Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de la fusion entre Siemens et Alstom et sur les contre-propositions économiques et industrielles au service d’une filière stratégique pour la France et d’un large projet européen
présentée par Mesdames et Messieurs
Fabien ROUSSEL, Alain BRUNEEL, Marie-George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Hubert WULFRANC.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le mardi 26 septembre 2017, le rapprochement entre Siemens Mobility et Alstom Transport était rendu public. Suivant l’accord présenté, le conglomérat allemand deviendrait le premier actionnaire du futur ensemble, désigné dans le communiqué officiel comme « un champion européen de la mobilité ». Pour les deux présidents des deux groupes, l’ambition du rapprochement est claire : se positionner en concurrent crédible du géant chinois CRRC. Côté chiffres, le futur ensemble européen pèserait 61,2 milliards d’euros de commandes, 15,3 milliards de chiffre d’affaires, 1,2 milliard de bénéfice d’exploitation, 8 % de marge...
Le conseil d’administration serait dominé par Siemens, qui pourra désigner six membres sur onze, dont le président. En contrepartie, le siège mondial du groupe resterait en région parisienne ainsi que la direction de l’activité matériel roulant. Selon la volonté de Siemens, le directeur général d’Alstom sera le patron de la future société, qui sera cotée en France. De son côté, l’actuel dirigeant de Siemens Mobility assumera « une responsabilité importante », sans qu’elle soit encore précisée.
Si l’opération est « loin d’être bouclée », selon le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, elle pose déjà de nombreuses questions. Car c’est un fleuron de l’industrie nationale et le cœur de la filière ferroviaire française qui est touchée, pire, « qui passe sous pavillon étranger ».
L’émotion est à la hauteur des enjeux : La filière ferroviaire française occupe la 3e place mondiale avec un chiffre d’affaires de plus de quatre milliards d’euros dont le tiers réalisé à l’export. Elle emploie plus de 21 000 personnes et induit près de 84 000 emplois sur le territoire national. Elle bénéficie en France des commandes publiques de l’État et des régions.
Cette filière a fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation de l’industrie ferroviaire, dont le rapport a été enregistré le 8 juin 2011, présidée par Alain Bocquet député du Nord. Elle s’organise sous l’impulsion du ministère de l’industrie avec la création d’un Contrat de Filière Ferroviaire entre les différents acteurs et établit une feuille de route jusqu’en 2020. Elle devient une filière stratégique de l’État, inscrite dans la loi n° 2014-872 du 4 aout 2014 et portant création entre autres du Haut Comité du Système de Transport Ferroviaire.
De plus cette fusion s’ajoute à la vente des chantiers de l’Atlantique aux italiens de Fincantieri, accentuant le mouvement d’une France qui perd le contrôle sur son industrie… En quelques années, ce mouvement s’est traduit par l’arrivée de GE dans Alstom après les ventes de Technip, Technicolor, Alcatel, Pechiney… Sans compter la baisse du poids de l’industrie dans le PIB. Ces fusions ou acquisitions se sont traduites par des engagements non tenus, des pertes d’emplois ou des fermetures de sites.
Pour toutes ces raisons, l’annonce, brutale, dans la presse, de la fusion entre les concurrents français et allemands a suscité de nombreuses réactions, tant sur la forme que sur le fond et surtout beaucoup d’inquiétudes, chez les salariés et leurs syndicats, les élus locaux, les présidents de régions et les parlementaires de quasiment tous les groupes.
Quelles sont les conditions dans lesquelles s’est réalisée cette fusion ? Quelle stratégie à long terme, pour l’industrie ferroviaire française, européenne ? Quelle stratégie industrielle de la France ? Voilà le cœur des questions soulevées par cette fusion et auxquelles cette commission d’enquête pourrait répondre.
Une annonce vécue brutalement.
La discussion entre Alstom et les activités ferroviaires de Siemens s’est enclenchée en toute discrétion dès le printemps 2017. Elle s’est accélérée au cœur de l’été, faisant suite à des échanges entre le Président de la République française et la Chancelière allemande, avant d’être dévoilée dans la presse seulement à partir du 20 septembre. D’où les inquiétudes légitimes des salariés de se sentir mis de côté, « tenus à l’écart » d’un processus qui les concerne pourtant directement. Que se sont dit les responsables politiques français et allemands ? Pourquoi la France a-t-elle cédé aussi rapidement, aussi brutalement ?
