présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Jacques CANDELIER, François ASENSI, Alain BOCQUET, Marie-George BUFFET, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les évènements survenus en Côte d’Ivoire et l’implication volontariste des forces armées françaises dans une guerre civile sous le Gouvernement précédent interrogent. Auraient dû être défendues la neutralité quant aux enjeux internes ivoiriens et les valeurs intemporelles et universelles qui sont les fondements de l’État français. Il était impératif que la souveraineté du peuple ivoirien soit respectée, car au regard du droit international et particulièrement de l’article 2§4 de la Charte des Nations unies, il est inacceptable qu’une puissance étrangère s’immisce dans le déroulement des affaires internes d’un pays quel qu’il soit. Dès lors, le rôle joué par la présence militaire de la France en terre ivoirienne, ancienne colonie, peut être considéré comme ambigu et problématique.
Seul le respect des principes et des valeurs portés par le droit international doivent en tout temps et en tout lieu prévaloir. Pourtant la France, mandatée par l’ONU pour protéger les populations civiles, s’est possiblement rendue coupable de complicité de meurtres de masse, voire d’épuration ethnique à Blolequin ou à Duékoué, en étant l’allié objectif et parfois agissant des forces présentées aujourd’hui comme républicaines.
À l’automne 2002, Le gouvernement français avait refusé l’application des accords de défense à une Côte d’Ivoire en proie à une rébellion armée approvisionnée par un pays voisin. Un cessez-le-feu avait été imposé et entérinait la partition du pays.
À cette même époque, dans le cadre des accords de défense signés le 24 août 1961 entre la France et la Côte d’Ivoire, la France a envoyé sur place la « Force Licorne » qui, dès le départ, a mené une opération militaire, indépendamment de l’opération de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).
Cette Force fut longtemps composée de groupements tactiques interarmées, répartis sur l’ensemble du territoire du pays, comprenant des unités de différentes armes ou services (infanterie, cavalerie, train, service de santé, actions civilo-militaires, etc.), d’un bataillon de l’aviation légère, d’un bataillon logistique (BATLOG), d’escadrons de gendarmerie mobile, d’unités prévôtales et d’un groupement de transport opérationnel (GTO) de l’armée de l’air.
En janvier 2003, lors des accords de Marcoussis, la diplomatie française imposa la mise en place d’un gouvernement de réconciliation nationale intégrant des représentants de la rébellion et la mise en œuvre d’un programme abordant les principaux sujets de fond à l’origine de la crise ivoirienne (nationalité, propriété foncière rurale, éligibilité, restructuration de l’armée, désarmement de la rébellion). À Abidjan, des manifestants refusèrent que les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur soient confiés aux rebelles, comme le prévoyait l’exécutif français. L’objectif était la tenue d’élections démocratiques à la fin de l’année 2005, mais elles ont été repoussées parce que les conditions organisationnelles pour des élections transparentes (notamment le désarmement) n’étaient pas réunies.
Le 4 avril 2004, l’ONUCI (6 240 hommes) prit le relais des contingents de la CEDEAO, aux côtés de la force Licorne.
À partir de cette date, la principale mission de la force Licorne est de soutenir l’ONUCI. Elle constitue une force de réaction rapide de troisième rang susceptible d’agir au profit de la force onusienne, celle-ci intervenant en soutien à l’action des forces armées ivoiriennes. Par ailleurs, la force Licorne peut, si besoin est, assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers.
Le 6 novembre 2004, l’aviation gouvernementale ivoirienne effectue un raid aérien sur la position française de Bouaké. 9 morts et 37 blessés parmi les soldats français (2e régiment d’infanterie de marine, régiment d’infanterie-chars de marine, 515e régiment du train) sont à déplorer. Les forces françaises ripostent, quinze minutes après l’attaque, en neutralisant, sans les détruire, l’ensemble des forces aériennes ivoiriennes présentes sur la base de Yamoussoukro.
Selon les autorités françaises, soutenues par une résolution des Nations Unies, cette interposition aurait permis d’éviter une guerre civile et de nombreux massacres.
Depuis mars 2008, les structures ont changé, le bataillon logistique et le GTIA43 ont été dissous et l’ensemble des fonctions logistiques et du soutien sont assurés par la base de soutien à vocation interarmées stationnée à Port-Bouët.
L’opération Licorne a impliqué plus de 5 000 hommes et femmes au plus fort de la crise en novembre 2004. Les troupes françaises ont été ramenées à 2 400 militaires depuis août 2007, puis à 1 800 hommes à partir de mars 2008.
Le 31 juillet 2008, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé de six mois les mandats de l’ONUCI et de l’opération Licorne dont le nombre de militaires a été ramené à 900. Prolongés jusqu’au 31 janvier 2009, nos soldats devaient sécuriser l’élection présidentielle qui devait alors se tenir le 30 novembre 2008.
Au mois de février 2011, la Force Licorne, renforcée, passe à 1 100 hommes et est redéployée dans le but de protéger les ressortissants français, d’apporter un soutien à l’ONUCI et de détruire les armes lourdes des forces pro-Gbagbo utilisées contre des civils. Depuis le 2 avril, des éléments de commandement et trois compagnies – 2e REP, RMT et 3e RPIMa – ont été projetés afin de renforcer les effectifs de la Force Licorne. Il y avait alors 1 650 militaires français à Abidjan.
