Propositions

Propositions de résolution

PR n° 2228 - tendant à la création d’une commission d’enquête sur les stratégies économiques et sociales de l’entreprise Corsica Ferries

présentée par Mesdames et Messieurs
Michel VAXÈS, Daniel PAUL, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Jean-Claude SANDRIER et plusieurs de leurs collègues,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Des milliers de salariés, des centaines de milliers d’usagers, voyageurs à titre personnel ou professionnel, des centaines d’entreprises sous traitantes ou prestataires de services, l’ensemble de la population en Corse, sont directement concernés par l’enjeu prioritaire de la desserte aérienne et maritime de la Corse.
Créée en 1976, il y aura bientôt 35 ans, la dotation de continuité territoriale témoigne de la reconnaissance d’une spécificité : celle du handicap que représentent l’insularité et l’isolement géographique de la Corse.
L’engagement des opérateurs historiques que sont : la CCM, Air France, la Compagnie méridionale de navigation (CMN) et la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), constituait et constitue encore aujourd’hui la condition de l’indispensable prise en compte des exigences du service public : égalité des citoyens insulaires et continentaux, solidarité des territoires, transport de qualité respectueux de l’environnement et générateur de retombées économiques et sociales dans l’intérêt des populations concernées.
Mais on est encore très loin du compte, et les évolutions actuelles menacent d’une récession sans précédent.
Il est donc de la responsabilité directe et première du gouvernement, en relation avec les assemblées régionales de Corse et Provence-Alpes-Côte d’Azur, et l’ensemble des partenaires économiques et sociaux, d’impulser en toute transparence les décisions nécessaires à son maintien et à son développement.
C’est notamment vrai et urgent en matière de transport maritime, qu’il s’agisse de l’acheminement des voyageurs ou du fret, au départ des différents ports continentaux (Marseille, Nice, Toulon) concernés, et des ports insulaires.
Or l’actualité de ces dernières semaines et derniers mois est marquée par le plus grand mutisme sur la réalité des intentions du Gouvernement et de l’exécutif de l’Assemblée territoriale de Corse en collaboration avec les dirigeants des compagnies SNCM, CMN, Corsica Ferries et Moby Lines, mais aussi par la colère et la détermination des marins et officiers de la Marine Marchande.
En effet, ces derniers sont très préoccupés par la mise en œuvre d’un nouveau dispositif adopté par une minorité de conseillers territoriaux de l’Assemblée de Corse (seul le groupe UMP a voté « pour ») sous la menace d’une mise en cessation de paiement de l’Office des Transports de la Corse ! Menace rendue possible par la dérive volontaire et contraire à la réglementation, depuis 2002, du financement public de la Corsica Ferries via l’aide dite à caractère social au passager transporté, à laquelle vient s’ajouter la non-indexation de la dotation de continuité territoriale depuis la loi de finances 2008 et pour la première fois depuis 1976.
Aussi ce nouveau dispositif financé par l’argent du contribuable conforte-t-il le régime d’aides individuelles dîtes à caractère social, directement versées aux compagnies qui opèrent sous pavillon international au cabotage national, pavillon équivalent au RIF et retiré des liaisons passagers sur le Transmanche. Le tout financé par l’argent des contribuables, sans contrôle et forfaitairement ! Du coup « Moby Lines » vient chercher sa part du gâteau à compter du 1er avril prochain avec un navire de plus de 30 ans entre Toulon et Bastia, ce qui va donc favoriser dumping social et déréglementations.
C’est contribuer au travail de sape de la délégation de service public, et à l’objectif non avoué, de démantèlement des compagnies CMN et SNCM dont l’État est actionnaire et garant du partenariat.
D’aucuns n’attendent que cette occasion pour s’imposer sur l’ensemble de la desserte et s’emparer des fonds publics et des parts les plus juteuses du service.
Comble de l’ironie, après avoir obtenu sa revendication de réduire l’activité d’un car Ferry en période hors saison pour la SNCM, Corsica Ferries attaque au même moment la délégation de service public en cours (attribuée à la SNCM et la CMN pour la période 2007-2013 pour les lignes Marseille-Corse) auprès de l’Autorité de la concurrence, autorité chargée de faire appliquer les règles de la concurrence sous la compétence juridique exclusive de l’Union européenne depuis l’entrée en vigueur le 1er décembre dernier du Traité de Lisbonne. Corsica Ferries a largement tiré avantage de la mise en place du régime et de l’aide dite à caractère social au passager transporté.
