Propositions

Propositions de résolution

CE Conséquences des accords du Touquet sur l’action publique et le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes en situation de migration - 2398

Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux conséquences des accords du Touquet sur l’action publique et le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes en situation de migration.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Elsa FAUCILLON, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Édouard BÉNARD, M. Karim BEN CHEIKH, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Mickaël BOULOUX, M. Idir BOUMERTIT, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Arthur DELAPORTE, M. Sébastien DELOGU, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Alma DUFOUR, M. Inaki ECHANIZ, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Olivier FAURE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Raquel GARRIDO, M. Jérôme GUEDJ, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Chantal JOURDAN, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Rachel KEKE, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, Mme Julie LAERNOES, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Tematai LE GAYIC, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Frédéric MAILLOT, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Marcellin NADEAU, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, Mme Francesca PASQUINI, M. Bertrand PETIT, M. Stéphane PEU, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Anna PIC, M. François PIQUEMAL, Mme Marie POCHON, M. Thomas PORTES, M. Dominique POTIER, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Sébastien ROME, Mme Claudia ROUAUX, M. Fabien ROUSSEL, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, M. Nicolas SANSU, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Jean-Marc TELLIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Paul VANNIER, M. Roger VICOT, M. Léo WALTER.

députées et députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la signature des Accords du Touquet de 4 février 2003, la frontière britannique a été externalisée sur les côtes françaises faisant du littoral nord la porte d’entrée pour les exilés souhaitant rejoindre l’Angleterre. Le contrôle des personnes en partance pour le Royaume‑Uni doit être effectué au départ des trains et des bateaux depuis la France par les autorités françaises. Le traité du Touquet a ensuite été complété par d’autres accords bilatéraux en 2009, 2010, 2014 et 2018, renforçant à chaque fois le contrôle et la sécurisation par la France de la frontière entre les deux pays. En contrepartie de cette surveillance, le Royaume‑Uni s’acquitte d’une compensation financière dont les montants sont régulièrement renégociés.

Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ces accords ont conduit à faire de la France « le bras policier » de la politique migratoire britannique. En vingt ans, le littoral du nord de la France s’est doté de nombreux outils de surveillance (barbelés, drones, caméras de surveillance) pour empêcher les traversées et les points de fixation. La CNCDH dénonce très régulièrement les multiples et intolérables atteintes à leurs droits fondamentaux dont sont victimes les personnes exilées aux frontières françaises, alors même que la France a été condamnée à plusieurs reprises, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les droits et libertés des personnes en situation d’exil et de migration sont en effet reconnus par les articles 1,2, 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 qui protège les droits de tout individu et garantit la liberté, l’égalité et la dignité de tous les êtres humains, sans discrimination.

Les conséquences sont immédiates et parfois désastreuses pour les personnes en situation de migration qui malgré les obstacles sécuritaires tentent la traversée de la Manche. Qu’ils s’agissent des personnes originaires des régions soudanaises et érythréennes davantage présentes dans le Calaisis ou des personnes afghanes, kurdes et syriennes se trouvant à Grande‑Synthe, toutes ont des raisons de vouloir atteindre les côtes britanniques. Les femmes, enfants et familles qui représentent la moitié des exilés ont souvent de la famille à rejoindre. D’autres savent que la présence d’un groupe national et la pratique de la langue anglaise leur seront plus favorables pour trouver un emploi, s’insérer socialement et tenter de reprendre une vie ordinaire. Coincés entre Calais et Grande‑Synthe, soumis aux aléas géopolitiques, ces exilés voient leurs projets migratoires criminalisés et leur vie mise en danger.

Le traitement des personnes en situation de migration en mer

Près de 35 800 personnes ont cherché à rejoindre l’Angleterre depuis les côtes françaises en 2023 ([1]). Ce bilan des tentatives de traversées de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord est le deuxième plus élevé jamais enregistré. Depuis le 1er janvier 2024, 4300 personnes ont traversé la Manche ([2]).

Ces traversés sont dangereuses et peuvent être meurtrières. En 2023, douze personnes sont mortes en tentant la traversée. Ce chiffre n’enregistre que les morts connues et ne prend pas en compte les disparus.

