour liquider l’entreprise, délocaliser la production sur la Turquie notamment, démonter tout ce qui peut l’être du parc machines… Ce dépeçage scandaleux est intolérable, de même que le sort réservé aux salariés et aux familles dans un Boulonnais dont le taux de chômage est passé de 11,5 % fin 2008 à 13 % fin 2009. Et quelles conséquences pour les collectivités locales concernées, les activités économiques et commerciales liées à la vie de cette entreprise ?
La SA Desvres est filiale du groupe belge Koramic lui-même intégré au groupe autrichien Wienerberger.
Wienerberger c’est en 2007, si mes informations sont exactes, près de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires ; plus de 260 unités de production dans 26 pays du monde et plus de 15 000 salariés.
Numéro 1 mondial de la brique de structure, n° 1 européen de la brique de façade, n° 2 européen de la tuile de terre cuite, Wienerberger a les épaules qu’il faut pour faire face. Et de même sa filiale Koramic elle aussi à la tête d’un groupe d’entreprises solides disposant de positions fortes.
J’en suis d’autant persuadé que les informations recueillies tant auprès des salariés et de leurs représentants que publiées dans la presse, font état d’une tenue positive des carnets de commande. Pas de chômage technique dans l’entreprise en 2009, c’est dans un Nord Pas-de-Calais où l’industrie a recouru en masse à ces dispositifs, un signe plutôt favorable de bonne santé.
L’urgence, je le répète, est de voir intervenir votre ministère pour bloquer les procédures en cours
Il serait inacceptable qu’une affaire qui se caractérise par délocalisation de productions à l’étranger, liquidation d’un site et casse de plus de 60 emplois passe, comme on dit, comme une lettre à la Poste.
L’affaire est grave et symbolique de ce que peut et doit être l’intervention du gouvernement pour préserver nos atouts industriels, nos compétences et les salariés.
Je vous remercie de me faire connaître quelles suites vous entendez donner pour que le 1er février, jour d’annonce du plan social aux personnels, soit un jour de résistance aux politiques opportunistes et aux appétits financiers de groupes multinationaux, au lieu d’être un jour d’abdication supplémentaire devant l’exigence de la course au profit.
Je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma haute considération.
Alain BOCQUET
SA Desvres, Koramic, Wienerberger, ministère de l’Industrie : toutes les données du problème sont réunies ici, de même que les moyens d’y répondre.
Les certitudes que les salariés tirent de leur vécu au sein de l’entreprise : « on avait un carnet de commandes ; on n’a pas chômé en 2009… », en disent long sur le cynisme du choix conduisant une entreprise et les structures dans lesquelles elle s’insère (ici Koramic et Wienerberger), à faire basculer brutalement ouvriers, techniciens, employés et leurs familles dans l’engrenage du chômage et de la précarité. Tout cela sans parler du coût fiscal et social pour les collectivités territoriales elles-mêmes ainsi frappées.
Nombre d’éléments, longévité de ces industries et activités de production céramique, richesse des savoir-faire acquis, renommée des sites, diversité des productions, perspectives de reconquête des marchés européens ou nord-américain, plaident en faveur de la réalisation d’une commission d’enquête parlementaire sur ces enjeux.
Face à la crise et alors que tous les voyants de l’économie sont au rouge, l’objectif de préserver une activité industrielle importante au sein de l’économie Nord-Pas-de-Calais, de soutenir des entreprises frappées comme la SA Desvres, de sauvegarder les emplois qui s’y attachent et de favoriser les projets prévoyant d’en créer, justifie amplement que se constitue une telle commission.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Il est créé en application des articles 140 et suivants du règlement, une commission d’enquête de 30 membres, sur la situation de l’industrie faïencière et céramique du Nord Pas-de-Calais, et sur les dispositifs (délocalisation de productions de carrelage, fermeture d’une unité de production et suppressions de plusieurs dizaines d’emplois, transferts de savoir-faire), appliqués au sein d’une entreprise-phare, la SA Desvres.

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Alain
Bocquet

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