L’augmentation de capital réservée à Siemens pour lui permettre de détenir 50 % des parts et le choix de l’État français de ne pas utiliser son droit d’option sur les actions détenues par Bouygues interpelle également. « L’État n’exercera pas son option sur les titres détenus par Bouygues », a prévenu M. Bruno Le Maire. D’où la question : comment peser dans le comité de suivi de l’accord, qui sera présidé par le ministre de l’économie et des finances, si l’État n’est pas présent au capital ? En faisant ce choix, la France ne se prive-t-elle pas d’être un actionnaire présent et actif au sein du futur groupe ? Pour beaucoup d’élus locaux, de représentants de salariés, de responsables politiques, c’est pourtant le seul moyen d’intervenir dans les choix industriels d’un groupe, à l’image de l’Airbus dans l’aéronautique où la France, l’Allemagne et l’Espagne détiennent ensemble une minorité de blocage. Pourquoi cette question de la participation de l’État n’est-elle pas discutée de manière approfondie ?
De plus, le protocole d’accord prévoit de verser aux actionnaires français, dont Bouygues qui détient 28 % des parts, deux dividendes spéciaux d’une valeur de 8 euros par action, 4 euros avant l’opération de fusion et 4 euros après. Pourquoi une telle dépense ? « Soit un total de 1,8 milliard à débourser la veille du bouclage final de la transaction, dans environ 18 mois », précise le journal Le Monde. Ainsi, le groupe Bouygues, si la France ne rachète pas ses actions, empocherait un peu plus de 500 millions d’euros. Est-ce pour cette raison que la France ne lève pas ses options sur les actions du groupe Bouygues ?
Enfin, le futur groupe Alstom-Siemens s’engage à ne pas fermer de sites ni de supprimer d’emplois pendant quatre ans. Quid des nombreux intérimaires pendant cette période ? Et après ? Car quatre ans dans le ferroviaire, c’est très court. Il faut compter dix ans entre un appel d’offres et la livraison des trains.
Alors que tous les acteurs concernés sont à la recherche d’un accord raisonnable et équilibré, ces questions doivent être débattues.
Quel avenir pour la filière ?
Car c’est bien autour de la mise en œuvre de la fusion que s’expriment désormais les inquiétudes des salariés, des deux côtés du Rhin. Le volet social ne vaudrait que pour quatre ans. Mais l’accord entre les deux groupes annonce « des synergies potentielles estimées à 470 millions d’euros ». Quel impact pour l’emploi ?
Doivent être préservés, en France, les 8 500 emplois directs chez Alstom et les 500 de Siemens. Mais il faut rappeler qu’en France, Alstom fait travailler, avec ses 12 sites, plusieurs centaines de sous-traitants soit 32 800 salariés, sous-traitants inclus. Il est donc légitime de s’interroger sur le périmètre de cette garantie et sur sa durée pour l’avenir de l’emploi en France et la préservation de nos savoir-faire.
Par ailleurs la garantie de l’emploi concerne-t-elle les autres pays dans lesquels les deux groupes sont implantés ?
Les représentants des salariés redoutent « une casse sociale et la mise en place rapide d’une rationalisation des coûts, inhérente à ce type d’opération » (CGT). « Nous serons très attentifs à ce que les métiers, les filières, les savoir-faire du ferroviaire soient préservés dans une logique non pas financière, mais industrielle », (CFDT).
« La situation de la filière ferroviaire française et celle d’Alstom France nous préoccupent à juste titre. La crise de Belfort et la solution retenue par notre direction de fermer ce site étaient des signes avant-coureurs de ses choix "emploiticides" pour sa partie française. »(FO)
Pour le directeur général d’Alstom France, interrogé par La Voix du Nord dans son édition du 29 septembre 2017, Alstom est au contraire « une société qui va bien, présente sur un marché en forte croissance, celui de la mobilité ». Le constat est engageant. Pourtant, il n’est pas vécu de la même façon par les salariés. S’agit-il dès lors pour les Européens de se mettre à niveau d’une concurrence pratiquant le dumping social ? La crainte chez les salariés et les élus locaux est réelle. Ils l’ont d’ailleurs exprimée directement au ministre de l’économie et des finances, lors de sa visite sur le site d’Alstom Petite-Forêt, le 29 septembre 2017. « En quoi le mariage avec Siemens permettra-t-il de lutter contre les Chinois alors qu’il y aura toujours une différence importante de taux horaire ? ». Tout à fait éclairante, la réponse du ministre est loin de lever toutes les inquiétudes : « L’association avec Siemens permettra des économies d’échelle, une capacité de financement très supérieure et une mutualisation du savoir-faire des deux entreprises et donc de garder l’avance technologique sans laquelle on ne vendra plus de train demain ». Économies d’échelle, mutualisation : le cap du rapprochement est fixé. Mais pour les salariés, le flou demeure. « Nous n’avons, à ce jour, aucun détail sur les futures organisations et stratégies de cette future société », ont-ils déploré au sortir de la rencontre.