Les conditions météorologiques y sont souvent difficiles, c’est un secteur particulièrement dangereux, notamment en pleine période hivernale pour des embarcations précaires et de plus en plus surchargées. Le nombre moyen de personnes par embarcation est en augmentation : il était de 30 personnes en 2022 contre 50 personnes en 2023. Le nombre d’incidents mortels liés aux traversées est également en constante augmentation : quatre en 2022 (45 000 traversées) ; cinq en 2023 (30 000 traversées) ; quatre en 2024 (4 300 traversées).

Si la police n’est pas autorisée à intercepter les embarcations des personnes migrantes qui tentent une traversée de la Manche, le collectif de journalistes d’investigation « Lighthouse Reports » a pourtant documenté le recours à des techniques dangereuses pour empêcher les traversées des small boats comme l’a révélé le journal Le Monde le 23 mars 2024 : utilisation de semi‑rigides de la police nationale tournant autour de small boats pour les faire chavirer, lacération des embarcations ou encore dispersion de gaz lacrymogène.

Ces pratiques contraires au cadre opérationnel français et au droit de la mer révèlent une escalade de la violence et une mise en danger de la vie des passagers eux‑mêmes.

En 2021, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a indiqué que le développement des traversées par small boats « n’a pas donné lieu à l’affectation de moyens nouveaux pour les administrations concourant à l’action de l’État en mer. Les opérations de sauvetage ont été assumées par les moyens d’État qui les assurent habituellement, l’intensification du phénomène les contraignant à réduire leur implication dans leurs autres champs d’action » ([3]). Les opérations de sauvetage en mer des migrants se font donc à budget constant au détriment d’autres activités.

Le naufrage du 24 novembre 2021 ayant causé la mort de 27 exilés a mis en lumière les dysfonctionnements du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris‑Nez ([4]) en charge de la coordination des opérations de recherche et de sauvetage dans une zone s’étendant de la frontière belge au cap d’Antifer. Le CROSS Gris- Nez, initialement calibré pour réagir à des crises ponctuelles doit faire face au fait migratoire calaisien qui n’est pas un phénomène nouveau, mais dont l’intensité a considérablement augmenté. Ce drame a contraint l’État à assurer au CROSS Gris‑Nez un soutien humain et financier. Aujourd’hui, six navires d’alertes sont de sortie lors des créneaux météo favorables, de nouveaux postes ont été créés au CROSS Gris‑Nez (six nouveaux agents en 2023, un nouvel agent en 2024) ainsi qu’un appui ponctuel de drones d’observation aérienne.

Or, eu égard à la permanence de naufrages meurtriers, force est de constater que cet investissement demeure insuffisant.

*

* *

Le traitement des personnes en situation de migration sur terre

Le protocole post‑naufrage

En cas de naufrage ou d’échec de la tentative de traversée, un protocole humanitaire est enclenché par la Préfecture du Pas‑de‑Calais. Ce protocole aux contours incertains consiste en l’assistance des naufragés ramenés au port en prévoyant un accès des rescapés à des tentes chauffées, des vêtements secs et un endroit où dormir. Ce protocole n’est pas systématiquement engagé. Les associations d’aide aux personnes en situation de migration se retrouvent alors seules à gérer les exilés lors du post‑naufrage en tentant de répondre au mieux à leurs besoins primaires. Elles leur proposent des vêtements secs, une boisson chaude et de la nourriture et sollicitent – souvent vainement- les secours et la protection civile. Des élus locaux également s’engagent en proposant l’ouverture de salles dans leur commune ou en demandant le déclenchement de plans grand froid. Ces demandes restent lettre morte.

La Préfecture du nord quant à elle n’a jamais communiqué sur l’existence d’un protocole post‑naufrage.

À l’heure actuelle, aucun suivi psychologique n’est prévu pour les personnes migrantes pourtant particulièrement vulnérables en raison de leur vécu migratoire (persécution, guerre, violence physique et/ou sexuelle, famine, emprisonnement…) voire de choc post‑traumatique. Le 3 mars, après la mort d’une enfant de sept ans, noyée dans un canal lors du chavirage d’un bateau transportant trois familles, aucune prise en charge psychologique n’a été proposée aux quinze naufragés ayant assisté à la mort de la fillette, parmi lesquels étaient présents ses parents et ses trois frères âgés de 8, 10 et 13 ans ([5]).

Les personnes naufragées, encore choquées, affaiblies et quelquefois endeuillées, sont majoritairement immédiatement remises à la rue. Elles doivent emprunter des routes dangereuses pour rejoindre les campements.

