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Pour un héritage juste et populaire - 5095

Proposition de loi pour héritage juste et populaire

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabien ROUSSEL, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Jean‑Paul LECOQ, Stéphane PEU, Hubert WULFRANC.

Député‑e‑s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Une articulation entre le passé et le futur ». L’héritage, comme le souligne la sociologue Anne Gotman, n’est pas qu’une simple transmission de valeurs, matérielles ou immatérielles. Il est presque toujours le fruit d’une longue histoire familiale, un lien affectif et patrimonial entre plusieurs générations. Pour l’immense majorité des Français, il n’est point question de grande fortune, mais plutôt de précieux biens, indissociables de ceux qui les incarnent, comme l’avait égrené avec humour Charles Trenet dans sa chanson L’Héritage infernal : « La table de son père, la montre de son frère, le fauteuil de sa mère, la pendule à coucou, une paire de bretelles, une bouteille d’Eau de Vittel, et une coiffe en dentelle, qu’il se mettait au cou ». Bref, un vaste inventaire, dans lequel chacun puise une part de son identité.

Profondément ancré dans notre imaginaire collectif, l’héritage doit donc rester populaire, juste et accessible au plus grand nombre. Or c’est loin d’être le cas. Pire, le dispositif actuel, non seulement frappe démesurément de modestes successions, mais il renforce les inégalités à travers les multiples mécanismes d’évitement de l’impôt pour les plus fortunés.

En France, le montant moyen de l’héritage s’élève ainsi à 118 000 euros. Dans un système qui fonctionnerait correctement, aucun droit de succession ne devrait être exigé dans cette tranche, quels que soient les descendants. Pourtant, ils sont nombreux à devoir s’acquitter de sommes très importantes, jusqu’à 55 % de la valeur transmise. C’est le cas en particulier pour les héritiers « collatéraux » que sont les frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines, petits‑enfants… Concrètement, un neveu qui hérite de la maison d’une tante retraitée de l’hôpital, doit payer une part taxable de 157 587 euros pour une héritage de 286 523 euros.

La situation est similaire au sein des familles recomposées, de plus en plus nombreuses dans notre pays. L’absence de lien du sang, dans ce cas, se traduit par une taxation à 60 %, bien loin des taux usuels et donc parfaitement injuste au regard de l’évolution de la société. Car si les transmissions en ligne indirecte ne représentent que 10 % des montants taxés, elles représentent 50 % des droits perçus par l’État.

Le constat est d’autant plus injuste que, dans le même temps, les plus riches parviennent à s’exonérer totalement de l’impôt grâce à des dispositifs d’optimisation. Au point que, selon une note du Conseil d’analyse économique, publiée le 21 décembre 2021, « la France est en train de redevenir la société d’héritiers qu’elle était avant la première guerre mondiale ».

À l’appui de leur affirmation, les auteurs pointent une accélération du phénomène de concentration des richesses au cours des trente dernières années. La part des 1 % les plus riches dans le patrimoine total est ainsi passée de 15 à 25 % entre 1988 et 2015, tandis que la fortune héritée en représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 1970. Autre indice révélateur, l’héritage moyen des 0,1 % les plus riches représente 180 fois l’héritage médian, qui lui s’élève à 70 000 euros. Chiffre d’autant plus édifiant que le taux effectif payé par ce même noyau de 0,1 % sur l’ensemble du patrimoine hérité est en dessous de 10 %. Dans certains cas, il est même… nul.

De nombreux dispositifs permettent en effet de transmettre son patrimoine sans payer le moindre impôt. Le plus connu concerne l’assurance‑vie, qui offre un abattement plafonné à 152 000 euros par enfant. Si l’on ajoute à cela l’abattement forfaitaire de 100 000 euros, auquel les enfants ont droit pour chacun de leur ascendant direct (père et mère), la somme totale transférable sans impôt s’élève à 252 000 euros. Un couple fortuné peut ainsi faire à chacun de ses deux enfants une donation de 100 000 euros de leur vivant, en ayant pris soin de déposer chacun une assurance‑vie de 152 000 euros. Soit 504 000 euros au total, sans payer le moindre centime d’euros.

Autre outil d’optimisation mis au service des plus fortunés, le « droit à l’oubli » permet de bénéficier tous les quinze ans de l’abattement forfaitaire de 100 000 euros, en « effaçant » le patrimoine déjà reçu. Un couple peut ainsi, en toute légalité, transmettre à un enfant, sur trente ans, un millions d’euros, sur lequel ne sera prélevé qu’un impôt de 8 % au moment du décès.

Enfin, la France des héritiers, c’est aussi celle qui règne sur de puissants empires familiaux, transmis sans effort, de génération en génération, grâce au dispositif Dutreil et ses 75 % d’abattement sur la valeur de l’entreprise concernée. Là encore, le faible niveau de la fiscalité appliquée est sans commune mesure avec le poids de la richesse héritée. En d’autres termes, dans l’organisation actuelle des droits de succession, beaucoup de petits donataires payent beaucoup, quand les gros bénéficiaires, eux, ne rendent à l’État qu’une faible contribution.

