Propositions

Propositions de résolution

Demande de commission d’enquête pour identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid 19 - n°2817

Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid 19

présentée par Mesdames et Messieurs

André CHASSAIGNE, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.

EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’épidémie de coronavirus est « la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle. » a déclaré le Président de la République lors de sa première intervention télévisée sur le Covid-19, le 12 mars dernier.

« La pandémie est la pire crise mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale, la pire crise depuis que l’ONU a été fondée » a estimé le Secrétaire général de l’ONU ce 31 mars.

Si la dimension historique de cette pandémie sera documentée en temps voulu, ses conséquences sociales, économiques, éducatives ou encore environnementales doivent, au-delà des mesures immédiates, faire l’objet d’une réflexion approfondie de laquelle les Français ne devront plus être exclus. Les auteurs de cette proposition de résolution y prendront évidemment toute leur place.

L’objet de leur présente contribution vise spécifiquement les aspects sanitaires de cette crise. Tous les jours, la France confinée écoute avec effroi la litanie vespérale du Directeur général de la Santé où s’allonge la liste des victimes.

La France constate avec stupeur que son système de santé, classé, il y a encore vingt ans, comme le « meilleur du monde », n’est plus capable d’accueillir tous les malades, cela en dépit de la mobilisation et des efforts souvent héroïques des personnels soignants.

DES MISES EN GARDE CONSTANTES

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Groupe de la Banque mondiale avaient décidé, en mai 2018, de la création d’un Conseil mondial de suivi de la préparation aux urgences sanitaires, visant à renforcer la sécurité sanitaire mondiale au moyen d’un suivi indépendant rigoureux et de l’établissement de rapports réguliers.

Pour le Président du Groupe de la Banque mondiale, le Dr Jim Yong Kim, l’objectif était de faire en sorte que « la préparation aux pandémies demeure une priorité de l’action au niveau mondial » compte tenu des risques que font peser à la fois l’augmentation des échanges, les voyages incessants, le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou les manipulations de souches virales en laboratoire...

Dans son rapport annuel, publié en septembre dernier, le Conseil mondial de suivi de la préparation avait alerté sur le fait que le monde n’était pas prêt à faire face à une pandémie mondiale, telle que la grippe meurtrière de 1918, alors qu’en se basant sur les récurrences statistiques de l’apparition de souche virale virulente le risque de survenue d’une crise majeure était élevé.

Le rapport énumérait sept mesures urgentes pour préparer le monde aux situations d’urgence sanitaire, parmi lesquelles l’exigence pour les chefs de gouvernement de consacrer une part prioritaire des ressources nationales et des dépenses courantes à la préparation pour garantir la sécurité nationale et mondiale, de construire des systèmes de santé plus effectifs, à même d’envisager et de prévenir la majorité des risques de contaminations, de renforcer les mécanismes de coordination internationaux.

Dans le Livre blanc fixant la stratégie française de défense et de sécurité nationale approuvé et présenté par le Président de la République le 29 avril 2013, les auteurs avaient également estimé qu’« en matière sanitaire, la circulation des personnes et des marchandises, la concentration de populations dans des mégalopoles et la défaillance des systèmes de santé dans certaines zones favorisent la survenue de crises majeures. Le risque existe notamment d’une nouvelle pandémie hautement pathogène et à forte létalité résultant, par exemple, de l’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou d’un virus échappé d’un laboratoire de confinement. »

Le risque d’une nouvelle pandémie était donc connu des pouvoirs publics et documenté scientifiquement depuis des années.

L’apparition d’un nouveau coronavirus et l’extension de l’épidémie à l’échelle planétaire ne peuvent, on le voit, être qualifiées de "cygne noir", comme on le lit parfois. La pandémie n’était pas totalement inattendue. Le risque a été en revanche durablement méconnu ou sous-estimé, en France comme dans de nombreux autres pays.

DEGRADATION CONTINUE DU SYSTEME DE SANTE PUBLIC ET REACTIONS TARDIVES DES POUVOIRS PUBLICS.

La France faisait originellement figure de « bon élève ». Elle s’était dotée dès 2007 d’un dispositif de protection très ambitieux contre des pandémies, avec la mise en place de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), chargé de gérer à la fois la réserve sanitaire et les stocks stratégiques de produits de santé. L’établissement public sera toutefois progressivement désarmé, jusqu’à sa dissolution en 2016.

Sans doute les responsables politiques et sanitaires ont-ils jugé, à la lumière des épidémies précédentes, que les risques revêtaient désormais une dimension essentiellement régionale.

