Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le système transfusionnel
présentée par Mesdames et Messieurs
André CHASSAIGNE, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis sa création et la loi de juillet 1952, le système transfusionnel français a permis aux patients de bénéficier à tout moment du produit sanguin adapté à leur état de santé. Pour remplir cette mission, 1,6 million de donneurs de sang bénévoles sont mobilisés pour assurer l’approvisionnement et tendre vers l’autosuffisance nationale. Ils sont organisés en 2 850 associations locales, 92 unions départementales, des comités régionaux et une fédération nationale, la Fédération Française des Donneurs de Sang Bénévoles (FFSB).
UN SYSTÈME MENACÉ
Ce système est depuis plusieurs années menacé par des dysfonctionnements, des errements et des prises de positions contraires à ses principes éthiques fondamentaux :
– La tentative de céder la fourniture du plasma thérapeutique à la firme Octapharma en 2011.
– L’article 51 du PLFSS 2015, puis le projet de loi dit « de modernisation de notre système de santé », qui inscrivait la commercialisation des produits sanguins, y compris labiles. La lutte des associations de donneurs de sang et la pression de parlementaires de toutes les sensibilités ont cependant conduit à la réécriture du texte (article 42 de la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016)
– Une succession d’incidents sur plusieurs sites de l’Etablissement Français du Sang (EFS) qui a conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANMS) à suspendre totalement, à partir du 12 septembre 2018, l’utilisation des machines d’aphérèse de la société Haemonétics, suspectées de contaminer par des particules les produits collectés. La capacité de l’EFS à prélever le plasma d’aphérèse a été réduite durant plusieurs mois. Or, des signalements d’incidents avaient été effectués depuis 2011 par des personnels d’EFS, puis en 2015 par des responsables de la société Haémonétics sans que le fabricant n’apporte de solutions correctives.
– Une série de pannes à l’usine du Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB) de Lille, à l’automne 2018, qui ont conduit à l’arrêt de la production de médicaments dérivés du sang, entraînant une rupture des stocks. Cette usine étant obsolète, n’ayant jamais bénéficié des investissements nécessaires à l’autosuffisance nationale, une usine nouvelle est en construction à Arras, mais il manquerait encore 260 millions d’euros pour boucler le budget et rendre l’usine opérationnelle dès 2023.
– La décision du gouvernement et de la direction du LFB d’ouvrir le capital, pour trouver les fonds nécessaires, entraînant de fait, une marchandisation du sang, incompatible avec les principes éthiques de non commercialisation de produits ou éléments du corps humain, défini par l’article 5 de la loi 52‑854 du 21 juillet 1952 qui précise que « Le prix des opérations concernant le sang humain, son plasma et leurs dérivés, tant au stade de la préparation et du dépôt qu’à celui de leur délivrance, à titre onéreux, sont fixés par arrêté du ministre de la santé publique et de la population, de façon à exclure tout profit ».
LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES
Dans son rapport du 6 février 2019, la Cour des Comptes a émis des appréciations et fait des préconisations sur le système transfusionnel :
– Concernant le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB) :
Elle appelle à conforter la filière des Médicaments Dérivés.
[Contrairement à cette préconisation, l’établissement a décidé de recentrer la production sur un nombre limité de médicaments alors qu’il dispose de 18 autorisations de mise sur le marché (AMM)].
Elle souligne la responsabilité de l’état actionnaire et la compétence insuffisante des administrateurs du LFB, dont deux seulement avaient l’expérience du secteur pharmaceutique et aucun dans l’industrie du plasma, particulièrement complexe.
Elle indique que le prix des immunoglobulines du LFB est nettement inférieur au prix de vente en Europe et près de 3 fois inférieur qu’aux USA.
Elle préconise l’abandon total du secteur des biotechnologies, comme la production des thérapies géniques et des thérapies cellulaires pour laquelle 700 millions d’euros ont été investis depuis 2009, prélevés sur la marge de l’activité de fractionnement plasma, c’est‑à‑dire sur les dons de sang bénévoles.
[Or, le géant Novartis a acheté cette année CellforCure, filiale du LFB, qui fabrique le Kymriah, un anti‑cancéreux qui serait facturé en France 330 000 € le traitement unitaire (Les Échos du 25 mars 2019)].
– Concernant l’Établissement Français du Sang (EFS)
Elle recommande :
D’amputer l’EFS d’une partie de ses laboratoires d’immunohématologie et de ses « centres de santé »,
De supprimer des petites collectes mobiles.
[Or, les collectes mobiles assurent 80 % du volume de sang collecté et la France est l’un des très rares pays au monde à assurer son autosuffisance en produits sanguins labiles : la Cour des Comptes se prononce donc pour la perte d’un fort potentiel de donneurs, même si on peut admettre que certaines collectes pourraient être regroupées].
De conforter la filière française des médicaments dérivés issus du plasma, en assurant la disponibilité du plasma éthique par une réduction du coût de la collecte et de fourniture par l’EFS du plasma prélevé par aphérèse.
[Or le rapport du cabinet d’expertise APEX, démontre qu’à l’exception du plasma autrichien, le plasma des autres pays est plus cher].