Faut-il pour se rassurer s’appuyer sur les déclarations du directeur général d’Alstom dans La Voix du Nord ? Le discours se veut en tout cas rassurant. « Cette opération n’est pas faite dans un but de restructuration pour s’adapter à un marché en crise. Au contraire, c’est une opération offensive, avec une base plus large, pour prendre le leadership ». Offensive, l’opération ? Le mariage offre aussi, de l’aveu même du dirigeant, la possibilité de « moyenner les charges sur les sites et d’éviter les fluctuations telles qu’elles apparaissent à Valenciennes (Petite-Forêt) ». Ne s’agit-il pas plutôt d’anticiper une gestion de la pénurie ? « Les deux entreprises sont équivalentes, sur le même marché, avec des sites de fabrication capables de faire la même chose », s’inquiète le secrétaire général de l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie à la CGT, qui ajoute : « Les Allemands s’en tireront mieux. »
Le rapprochement entre Alstom et Siemens n’inquiète pas seulement les salariés des deux entreprises. Il rebat aussi les cartes pour le groupe canadien Bombardier. Même si, avec « cinq ans de visibilité, le site de Crespin (Valenciennois) se porte bien », selon la direction, les employés, eux, réclament des garanties. Lors du CE extraordinaire du 3 octobre, de nombreuses questions étaient sur la table : délocalisation des châssis bogies vers l’Allemagne, arrivée de la chaudronnerie et de la peinture M7 en provenance de Belgique, externalisation des services généraux (maintenance, accueil, pompiers...) vers de grands groupes... et bien sûr la fusion Alstom-Siemens avec la crainte d’un déplacement du centre de gravité du ferroviaire local vers l’Allemagne. La députée Béatrice Descamps exprimait ces inquiétudes lors des questions au Gouvernement du 3 octobre dernier.
Présent dans 28 pays, mais essentiellement présent en Europe pour sa filière ferroviaire, le groupe canadien ne devrait pas rester inactif. Quel sera son choix ? Un rapprochement avec le chinois CRRC ? Avec le nouvel ensemble franco-allemand ? Pourquoi la France n’a pas poussé à discuter à trois pour unir, en Europe, Alstom, Siemens, Bombardier et pourquoi pas l’Espagnol CAF ? Avec une participation actives des États de l’Union européenne dans le capital de cet ensemble, l’Airbus du ferroviaire était sur les rails !
En excluant Bombardiers du tour de table, quelles seront les conséquences pour ce groupe et pour ses entreprises en France, au-delà de 2021 ? Avec quelles conséquences pour l’emploi ? Pour le directeur général d’Alstom, il n’y a pas lieu de s’inquiéter : « L’industrie ferroviaire est en consolidation. Tout le monde parle avec tout le monde. Le mariage avec Siemens ne crée pas de doublons en France pour le marché français. Cela n’aurait pas été le cas avec Bombardier ». Pourtant les deux groupes Bombardiers et Alstom ont décidé de s’associer pour répondre ensemble aux commandes du Grand Paris. D’autres commandes sont en préparations pour le métro parisien. Alstom et Bombardier pourront-ils encore coopérer ensemble demain » ?
Les questions posées par l’accord présenté le 26 septembre sont donc très nombreuses. Elles sont d’autant plus importantes qu’elles concernent un secteur clé de l’innovation industrielle, à vocation exportatrice. La France est en effet le troisième acteur mondial du ferroviaire en chiffre d’affaires, derrière l’Allemagne et la Chine. Ce qui représente plus de mille entreprises, 21 000 postes directs et 84 000 indirects.