En avril 2011, suite à la résolution 1975, le Conseil de sécurité de l’ONU réaffirme son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de l’unité de la Côte d’Ivoire, et rappelle l’importance des principes de bon voisinage, de non-ingérence et de coopération régionale et accueille avec satisfaction la résolution A/HRC/16/25, adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 25 mars 2011, notamment la décision de dépêcher une commission d’enquête internationale indépendante chargée d’enquêter sur les faits et circonstances entourant les allégations de graves violations des droits de l’homme perpétrées en Côte d’Ivoire à la suite de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010,
Le 4 avril 2011, les soldats de l’ONUCI et les militaires français de la Force Licorne ont commencé à bombarder les pièces d’artillerie des troupes loyales à Laurent Gbagbo ainsi que certains lieux tels que la RTI. L’ONUCI et la France ont justifié leur intervention en s’appuyant sur la résolution 1975 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 30 mars 2011, qui donnait mandat à l’ONUCI d’utiliser « tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils (…) y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile ».
Le 11 avril 2011, les FRCI avec l’appui de l’ONUCI et de la Force Licorne ont arrêté Laurent Gbagbo.
Amnesty International, dans son rapport -AFR 31/002/2011, Amnesty International, mai 2011 – signale que « les forces internationales (à la fois les soldats français de la Force Licorne et les forces de maintien de la paix de l’ONUCI) ont joué un rôle clé en Côte d’Ivoire depuis leur intervention dans cette crise. » Ajoutant que « la légitimité de la présence de ces forces de maintien de la paix a été remise en cause (…) en novembre 2004 et en janvier 2006 » et que par ailleurs ces « forces internationales ont fait usage de la force létale en novembre 2004 et en janvier 2006. »
De nombreuses zones d’ombre entourent cette intervention en Côte d’Ivoire.
Il est important de savoir pourquoi et comment la force Licorne est intervenue, son rôle dans l’avancée des « forces républicaines » vers Abidjan, pourquoi elle n’a pas protégé les populations civiles dans le nord de la Côte d’Ivoire et si des éléments des troupes françaises étaient à proximité de Duékoué.
Par ailleurs, il est impératif de connaître le nombre de victimes imputables aux troupes françaises lors des bombardements visant à protéger les civils ivoiriens.
Mais il est aussi important d’avoir une information sur le rôle des forces françaises dans la capture de M. Gbagbo et de son épouse et où étaient ces troupes lors des exactions commises par les forces républicaines à Abidjan après la capture et l’enlèvement du président constitutionnellement élu de République de Côte d’Ivoire.
Cette commission d’enquête devra étudier toutes les informations disponibles afin de déterminer les éventuelles responsabilités respectives de l’armée française et de l’ONUCI.
Si des initiatives d’apaisement doivent être privilégiées, elles ne peuvent se faire que dans le respect d’une part, de la lutte contre l’impunité qui seule permettrait à la Côte d’Ivoire de ne pas plonger dans la violence, et, d’autre part, du droit international, qui précise que les personnes commettant certaines violations graves du droit international relatif aux droits humains peuvent être tenues pénalement responsables, et du droit international humanitaire, la Côte d’Ivoire étant partie aux quatre Conventions de Genève de 1949 et à leurs deux Protocoles additionnels de 1977. Beaucoup de règles spécifiques figurant dans ces traités sont contraignantes pour toutes les parties à un conflit, y compris les groupes armés. Les violations de nombre de ces règles peuvent constituer des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. L’une des règles fondamentales du droit international humanitaire est que les parties à un conflit « doivent en tout temps faire la distinction entre civils et combattants », et en particulier que « les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants » et « ne doivent pas être dirigées contre des civils ».
Fin 2011, suite à la résolution de la crise, les effectifs de Licorne sont en baisse importante, et passent à 450 personnels. La commission d’enquête pourra largement éclairer sur la nécessité de mettre fin à cette opération Licorne, au profit d’un renforcement de l’ONUCI alors qu’une nouvelle attaque portée contre le camp de déplacés de Nahibly à l’ouest de la Côte d’Ivoire a fait une dizaine de morts et des dizaines de blessés, l’ONU se révélant une nouvelle fois incapable d’assurer la sécurité des populations déplacées. La commission d’enquête pourra ainsi largement œuvrer à la réconciliation des Ivoiriens.
Tel est le sens de la proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur le rôle de la Force Licorne en Côte d’Ivoire que nous vous proposons d’adopter.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En vertu de l’application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres visant à identifier et analyser le rôle de la Force Licorne en Côte d’Ivoire depuis sa première installation.
Propositions de résolution
PR n° 131 - visant à créer une commission d ’enquête sur le rôle de la Force Licorne en Côte d’Ivoire
Publié le 26 juillet 2012
Jean-Jacques
Candelier
Député
du
Nord (16ème circonscription)
le texte de la proposition