Proposition de résolution européenne relative à l’avenir du fret ferroviaire
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par Mesdames et Messieurs
Hubert WULFRANC, André CHASSAIGNE, Soumya BOUROUAHA, Jean‑Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Emeline K/BIDI, Jean‑Paul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Stéphane PEU, Davy RIMANE, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, Jean‑Marc TELLIER.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Afin de respecter ses engagements climatiques, la France s’est fixée pour objectif de tendre vers le doublement de la part modale du fret ferroviaire dans le transport intérieur de marchandises d’ici 2030.
En dépit du caractère très performant de ce mode de transport d’un point de vue environnemental et de l’atout que constitue la densité du réseau ferré national, la part du transport ferroviaire de fret plafonne en effet dans notre pays autour de 10 %, contre 19 % en moyenne dans l’Union européenne.
Le retard pris par notre pays impose de vigoureuses mesures de rattrapage et un soutien sans faille de la puissance publique.
Réorienter une part importante des marchandises vers le rail et développer les capacités de production suppose d’investir massivement dans les triages et les voies ferrées, dans le recrutement de personnels et le matériel roulant.
Le rail ne peut atteindre en effet l’équilibre économique et devenir pertinent qu’en amortissant ses coûts fixes sur des volumes importants.
Il est donc nécessaire, au moins dans un premier temps, de subventionner fortement l’activité et privilégier la captation des volumes sur la rentabilité immédiate.
C’est dans cet esprit que l’État s’est doté, à l’automne 2021, d’une Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire qui prévoit un programme d’investissement de 300 millions d’euros par an jusqu’en 2024 en soutien à l’exploitation des services de fret ferroviaire.
Si ces investissements non pérennes sont notoirement insuffisants, ils mettent en évidence la dépendance du secteur aux investissements publics et l’exigence d’un soutien volontariste de l’État.
C’est à la lumière de ce constat qu’il nous faut appréhender la procédure formelle d’examen ouverte contre la France, le 18 janvier dernier, par la Commission européenne.
Cette procédure porte sur les conditions de financement de l’activité de fret de la SNCF sur la période 2007‑2019. Elle vise à vérifier si Fret SNCF n’a pas bénéficié indûment d’un avantage économique vis‑à‑vis de ses concurrents en raison des mesures de soutien accordées par l’État.
Aux yeux de la Commission européenne, en effet, les avances de trésorerie consenties à Fret SNCF depuis début 2007 et jusqu’au 1er janvier 2020, l’annulation de la dette financière de Fret SNCF au moment de son changement de statut et l’injection de capital de 170 millions d’euros consécutive à cette transformation ont le caractère d’aides d’État, au sens de l’article 107 du TFUE.
Si les trois mesures de financement ont été réalisées par la SNCF, elles restent pour la Commission imputables à l’État dans la mesure où la SNCF était jusqu’en 2019 soumise à une tutelle relativement étroite de la puissance publique.
À ce stade, la Commission européenne estime donc que le soutien de la SNCF à sa branche Fret visait à couvrir durablement les dettes de la filiale afin d’assurer sa survie, en violation des règles européennes destinées à garantir l’équité concurrentielle.
La Commission européenne rendra sa décision dans un délai de 18 mois.
Si cette décision devait conclure à l’existence d’aides d’État incompatibles avec les règles du droit européen, nous serions confrontés à deux cas de figure.
Soit la Commission ordonnerait à l’État de récupérer le montant des aides versées auprès de Fret SNCF, au risque d’entraîner la liquidation de l’entreprise, qui emploie aujourd’hui 5000 salariés.
Soit le gouvernement anticipe sur cette décision, dans une logique de fuite en avant libérale, en transformant Fret SNCF de façon à ce que Bruxelles reconnaisse l’absence de continuité entre l’entreprise bénéficiaire des aides entre 2007 et 2019 et la nouvelle entité.
Cette seconde option, qui pourrait être privilégiée par l’exécutif, aurait pour conséquence probable la privatisation de l’entreprise et sa sortie du Groupe public unifié (GPU) au sens de la loi de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.
L’une et l’autre de ces options seraient également inacceptables.