En juin 2011, une commission d’enquête présidée par M. Alain Bocquet, député du Nord, avait produit un rapport sur la situation de l’industrie ferroviaire, production de matériels roulants « voyageurs » et fret. Le texte dressait un diagnostic précis du secteur avant de formuler vingt-cinq propositions. Beaucoup de préconisations font écho au rapprochement récent entre Alstom et Siemens. Exemple avec le secteur de la sous-traitance, mis en avant par le président de la commission dans son avant-propos. « Le secteur de la sous-traitance connaît souvent des difficultés dans ses relations avec les grands donneurs d’ordres, écrit Alain Bocquet, de plus en plus exigeants notamment sur les délais d’exécution et les prix, en faisant planer la menace de trouver à l’étranger d’autres "partenaires". Si ce contexte n’est pas spécifique à cette industrie, force est de constater que l’internationalisation du marché ferroviaire fait courir à des pans entiers du secteur le risque des délocalisations. À cet égard, la problématique du transfert des technologies s’inscrit également au cœur du devenir de la filière française mais aussi européenne. »
Dans ce contexte, qu’adviendra-t-il du travail des sous-traitants français si demain ils n’ont affaire qu’à un seul groupe détenu en majorité par des capitaux allemands ?
Il y a six ans déjà, la commission pointait la nécessité de nouer des alliances avec l’industrie ferroviaire allemande afin de contrer l’offensive de la Chine ou encore de la Corée. Une recommandation exprimée à plusieurs reprises par le président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), évoquant la création d’un « Airbus du ferroviaire ». Même si, selon le délégué général de la FIF, cette idée d’un Airbus ferroviaire européen n’était peut-être pas à prendre au pied de la lettre, elle s’appuie bien sur une réalité. « Dans les réunions auxquelles nous assistons au niveau européen, souligne le délégué de la FIF, tous les constructeurs tiennent le même langage : lorsqu’ils sont en concurrence avec les Chinois, ce n’est pas une entreprise qu’ils affrontent, mais un État. L’idée peut donc faire son chemin. »
Six ans plus tard, le constat est identique, voire renforcé. Fruit d’une fusion imposée par l’État chinois, le numéro un mondial du ferroviaire, CRRC, change les règles en affichant des prix de 20 % à 30 % inférieurs à ceux de ses concurrents. Un exemple ? Le 11 mai 2017, le géant chinois a enlevé un contrat de 24 trains à deux étages pour des liaisons régionales à Montréal. CRRC a battu Bombardier, qui jouait pourtant à domicile, en proposant de fournir les trains pour 69 millions de dollars canadiens (47,4 millions) alors que le contrat de Réseau de transport métropolitain avait prévu un budget de 103 millions de dollars canadiens (70,8 millions d’euros). Comment une telle performance est-elle possible ? C’est tout simple, « CRRC n’a pas besoin d’être rentable », explique Agatha Kratz, chercheuse associée au conseil européen des relations internationales, interrogée par le journal Le Monde. Le groupe touche énormément de subventions de la part du gouvernement ». Comment dès lors lutter à armes égales face à un tel mastodonte, riche de quelque 190 000 employés et crédité d’un chiffre d’affaires de 28 milliards d’euros en 2016 ?
En juin 2011, la commission d’enquête avait livré sa vision d’une coopération entre le public et le privé. « La création d’un consortium et d’une filière apparaît comme la seule réponse à l’arrivée fracassante de groupes industriels soutenus par des fonds souverains, à l’exemple des groupes CSR ou CNR en Chine (devenu depuis CRRC) ou de Rotem en Corée du Sud (...). Ce sont donc les États qui doivent impulser la marche de la filière ferroviaire, mais ils doivent cependant s’appuyer sur les acteurs privés pour réussir le grand projet ferroviaire européen. Il faut donc jouer sur la complémentarité des rôles, des forces et des talents entre l’État qui planifie et peut financer sur le long terme, et les industriels, essentiellement privés, soumis aux lois du marché, et dotés d’une grande flexibilité opérationnelle. Siemens en Allemagne, Alstom en France sont conscients de cette complémentarité. Ils encourageront probablement une démarche construite et raisonnable. »
À l’époque déjà, la commission anticipait sur l’arrivée des constructeurs chinois à une place de premier rang mondial, tandis que Bombardier, groupe nord-américain serait lui aussi bien placé. « Un géant européen – l’Airbus du rail – a du sens. Alstom et Siemens sont les candidats naturels à la création d’un tel groupe. »
Mais tel ne semble pas être le choix du Gouvernement. Alors qu’il reste dix mois de négociations pour valider l’accord, l’État renoncerait à exercer son option sur les actions détenues par Bouygues dans le capital d’Alstom. Une telle précipitation interpelle. Et interroge sur la véritable stratégie de l’État en matière d’industrie.