À l’opposé d’une telle politique publique, il faudrait des dispositions évitant cette guerre concurrentielle et le gaspillage des fonds publics, les mesures instaurées n’ayant abouti qu’à tailler des croupières dans le service public, que ce soit pour le transport des voyageurs ou celui du fret. Il en va de l’intérêt général que ce soit pour les usagers, les salariés et les entreprises concernées par l’activité des compagnies SNCM et CMN (4 000 emplois directs et induits en régions Corse et PACA), mais également du développement de la Corse avec un transport sûr et de qualité. Les pratiques de dumping tirent les armements et l’entretien des navires vers le bas avec des risques de pollution ou d’accidents maritimes déjà constatés. Corsica Ferries a ainsi été condamnée en 2004 à 490 000 € d’amende pour avoir dégazé au large du Cap Corse en zone écologique protégée durant une liaison Bastia-Nice (l’étendue de la pollution aux hydrocarbures était longue de 22 km sur 5 à 30 km de large selon la Marine mationale). Près de 200 pollutions dues à des rejets illicites ont lieu chaque année en Méditerranée, au large des côtes françaises, selon le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage en Méditerranée (Crossmed), sans que les auteurs soient forcément identifiés.
Filiale de la holding Lozali basée en suisse (hors CEE) et rattachée à la banque du Gottardo, recourant à la flotte Lota Maritime dont l’essentiel est affrété avec des contrats exclusifs sur trois sociétés italiennes, Corsica Ferries tire un réel profit du trafic avec la Corse, au détriment des compagnies SNCM et CMN tant sur le fret que sur les passagers grâce à l’argent public.
Les chiffres connus font état de l’emploi de 30 navigants nationaux sur les 14 navires de la Compagnie. Ils sont à comparer aux 1850 navigants sous pavillon de premier registre français employés par les compagnies SNCM et CMN (1 400 CDI, 450 CDD, 1 700 ETP) pour 13 navires. S’y ajoutent 650 sédentaires. 2 500 personnes sont donc employées directement par ces compagnies, 900 résidant en Corse, auxquelles s’ajoutent 230 entreprises ou prestataires de services insulaires, et plus de 50 millions d’euros de dépenses réalisées, hors impôts et taxe sur les transports. Pour exemple, la SNCM verse 88 % de sa taxe d’apprentissage en Corse.
Des chiffres sur la redistribution et l’utilité de l’argent public dépensé qui sont sans commune mesure avec la Corsica Ferries. Beaucoup de questions se posent sur son statut au sein du groupe auquel elle appartient ; sur ses moyens en fonds publics et leur emploi ; sur le respect des règles sociales du pays d’accueil et l’utilisation d’un pavillon au registre international ; sur les stratégies de navigation de l’entreprise par exemple sur une question aussi essentielle que l’environnement après le scandale du Méga express pris en flagrant délit de dégazage au large du Cap Corse.
La création de la continuité territoriale en 1976 a instauré une dotation de finances publiques fondée sur les principes de solidarité nationale et de Service Public, ligne spécifique au budget de la nation qu’il faut préserver.
Ce choix politique qui vise à compenser le handicap de l’insularité et à créer un service public de qualité, sûr, efficace et régulier douze mois sur douze, mis en œuvre dès 1976, demeure plus que jamais d’actualité. Cependant, les dérégulations rampantes opérées sous prétexte de « compétitivité », de « libre concurrence » ; les exigences d’une Europe libérale, Europe des marchés, pèsent lourd.
La plus totale transparence est donc nécessaire dans l’examen urgent de la situation à laquelle à laquelle nous sommes arrivés afin de veiller :
– à ce que les fonds publics n’aient pas été détournés vers des paradis fiscaux tel que la Suisse
– au respect et à l’encadrement de la règlementation maritime en matière sociale mais aussi de sécurité et de respect de l’environnement sur le cabotage national
– à la mise en œuvre de propositions qui d’intérêt général qui régulent la concurrence conformément aux engagements du chef de l’État, notamment dans son discours de Toulon en 2008 et lors du lancement des États généraux de l’industrie le 15 octobre 2009.
Les enjeux de transport maritime entre la Corse et le continent ; l’avenir et les missions de la SNCM et de la CMN ; les problématiques du développement de la Corse ; la menace réelle d’une ouverture totale du service public maritime de continuité territoriale aux compagnies qui pratiquent le dumping social et fiscal : autant d’éléments qui concluent à la nécessité de mettre en œuvre une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur le statut de Corsica Ferries à l’intérieur de son groupe, du montant et du circuit des fonds publics dont elle a bénéficié, de ses stratégies ; de la politique de financement public du transport maritime Corse-Continent et de ses enjeux sociaux, économiques, de sécurité et environnementaux ; et de l’utilisation de la dotation de continuité territoriale.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Il est créé, en application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de 30 membres chargée de faire le point : de l’utilisation de l’enveloppe de continuité territoriale ; des stratégies et politiques économiques et sociale de l’entreprise Corsica Ferries France ; de son statut au sein des holdings auxquelles elle est liée ; de l’emploi des fonds publics dont elle a pu bénéficier ; des enjeux de développement d’un service public de transports maritimes Corse-continent qu’elle contribue à troubler à l’heure où des milliers d’emplois directs et indirects sont menacés.

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Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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