Elles conduiraient de manière absurde notre pays à renoncer à conduire une politique de report modal de la route vers le rail compatible avec ses engagements climatiques et à nous priver d’un outil industriel majeur, en condamnant l’offre de transport ferroviaire à une nouvelle attrition. `
L’heure n’est certainement pas à parachever la dérégulation du secteur.
Elle est au contraire à contester les injonctions européennes afin de prioriser la sauvegarde et le développement de Fret SNCF.
Alors que nombre de pays européens ont fait le choix d’investir dans les prochaines années des milliards d’euros dans le développement du rail en vue de respecter leurs objectifs climatiques, il est indispensable de faire évoluer les règles européennes.
Les « paquets ferroviaires européens » successifs qui, depuis 2001, ont ouvert progressivement le secteur ferroviaire à la concurrence, en permettant un accès non discriminatoire aux marchés ferroviaires, ont partout contribué à la chute de la part modale du fret ferroviaire, en ne favorisant que les investissements les plus rentables au détriment de la réponse aux besoins de modernisation des infrastructures.
Alors que le Pacte vert pour l’Europe demande qu’une part substantielle des 75 % du fret intérieur qui est actuellement acheminé par la route soit transférée vers le rail et les voies navigables intérieures, la Stratégie de mobilité durable et intelligente présentée par la Commission européenne fin 2020 patine et ne se traduit par aucun report significatif des flux routiers vers le rail.
Pour répondre à la volonté affichée par la Commission européenne, de « stimuler fortement » le fret ferroviaire, « en augmentant les capacités, en renforçant la coordination et la coopération transfrontières », nous pensons que le meilleur outil reste encore, du fait de l’importance des investissements nécessaires, le retour à des situations de monopole des États.
En conséquence, la présente proposition de résolution européenne invite le gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens pour, a minima, autoriser les États à conduire des politiques d’investissements massifs afin de répondre aux objectifs du Pacte vert européen et permettre aux opérateurs de transport ferroviaire de marchandise d’atteindre, par la voie d’un développement de l’offre, leur équilibre économique.
PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5wul du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu les directives 2001/12/CE, 2011/13/CE et 2011/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001,
Vu la directive 2004/51/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004,
Vu la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012,
Vu le Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021,
Vu la communication 2008/C 184/07 de la Commission relative aux lignes directrices communautaires sur les aides d’État aux entreprises ferroviaires,
Vu la communication COM(2020) 789 de la Commission européenne du 9 décembre 2020,
Vu la déclaration commune du 30 mars 2021 de 16 ministres des transports de l’UE appelant la Commission européenne « à lancer une initiative en faveur des opérateurs de fret ferroviaire afin de promouvoir le report modal vers des transports propres »,
Vu l’ouverture par la Commission européenne, le 18 janvier 2023, d’une procédure formelle d’examen contre l’État français sur les conditions de financement l’activité de fret de la SNCF,
Considérant que pour atteindre les objectifs fixés par le Pacte vert européen une part substantielle des 75 % du fret terrestre transporté aujourd’hui par la route doit être transférée au rail et aux voies navigables intérieures ;
Considérant que la mise en œuvre des paquets ferroviaires européens successifs loin de favoriser le report des flux routiers de marchandise vers le rail a au contraire contribué à l’attrition de l’offre et au recul de la part modale du fret ferroviaire ;
Considérant que les règles européennes en matière d’aides d’État sont susceptibles d’entraver le développement et l’efficacité économique du fret ferroviaire compte tenu de l’ampleur des investissements publics nécessaires ;
Considérant que la procédure formelle d’examen ouverte par la Commission européenne contre l’État français est de nature à compromettre tant l’avenir du seul opérateur français couvrant aujourd’hui tous les territoires et l’ensemble des besoins des chargeurs que l’atteinte par notre pays de l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 ;
Invite le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens afin d’œuvrer à un assouplissement des lignes directrices de la Commission européenne sur les aides d’État aux entreprises ferroviaires, d’une part, et de favoriser, d’autre part, un réexamen des contours de la Stratégie de mobilité durable et intelligente défendue par la Commission européenne, afin de faciliter l’octroi d’aides d’État aux opérateurs historiques afin de garantir l’équilibre économique de leurs missions de service public.