De maîtriser le coût des tests de détection imposés au plasma de fractionnement de l’EFS, lequel doit en outre avoir une traçabilité poche par poche.
[Plutôt que de contester ce coût, ne faudrait‑il pas mieux, pour la sécurité sanitaire, imposer ces tests aux plasmas importés ?].
D’indemniser les prélèvements de plasma, et le remboursement de frais en cas de déplacement de plus de 25 kilomètres.
[Cette préconisation, « l’indemnisation », reprend une terminologie des firmes du commerce des produits sanguins, ce qui atteste une volonté de passer à un système marchand : est‑ce acceptable dans notre système éthique ?].
De promouvoir la téléassistance médicale à la suite de l’arrêté ministériel du 17 février 2019, qui supprime, contre l’avis des donneurs de sang, l’obligation de la présence d’un médecin lors des collectes.
[Ne faut‑il pas redouter, à l’avenir, lors de l’entretien prédon, le remplacement de l’infirmier(e) par un robot, comme cela est déjà pratiqué aux USA ?].
DE MULTIPLES INTERROGATIONS
– Concernant les utilisations des machines d’aphérèse d’Haemonétics :
Pourquoi le fabricant n’a pas apporté de solutions correctives dès 2011 ?
Pourquoi, malgré ces dysfonctionnements répétés, des dispositifs médicaux dangereux ont continué à être accrédités par l’organisme notificateur "CE", sans être contrôlés par l’ANSM, et ont continué à être utilisés par l’EFS ?
Ces dysfonctionnements ont‑ils constitué un risque pour les donneurs, pour les receveurs et pour le personnel de l’EFS ?
Les lettres d’injonction adressées par l’ANSM à l’EFS et à Haemonétics, visant à apporter des explications et des corrections, ont‑elles obtenu des réponses ?
– Sur les propositions d’évolution :
Est‑il concevable d’abandonner des milliers de malades et de majorer le coût de médicaments dérivés remplaçables ?
Pourquoi ne pas maintenir le niveau d’activité du LFB, en assurant son financement, le plasma qu’il fournit étant le moins cher ?
Plutôt que de brader ces recherches à des groupes intéressés par la seule rentabilité financière, pourquoi ne pas inventorier et renforcer ces investissements pour faire du LFB un socle de l’industrie des MTI (médicaments de thérapies innovantes) ?
Si nos institutions persistaient dans la voie de la rémunération des prélèvements de plasma et dans l’ouverture du capital du LFB aux intérêts privés, les organisations des donneurs de sang ne seraient–elles pas en droit d’exiger un alinéa supplémentaire dans le document de prédon afin que le donneur puisse refuser que son plasma, qu’il soit de sang total ou d’aphérèse, aille au LFB fournir des dividendes aux actionnaires ?
DISCRIMINATION À L’ÉGARD DE CERTAINS DONNEURS
L’arrêté du 5 avril 2016 fixe les critères de sélection des donneurs de sang en tenant compte de leur sexe et du questionnaire « prédon » que le candidat au don doit remplir. Le don du sang est notamment « contre‑indiqué », c’est à dire refusé, si la personne candidate au don a eu des rapports avec plus d’un partenaire de l’autre sexe durant les 4 derniers mois ou si l’homme a eu des rapports avec un homme durant les 12 derniers mois.
Le don du sang est aussi « contre‑indiqué » durant 12 mois lorsque le partenaire homme a eu lui‑même un rapport avec un autre homme pendant les 12 mois précédents le dernier rapport avec le candidat au don, et durant 4 mois si le partenaire homme ou femme a eu plus d’un partenaire de sexe opposé pendant les 12 mois précédents le dernier rapport avec le candidat au don.
L’arrêté du 17 décembre 2019, qui entrera en vigueur à compter du 2 avril 2020, fait passer la période d’abstinence de 12 à 4 mois pour les hommes homosexuels, mais ne supprime pas la discrimination de fait à l’encontre de cette population et à l’égard d’autres personnes en raison de leurs pratiques sexuelles.
Or l’article L. 1211‑6‑1 du code de la santé publique, modifié par la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016, instaure que « nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle ». Or il apparaît que l’exclusion en raison des orientations ou des pratiques sexuelles est réelle par l’application de « contre‑indication » retenues comme motifs d’exclusion.
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article Unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée de rechercher à tous les niveaux les causes des dysfonctionnements constatés au sein du Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies, et d’en évaluer les conséquences pour le système transfusionnel, les patients concernés et les surcoûts pour la sécurité sociale.
Elle devra formuler des recommandations pour garantir la pérennité du système transfusionnel français.
Elle devra formuler des propositions afin que les recherches du Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies, financées par les dons de sang, ne soient pas bradées à des sociétés privées.
Elle devra initier une réflexion associant scientifiques, institutions sanitaires, gouvernement et parlementaires pour maintenir le développement des biotechnologies en dehors d’un système marchand.
Cette réflexion devrait également porter sur la suppression de toute discrimination à l’égard des donneurs de sang en raison de leur orientation ou leurs pratiques sexuelles.