Propositions

Propositions de résolution

PR n° 1238 - tendant à la création d’une commission d’enquête sur les suicides en milieu pénitentiaire...

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
91 détenus ont mis fin à leurs jours, depuis le début de l’année 2008, dans les prisons françaises.
En 2007, 97 suicides avaient été recensés pour l’ensemble de l’année, en 2006, 96.
L’observatoire international des prisons (OIP) a constaté que leur nombre représentait environ 18 % de plus que l’année dernière à la même époque.
L’émotion et les interrogations que cette situation suscite sont d’autant plus vives que les cas se sont multipliés dans la dernière période et ont concerné des mineurs.
Cinq jeunes se sont donné la mort en détention en quatre mois.
Le 8 octobre dernier, il s’agissait d’un mineur de 16 ans et demi retrouvé pendu avec un drap dans sa cellule de Metz après son transfert de la maison d’arrêt de Strasbourg. Cet adolescent avait déjà fait une tentative de suicide.
Le 6 octobre, Nabil, un jeune de 16 ans, l’avait précédé à la prison de Metz Queuleu.
Quatre suicides ont été relevés dans cet établissement considéré comme pilote depuis le début de l’année.
Mais il n’est pas isolé. Fleury Mérogis a enregistré 5 suicides en 2008, Fresnes, 6, Villefranche sur Saône, 3. 28 maisons d’arrêt ont été concernées sur l’ensemble du territoire. Le nombre en est d’ailleurs sans doute plus élevé, si nous considérons que sur ces 91 cas recensés, pour 36 d’entre eux, l’administration pénitentiaire ne précise pas l’établissement dans lequel ils ont eu lieu.
Une telle dégradation des conditions de vie dans les prisons françaises conduisant des détenus au désespoir et au suicide ne peut que nous interroger à la fois sur les drames humains que cela représente, mais aussi sur l’état de l’institution pénitentiaire, sur l’écart croissant entre ses missions dans un état républicain de droit et la réalité de ce qu’elle est devenue.
L’OIP relève, pour sa part, dans un communiqué du 9 octobre 2008, l’indigence de la politique de prévention des suicides à l’égard des mineurs détenus, déplore qu’aucune stratégie spécifique n’ait été mise à jour alors même que la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait demandé, dès décembre 2004, qu’une étude comparative soit réalisée pour mesurer précisément les spécificités du phénomène de suicides des mineurs détenus (CNCDH, Étude et propositions sur les mineurs en milieu carcéral, 16 décembre 2004).
Plus globalement, l’OIP demande à l’administration pénitentiaire de rendre publics sans délai :
– le nombre de suicides survenus depuis le début de l’année 2008 dans les prisons françaises,
– les rapports annuels de la commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral,
– le bilan intermédiaire élaboré par cette même commission au terme du premier semestre 2008.
La France vient, par ailleurs, d’être condamnée, le 16 octobre dernier, à l’unanimité par la Cour européenne des droits de l’homme, pour n’avoir pas protégé le droit à la vie d’un détenu psychotique, qui s’était pendu dans une cellule disciplinaire en juillet 2000. Non seulement celui-ci n’avait sans doute rien à faire en prison et aurait dû être hospitalisé dans un établissement psychiatrique, mais, en outre, il n’avait pas été tenu compte de ses tendances suicidaires, qui l’avaient déjà conduit à passer à l’acte et nul ne se préoccupait de vérifier qu’il suivait le traitement qui lui avait été prescrit.
Notre pays est régulièrement montré du doigt pour son irrespect des recommandations du Conseil de l’Europe sur les règles pénitentiaires.
Dans la nouvelle version de ces dernières adoptée le 11 janvier 2006, neuf principes fondamentaux sont édictés :
1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.
2. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.
3. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquels elles ont été imposées.
4. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.
5. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison.
6. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté.
7. La coopération avec les services sociaux externes et, autant que possible, la participation de la société civile à la vie pénitentiaire doivent être encouragées.
8. Le personnel pénitentiaire exécute une importante mission de service public et son recrutement, sa formation et ses conditions de travail doivent lui permettre de fournir un haut niveau de prise en charge des détenus.
9. Toutes les prisons doivent faire l’objet d’une inspection gouvernementale régulière ainsi que du contrôle d’une autorité indépendante.
La France est à cent lieues de ces recommandations.
Et sur la situation générale de dégradation des conditions de détention, nous ne pouvons nous satisfaire des déclarations de madame la Garde des sceaux, ministre de la justice, affirmant que depuis 5 ans, le taux de suicide aurait diminué de 20 %.
De la même manière, l’explication selon laquelle les mineurs utiliseraient la tentative de suicide comme moyen de chantage afin d’obtenir la satisfaction de telle ou telle de leur demande apparaît bien dérisoire. Si tel est le cas, comment ne pas s’interroger sur les raisons qui les poussent à une telle extrémité ?
Les mesures annoncées par madame la ministre après le décès du mineur de 16 ans incarcéré à Metz – Queuleu ne sont pas davantage à l’échelle de la situation.
Ainsi a-t-elle déclaré que les mineurs seraient désormais évalués sur les risques suicidaires qu’ils présentent selon une grille, que tout mineur condamné, sur le point d’être placé en détention, devra désormais être présenté au préalable à un magistrat du parquet, qui lui expliquera les raisons pour lesquelles il entre en prison.
