Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la gestion du maintien de l’ordre depuis 2016
présentée par Mesdames et Messieurs
Stéphane PEU, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Notre pays revendique une longue tradition du maintien de l’ordre public à la française qui a été mise en place, dès la fin du XIXème siècle, par le Préfet Lépine au lendemain de la Commune.
Dès lors, notre doctrine du maintien de l’ordre s’est diffusée en Europe. Avec le temps, celle‑ci s’est affinée, au point d’être citée en exemple, lorsqu’en 1968 aucun mort ne fut à déplorer.
Cette doctrine a été conçue de façon à concilier le maintien de l’ordre public et la liberté de manifester, en privilégiant la sécurité des personnes, ce qui implique un usage "retenu" de la force. Le « maintien de l’ordre à la française » a cependant connu une nouvelle phase dans son évolution depuis 1995 avec la généralisation de l’usage des lanceurs de balle de défense et la multiplication des mutilations. Depuis une période récente, la doctrine à la Française fait, à juste titre, l’objet de critiques. Elle apparaît, depuis plusieurs années, inadaptée car elle n’empêche plus les violences, dans un contexte où certaines manifestations mêlent désormais plusieurs types de revendications et d’actions, rassemblent des groupes hétérogènes, non encadrés, peu organisés, avec parfois l’irruption de groupes très violents que n’arrêtent pas les techniques classiques de maintien de l’ordre. Le nombre de blessés graves parmi les manifestants, qui apparaît en constante augmentation, nous oblige à constater aujourd’hui un échec réel de la doctrine du maintien de l’ordre à la Française. Sur la période toute récente, nous devions déplorer, en janvier dernier, un bilan humain et judiciaire extrêmement lourd. Au total, pour le seul mouvement des gilets jaunes, nous dénombrons onze décès, pas moins de 2 200 blessés, dont des blessés graves, et plus de 5 500 interpellations. Le 13 mars dernier, le ministre de l’intérieur a annoncé que l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) a été saisie par la justice de 174 affaires de violences présumées. Parallèlement, du côté des forces de l’ordre, le nombre de gendarmes, CRS ou policiers ayant été blessés lors des manifestations s’élève à près d’un millier à la même date. Les dégâts matériels sont, à leur tour, impressionnants.
Malgré cela, très certainement trop sûre d’elle‑même, la France reste à l’écart des initiatives européennes pour une « désescalade ». Contrairement à plusieurs de ses collègues européens, elle n’a pas mené de réforme d’ampleur pour apaiser les relations avec les manifestants. « En France, les forces de l’ordre disent avoir inventé le maintien de l’ordre et montrent une belle résistance à coopérer et à recevoir des leçons des autres sur leurs stratégies », constate Olivier Fillieule, chercheur en sciences politiques à l’université de Lausanne (Suisse) et au CNRS. L’absence française du programme de recherches Godiac (Good practice for dialogue and communication as strategic principles for policing political manifestations in Europe), soutenu par l’Union européenne (UE) pour trouver de nouveaux moyens d’apaiser les relations souvent tendues entre citoyens et forces de l’ordre lors des manifestations politiques, auquel neuf pays européens ont participé entre 2010 et 2013, est à ce titre révélatrice. C’est bien évidemment regrettable.
Mais pire encore, nous constatons une volonté du Gouvernement de criminaliser les manifestants, pour les réduire à leur degré supposé de violence, au travers de déclarations pour le moins maladroites, voire même dangereuses tant elles tendent à placer les manifestants dos‑à‑dos avec la police. Cette instrumentalisation de la violence contribue à instaurer un climat de tension dans le pays, alors que la crise sociale suggère au contraire écoute et discernement.
Dès lors, et tandis que nous sommes contraints de constater que trop peu de rassemblements ou de manifestations ont pu se dérouler sans heurts au cours des dernières années ‑ en raison, notamment, des violences répétées et organisées par des groupuscules qui mettent en danger la sécurité publique ‑ il nous semble essentiel que notre Assemblée prenne le temps de se saisir de la question de la gestion du maintien de l’ordre par les autorités. Ainsi pourra‑t‑elle être en mesure de formuler des propositions adéquates pour mettre, enfin, un terme aux violences physiques et matérielles qui ternissent le bon fonctionnement de notre démocratie et heurtent tous les principes chers à la patrie des droits de l’Homme.
C’est pourquoi, nous demandons la création d’une commission d’enquête afin d’interroger la doctrine du Gouvernement en la matière afin de l’évaluer, de la comparer et de considérer quelles sont les mesures permettant de garantir la liberté de manifester, la sécurité des manifestants pacifiques, la sécurité des forces de l’ordre et le maintien de l’ordre public. Cette commission d’enquête devra, afin qu’elle soit la plus efficace et la plus pertinente possible, se pencher sur la gestion du maintien de l’ordre au cours des quatre dernières années.
La gestion de maintien de l’ordre doit, en effet, permettre l’exercice de libertés publiques dans le respect de l’ordre public, constitutif de la démocratie. Elle nécessite un strict équilibre entre ces deux exigences, afin que le droit de manifester, essentiel dans tous régimes démocratiques, puisse s’exercer convenablement. Notre vigilance doit être totale ; l’ONU a déjà mis en garde la France pour ses manquements à ses engagements en matière de maintien des libertés fondamentales. Il est temps désormais pour notre pays d’adopter une stratégie du maintien de l’ordre plus protectrice des libertés, plus apaisée, afin qu’il puisse de nouveau, sur la scène internationale, être prise en exemple. Tel est l’objet de cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article unique
Il est créé, en application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres, chargée de faire la lumière sur la gestion par les Gouvernements successifs du maintien de l’ordre depuis 2016.