La pandémie actuelle apporte un terrible démenti à ces projections hasardeuses et met en relief la négligence et l’idéologie de ceux des responsables publics qui ont oeuvré avec obstination à l’affaiblissement de notre système de santé et des infrastructures publiques de soin. De ceux qui ont mis à mal notre souveraineté sanitaire comme le révèlent dramatiquement les difficultés de notre industrie pharmaceutique à éviter les ruptures de stocks de médicaments. De ceux encore qui ont pensé profitable de soumettre à la logique du marché la production française et européenne de matériel médical.

Il faut le rappeler : cinq milliards d’euros ont été supprimés du budget de la santé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont un milliard au détriment de l’hôpital public. En vingt ans, 100.000 lits ont été supprimés, dont 17.500 au cours des six dernières années.

Au-delà des conséquences désastreuses des politiques d’austérité budgétaire sur notre capacité à proposer une réponse sanitaire adaptée aux crises, la situation actuelle met en exergue l’impréparation des pouvoirs publics, qui se sont manifestement laissés dépasser par les évènements. La chronologie des faits, des déclarations et des décisions est éclairante et impitoyable.

Le 24 janvier, alors que deux cas du nouveau coronavirus chinois étaient confirmés en France, sur des patients hospitalisés à Paris et Bordeaux, Agnès Buzyn, alors Ministre de la santé, jugeait que « le risque d’importation depuis Wuhan est pratiquement nul » et que « le risque de propagation est très faible ». « Notre système de santé est bien préparé », affirmait-elle encore.

Estimait-on alors que la chaîne de contamination n’était pas encore incontrôlable ? L’OMS avait pourtant alerté dès le 13 janvier sur la possibilité que des cas surviennent dans d’autres pays que la Chine et appelait à ce que des efforts de surveillance active et de préparation soient mis en œuvre dans tous les pays.

Le 17 mars, l’ancienne ministre de la Santé déclarera au journal Le Monde que, dès le mois de janvier, elle avait prévenu le Premier ministre de la gravité potentielle de l’épidémie de nouveau coronavirus. Cette déclaration est grave. Elle interpelle au moins sur deux points : d’une part elle laisse supposer que le Gouvernement, pourtant informé du danger, n’aurait pas agi à la hauteur du risque, d’autre part, elle atteste que la ministre de la Santé aurait délibérément menti sur la gravité de l’épidémie.

Le 30 janvier, le Comité d’urgence convoqué par le Directeur général de l’OMS s’adressait à tous les pays en ces termes : `
« On peut s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas ex-portés de Chine. Par conséquent, tous les pays doivent être prêts à prendre des me-sures pour endiguer l’épidémie, notamment par une surveillance active, un dépistage précoce, l’isolement et la prise en charge des cas, la recherche des contacts et la prévention de la poursuite de la propagation de l’infection par le 2019-nCoV, et à communiquer l’ensemble des données à l’OMS. ».

L’annonce est jugée tardive par une partie de la communauté scientifique. La maladie s’était en effet propagée alors à 18 pays, infectant près de 8000 personnes et provoquant la mort de 170 d’entre elles.

Il faudra encore attendre le 29 février pour que le Gouvernement français, lors d’un Conseil des ministres exceptionnel, prenne les premières mesures sanitaires de lutte contre la propagation du virus, en interdisant des rassemblements se tenant en milieu confiné. Cette mesure est présentée conjointement à la décision de faire usage de l’article 49.3 de la Constitution afin d’adopter sans vote la réforme des retraites. Un mélange des genres qui trahit ou une impréparation du Gouvernement ou un manque d’engagement à mettre en œuvre, en urgence, une action collective et solidaire face à une pandémie devenant incontrôlable. Un mélange des genres à l’image également des injonctions contradictoires qui se succèdent au fil des déclarations des membres du Gouvernement et plongent les Français dans l’inquiétude, voire la peur.

UNE SUCCESSION DE MESSAGES CONTRADICTOIRES

Concernant les tests de dépistage, la communication ministérielle insistera dans un premier temps sur l’utilité des tests : « Nous bénéficions en France d’un test rapide qui va être disponible de plus en plus largement sur le territoire dans les prochains jours" expliquait, le 27 janvier, le directeur général de la santé.

Le 23 février, Olivier Véran, qui vient de succéder à Agnès Buzyn, annonce : « Dans les hôpitaux de Paris, nous allons pouvoir être largement en mesure de répondre aux demandes, quelles qu’elles soient, de réalisation de tests »

En dépit des pressions de l’OMS, qui invitera à plusieurs reprises à tester massivement les populations, le nombre de tests réalisés chaque jour n’évoluera par la suite que faiblement, passant de 2 000 à 4 000 par jour, puis à 9 000 par jour fin mars, avant que le ministre n’annonce, à l’issue de près de deux semaines de confinement de la population, un changement de stratégie avec la commande massive de tests sérologiques afin de pouvoir en réaliser 100 000 par jour en mai ou en juin. Au moment de cette annonce, l’Allemagne réalisait déjà chaque semaine un demi-million de tests.