L’administration pénitentiaire adresse également aux responsables d’établissements, dans le même esprit, des circulaires visant à faciliter l’accès des détenus aux cabines téléphoniques, à allonger la durée et la fréquence des parloirs, à développer les activités sportives et à augmenter la durée des promenades. Le personnel pénitentiaire fait remarquer, à juste titre, que l’insuffisance en effectifs et en moyens rend difficile la mise en place ces aménagements.
Les directions d’établissements et les personnels travaillent à de meilleures conditions de vie carcérale mais c’est l’ensemble d’une politique pénale qui est en cause.
La répression en est devenue le ressort essentiel et l’enfermement son mode de mise en œuvre.
L’instauration des « peines planchers » a jeté en prison des jeunes délinquants notamment et accru la surpopulation carcérale :
– comment de telles réponses pénales ne nourriraient-elles pas la détresse de personnes inaptes à affronter de tels châtiments dans des prisons reconnues « irrespectueuses de la dignité humaine » ?
– comment ne pas mettre en rapport cette vague de suicides avec une surpopulation qui bat tous les records (64 250 détenus pour 50 800 places) ?
– comment ne pas comprendre que ces gestes correspondent à des pertes d’espoir de détenus qui voient de moins en moins de perspectives de réinsertion à mesure que la justice allonge les peines et que nous constatons que les réponses alternatives (bracelets électroniques, semi-liberté, etc.) sont dérisoirement utilisées ?
Des constats ont déjà été établis. Ainsi, il y a sept fois plus de suicides en milieu pénitentiaire que dans la population générale. Ils se produisent souvent à des moments particuliers : l’entrée et le choc de l’incarcération, certains motifs de l’incarcération comme les crimes touchant des proches, l’arrivée de nouvelles affaires alors que le détenu a bientôt fini de purger une peine, la dégradation sociale importante, l’isolement en quartier disciplinaire…
Ces constats ont des liens immédiats avec la vétusté des prisons, avec le manque de personnel, de structures pour accueillir les primo arrivants, de soins et de suivis psychologiques primo-arrivants pour surveiller la santé des détenus, avec la lenteur du traitement des dossiers par la justice, avec l’insuffisance d’ateliers de travail pour réinsérer socialement et économiquement et avec la situation d’indigence de nombreux détenus. Tous ces sujets ont fait l’objet de propositions qui ne sont pas concrétisées par la loi et dans la réalité.
Beaucoup de détenus ont des problèmes psychiatriques. Ils auraient pu être déclarés irresponsables : l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal est de moins en moins utilisé. Il semblerait que les psychiatres ne veulent pas accueillir ces personnes du fait de l’inadéquation des structures hospitalières. Ainsi, la prison fait de plus en plus office d’asile.
Or le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour accueillir ce type de détenus. Les malades mentaux ou des psychopathes avérés n’ont pas leur place en prison. Ils sont souvent incapables de s’adapter et provoquent parfois le rejet des équipes soignantes.
En ce qui concerne les mineurs, ils ont souvent une personnalité déstructurée, fragile. La prison est particulièrement criminogène pour eux. C’est pourquoi l’esprit éducatif de l’ordonnance de 1945 est toujours aussi pertinent alors que le gouvernement s’applique à la démanteler, confondant sciemment refus de l’impunité et non-reconnaissance de la spécificité du mineur, être en devenir. La détention doit être évitée au maximum. Des mesures différentes doivent être développées. Pour les multirécidivistes, l’existence de centres spécialisés est nécessaire. Pour cela, ils doivent être adaptés et dotés de travailleurs sociaux et éducatifs en nombre suffisant. La véritable lacune de l’ordonnance de 1945 est la faible mise en application concrète de son aspect éducatif. Les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ne le permettent pas. En matière de suicides dans les prisons, les jeunes sont particulièrement concernés, l’actualité nous le montre tragiquement. Un détenu sur cinq a moins de 25 ans, ce qui nous permet de mesurer l’ampleur de l’exigence éducative, d’autant que la plupart d’entre eux ont quitté l’école avant 16 ans.
Dans le rapport parlementaire de juin 2000 dont les conclusions ont été votées à l’unanimité et qui s’intitulait la France face à ses prisons, il est écrit : « Il ne peut être exigé du détenu de respecter à sa sortie des règles de la société si le fonctionnement de l’institution carcérale n’a pas lui-même respecté le détenu en tant que sujet de droit ». Le suicide est souvent l’expression d’une souffrance menant à l’impasse de la mort.
Il y a lieu de la part de la représentation nationale de dresser un tableau d’une expertise nationale sur les suicides de détenus en France et de proposer des mesures concrètes à court terme et à moyen terme pour arrêter ce processus de non-assistance à personne en danger. Il y a urgence à agir.
Sous le bénéfice de ces observations, Mesdames et Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter l’article unique de cette proposition de résolution.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Il est créé une commission d’enquête parlementaire de trente membres afin d’évaluer la situation des suicides de détenus en milieu pénitentiaire en France, d’en dresser une cartographie, d’établir les différents paramètres influençant cette situation, de définir des mesures concrètes pour mettre en place une politique globale de prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Alain
Bocquet

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le texte de la proposition

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