Alstom va-t-il devenir le symbole du renoncement de la France ? Pour Xavier Bertrand, Président de la Région Haut de France où se concentre de nombreuses entreprises du ferroviaire : « Avec Alstom-Siemens, on ne construit pas un champion européen mais un champion allemand ». Cette fusion avec abandon des participations de l’État dans l’actionnariat signe-t-elle une volonté affirmée de l’État de ne plus participer au capital de groupes ou d’entreprises stratégiques ? Dans ce cas, cette politique nécessite une réflexion approfondie eu égard au 1,4 million d’emplois industriels perdus en vingt-cinq ans ! Des voix s’élèvent d’ailleurs pour dénoncer ce qui s’apparente à un renoncement national.
Longtemps maire de Belfort, fief d’Alstom en France, Jean-Pierre Chevènement défend le patriotisme économique, tel qu’il se pratique un peu partout dans le monde, aux États-Unis et en Chine notamment. Comme d’autres, l’ancien ministre ne comprend pas le renoncement de l’État à monter au capital d’Alstom à hauteur de 20 %. « La présence de l’État au capital aurait permis de fédérer l’actionnariat français pour créer un équilibre avec Siemens dans Alstom Transport », écrit l’ancien député de Belfort dans Le Monde.
Ministre du redressement productif entre 2012 et 2014, Arnaud Montebourg s’interroge lui aussi, dans Le Monde, sur « cette maladie des élites économiques, technocratiques, et politiques qui les conduit à abandonner la France et les Français. L’idéologie, c’est-à-dire la croyance selon laquelle il vaut mieux toujours laisser faire les forces du marché plutôt qu’affirmer la souveraineté de notre pays. Et la méconnaissance des réalités de notre pays et de la qualité de ses savoir-faire ». L’exemple de la vente d’Alstom énergie à l’américain General Electric (GE), vécue comme un « véritable Trafalgar » par Jean-Pierre Chevènement, en est la plus récente illustration. Lors de la cession, en 2014, il avait été promis la création de 1 000 emplois nets dans les trois ans. « À quelques semaines de l’échéance, grince la CFDT, on en est à 1 200 emplois détruits ». La suppression annoncée, d’ici mars 2018, de 345 postes, sur 800 salariés, dans l’usine GE Hydro de Grenoble (qui fait également vivre 600 sous-traitants) donne aux syndicats le sentiment d’une trahison. « Ce n’est pas comme ça qu’on nous avait présenté le mariage entre Alstom et GE », commente un délégué du personnel interrogé par Libération. « GE est en train de briser notre outil industriel ».
Face à tous ces enjeux, si importants pour l’emploi et notre outil industriel, n’est-il pas nécessaire d’auditionner tous les acteurs de cette filière, ainsi que les responsables politiques français et européens pour définir une ambition commune ?
Face à la mondialisation, avec ses menaces, face à la concurrence internationale et notamment le géant chinois, l’Europe a déjà envisagé de se protéger avec, notamment un Buy European Act ? Proposée par le Président de la République lui-même, la mesure permet de réserver l’accès aux marchés publics européens aux entreprises qui localisent au moins une part important de leur production en Europe. Une mesure déjà en vigueur aux États-Unis, en Chine, au Japon ou en Afrique du Sud. La constitution d’un Airbus du rail a-t-elle- été envisagée en tenant compte de cette proposition souhaitée par tous ?
Pour toutes ces raisons et pour répondre à toutes ces questions, nous demandons que l’Assemblée nationale se saisisse de ce dossier et qu’elle adopte la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions dans lesquelles a été préparé l’accord entre Alstom et Siemens et sur les contre-propositions, économiques et industrielles au service d’une filière stratégique pour la France et d’un large projet européen.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En application des articles 140 et suivant du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur les conditions dans lesquelles a été préparé l’accord entre le conglomérat allemand Siemens et Alstom Transport, et sur les contre-propositions économiques et industrielles au service d’une filière stratégique pour la France et d’un large projet européen.