La question du stock de masques ne sera abordée de son côté que le 23 février. Le ministre de la santé annonce alors « faire le nécessaire pour que (les professionnels de santé) puissent disposer de masques adaptés à chaque situation, dans un marché qui s’est tendu au plan international ». Il ajoute : « Nous allons travailler avec les entreprises productrices de masques FFP2 sur le sol français, et nous passons une commande de masques en quantité »

Un mois plus tard, le 21 mars, le ministre affirme : « C’est parce que nous avons dès le début considéré que la disponibilité en masques allait être une difficulté, qu’il a été décidé, dès le mois de janvier, de recourir à l’importation de masques, avant même l’apparition de premiers cas sur notre territoire national. »

Malgré l’annonce de commandes réalisées en janvier, la pénurie de masque est flagrante. Aucune information ne filtre sur leur livraison. Les experts se bousculent en revanche sur les plateaux de télévision pour en affirmer l’inutilité et ce n’est finalement que le 28 mars qu’interviendra l’annonce de commandes massives de masques à la Chine et la mise en place d’un pont aérien.

Le feuilleton de la « chloroquine » aura de même mis l’accent sur les dysfonctionnements dans la chaine de décision. Dès le 26 février, le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille, explique les raisons pour lesquelles il estimait que la chloroquine pouvait agir efficacement sur la variété de coronavirus en cause. Il annonçait mettre en place un protocole thérapeutique dont les résultats encourageants seront publiés le 17 mars. Alors qu’il n’existe aucune alternative thérapeutique, et que l’usage de cette substance est très documentée, il faudra néanmoins attendre le 24 mars pour que le ministre de la Santé autorise l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter des malades infectés par le Covid-19, en restreignant toutefois le traitement aux patients présentant des formes graves de la maladie, pris en charge à l’hôpital.

Des pesanteurs analogues seront pointées du doigt par d’autres praticiens. C’est ainsi qu’un généticien à la tête d’un important laboratoire de recherche du CHRU de Lille, dénoncera en ces termes la rigidité des autorités quand les laboratoires français pourraient développer rapidement les amorces et enzymes nécessaires à un dépistage massif : « Si on nous avait autorisés, nous les gens de la recherche, j’aurais mon congélateur plein d’enzymes, on aurait fait le protocole et on travaillerait à fond pour le CHU aujourd’hui. C’est comme ça dans toute la France. »
De fait, au fil des jours, de nombreux professionnels de santé et un collectif d’une centaine de médecins ont saisi le Conseil d’Etat ou porté plainte au pénal contre des membres du gouvernement, au motif qu’ils « avaient conscience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer ».

Au regard de la gravité de ces accusations et en vertu de sa mission de contrôle de l’action du gouvernement, la représentation nationale a le devoir d’examiner au plus vite les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise pour comprendre comment notre pays n’a pu être en mesure de prévenir la propagation du virus et la multiplication des cas mortels comme en Allemagne ou en Corée du Sud , pays qui semblent s’être mis en situation de mieux juguler l’épidémie.

Sans esprit partisan, une telle commission permettrait de faire la lumière sur les dysfonctionnements et leur origine, d’identifier les responsabilités et de mieux appréhender les moyens efficaces de lutte contre la pandémie qui nous frappe, qui risque de perdurer et éventuellement se reproduire.

Cette commission d’enquête devra ainsi, notamment, établir :

  • les raisons qui ont justifié des prises de décisions tardives voire contradictoires, notamment en matière de confinement ;
  • pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas été en mesure de définir clairement quels étaient les personnels qui devaient impérativement se rendre sur leurs lieux de travail ;
  • pourquoi notre pays n’a pas été en mesure de fournir des masques en quantité suffisante, pour protéger les soignants, les travailleurs contraints de se rendre sur leurs lieux de travail, et protéger la population dans son ensemble ;
  • pourquoi notre pays se trouve confronté à une pénurie de médicaments essentiels au traitement d’autres pathologies et ce en plein cœur de la crise ;
  • pourquoi notre pays n’est pas en situation de faire face à un afflux de malades et d’apporter les soins nécessaires à chacun d’entre eux malgré le dévouement sans faille des personnels soignants ;
  • les raisons qui ont conduit le gouvernement à décider de ne pas réaliser de dépistage massif de la population et si ce dépistage aurait permis d’endiguer l’épidémie ;
  • les raisons qui ont conduit le gouvernement à décider d’autoriser l’hydroxychloroquine à l’hôpital, uniquement dans la prise en charge des formes les plus graves ;

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid 19 en France, de les évaluer et d’en tirer les conséquences pour permettre à notre pays d’être en mesure d’affronter, à l’avenir, une autre pandémie.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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