Cela a déjà mené à des drames, comme en novembre 2023, quand une quinzaine d’exilés avaient été fauchés par un poids‑lourd sur l’autoroute en pleine nuit alors qu’ils rentraient à Grande‑Synthe, après avoir été secourus en mer et abandonnés au port de Calais à minuit. Deux personnes sont décédées, et quatre ont été blessées, dont un mineur non‑accompagné.

La stratégie du zéro point de fixation

La politique du « zéro point de fixation » à Calais a suivi le démantèlement de la Grande jungle de Calais en janvier 2016. Elle vise à détruire les camps, les cabanes en bois, les points de distribution d’eau, et à dissuader les aides humanitaires. Le pilier central de cette stratégie est la mobilisation permanente des forces de l’ordre sur le littoral. Cette politique est « délétère et coûteuse » ([6]) et laisse une place trop faible à l’accompagnement humanitaire des personnes en situation de migration dans le Calaisis. Une photographie financière de 2020 pointe un déséquilibre flagrant concernant la nature des dépenses liées à la présence de populations migrantes à Calais : 85 % des dépenses exécutées financent la sécurisation des territoires et 15 % sont dédiées à la prise en charge sanitaire, sociale ou humanitaire des populations migrantes.

Certaines associations parlent de traque quotidienne : destruction de tentes, notamment la nuit, enlèvement des effets personnels, déboisement de zone d’installation des exilés avec séparation des familles, interdiction de distribution d’eau et de nourriture. Cette situation humanitaire désastreuse nourrit les réseaux mafieux qui tirent parti de cette misère humaine.

La CNCDH ([7]) définit la politique de démantèlement et de destructions des abris informels comme étant attentatoire à la dignité humaine. Elle affirme également que depuis 2016, des aidants, associatifs ou simples citoyens, sont soumis à des formes de harcèlement.

À Calais et à la frontière franco‑britannique se cristallisent les problématiques migratoires européennes, françaises et internationales. La commission d’enquête proposée s’attachera à mettre en lumière ces tensions.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres. Cette commission d’enquête a pour missions :

D’évaluer les conséquences financières, humaines et matérielles de la gestion externalisée de la frontière de la Manche et de la Mer du Nord à la suite de la signature des accords du Touquet du 1er février 2004 ;

De mettre en lumière les pratiques rapportées de maintien de l’ordre qui seraient discriminatoires et violentes visant à anéantir un projet de départ en mer, dans le cadre d’un post-naufrage ou lors d’un démantèlement de campement ;

D’identifier les dysfonctionnements du protocole de prise en charge du post-naufrage établi par les services de l’État ;

D’établir un chiffrage des dépenses sécuritaires dans le cadre de la politique du « zéro point de fixation » ;

D’établir un chiffrage des besoins humains et financiers du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes Gris-Nez dans sa mission de sauvetage en mer ;

D’évaluer la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant par les autorités judiciaires et administratives à la frontière franco-britannique.

D’évaluer les conséquences de l’externalisation de la frontière britannique sur les modes de vie des citoyens et citoyennes des départements du littoral nord, sur l’urbanisme des villes côtières et sur la qualité des services publics ;

De faire des recommandations sur les réponses législatives, réglementaires et budgétaires à apporter pour assurer la protection des droits et libertés fondamentales des personnes en situation de migration à la frontière franco-britannique.

([1]) https://www.premar-manche.gouv.fr/dossier/bilan-2023-des-operationnel-de-la-prefecture-maritime-manche-et-mer-du-nord

([2]) https://www.gov.uk/government/publications/migrants-detected-crossing-the-english-channel-in-small-boats/migrants-detected-crossing-the-english-channel-in-small-boats-last-7-days

([3]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cemigrants/l15b4665_rapport-enquete#_ftnref117

([4]) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/13/migrants-morts-en-traversant-la-manche-le-24-novembre-2021-l-enquete-accablante-pour-les-secours_6149691_3224.html

([5]) https://www.msf.fr/actualites/a-calais-l-etat-met-en-danger-les-exiles-tout-en-pretendant-sauver-des-vies

([6]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cemigrants/l15b4665_rapport-enquete#_ftnref117

([7]) Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et Grande-Synthe, 11 février 2021

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
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