Il est temps de corriger ces inégalités flagrantes par un dispositif juste, populaire et progressif. Dans cette perspective, la présente proposition de loi poursuit un objectif double. D’un côté, sacraliser les petits héritages, pour tous et d’où qu’ils viennent, afin de garantir qu’aucune personne percevant au cours de sa vie l’héritage moyen, à savoir 118 000 euros, ne soit touchée par l’impôt. De l’autre côté, faire payer aux plus aisés leur juste part d’impôt, grâce à un système progressif qui supprime les dispositifs d’optimisation.

Pour atteindre ce double objectif, le dispositif propose une refonte globale du système des droits de mutations à titres gratuits (DMTG), c’est‑à‑dire la fiscalité qui s’applique sur les successions et les donations. Afin d’empêcher la multiplication des donations et successions dans le temps et avec différentes personnes, l’article premier propose que, désormais, les DMTG ne s’appliquent plus au « coup par coup » à chaque transmission, mais qu’ils s’appliquent sur la somme totale qu’un individu reçoit au cours de sa vie, peu importe le lien avec la personne. Ainsi, il supprime le « droit à l’oubli », qui permettait, tous les quinze ans, de profiter des nouveaux abattements en faisant abstraction des transmissions précédentes. Désormais, c’est l’ensemble des transmissions qui sera pris en compte, ce qui assura une réelle progressivité, la multiplication des transmissions étant le principal canal d’optimisation fiscale des plus riches.

L’article 2 vise à mettre en place la sacralisation d’un héritage en dessous duquel aucun impôt ne sera prélevé, quelle que soit sa provenance. Cet abattement sera fixé à 170 000 euros, un niveau proche de l’héritage moyen mais plus élevé afin de prendre en compte la flambée récente des prix de l’immobilier. Afin de ne pas pénaliser un enfant qui peut aujourd’hui hériter de 200 000 euros de ses parents, un mécanisme d’abattement additionnel est mis en place, permettant à un enfant aujourd’hui exonéré de frais de succession de l’être toujours dans le nouveau système.

L’article 3 vise lui à instaurer un barème unique pour les DMTG. Celui‑ci étant désormais composé de 8 tranches et s’appliquant non plus sur les transmissions au coup par coup, mais sur l’ensemble des donations et héritages reçus, le nouveau système sera beaucoup plus progressif de manière à ce que chaque contribuable paie sa juste part d’impôt. Les simulations préalables effectuées démontrent ainsi qu’aucune personne percevant moins de 300 000 euros d’héritage au cours de sa vie ne sera pénalisée dans ce nouveau système.

Afin de permettre une meilleure progressivité de l’impôt, il est également essentiel de remettre à plat les différentes niches fiscales des DMTG.

Ainsi, l’article 4 abroge la niche concernant la transmission des assurance vie et des plans épargne retraite. Ces produits financiers, très répandus parmi les plus aisés, font l’objet de privilèges injustifiés au niveau de la fiscalité des successions qui s’y applique. Ces produits financiers entreront ainsi dans le régime commun et le barème unique prévu à l’article 3.

L’article 5 propose de réformer le pacte Dutreil évoqué précédemment. Celui‑ci permet d’exonérer une partie des entreprises cédées, si les actionnaires s’engagent à conserver leur part pendant deux ans et si les héritiers s’engagent à garder leurs parts au moins 6 ans. Ce système peut s’avérer protecteur pour certaines TPE/PME, il peut cependant aussi constituer un outil d’optimisation fiscale, dans une logique de transmission purement patrimoniale de l’héritage. Ainsi, nous proposons que l’exonération soit renforcée à 90 % mais plafonnée à 2 millions d’euros, de sorte que les TPE/PME soient davantage protégées d’une potentielle destruction de l’outil productif, mais aussi pour éviter que des dizaines de millions d’euros puissent être transmis à très faible taux d’imposition par ce canal

Enfin, l’article 6 propose de plafonner l’abattement qui s’applique sur la résidence principale. Aujourd’hui, celui‑ci est fixé à 20 %, quelle que soit la valeur de la maison, si bien que, par sa fixation en pourcentage, elle favorise les grandes demeures. Nous proposons donc que cet abattement soit désormais plafonné à 100 000 euros.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 784 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, les mots : « à l’exception de celles passées depuis plus de quinze ans » sont remplacés par les mots : « quelque que soit le donateur ou le défunt ».

2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Pour le calcul des abattements édictés à l’article 779, il est tenu compte des abattements effectués sur les donations antérieures visées au deuxième alinéa consenties par toute personne au profit du bénéficiaire. ».

Article 2

L’article 779 du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Art. 779.  I.  Pour la perception des droits de mutations à titre gratuit, il est effectué un abattement de 170 000 euros dans les conditions mentionnés à l’article 784.

« II.  Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement, additionnel à celui du I, de 15 000 euros, sur la part de chacun des enfants vivants ou représentés par suite de prédécès ou de renonciation.

« III.  Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 159 325 € sur la part de tout héritier, légataire ou donataire, incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d’une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise. »

Article 3

L’article 777 du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Art. 777.  Les droits de mutation à titre gratuit sont fixés aux taux indiqués dans les tableaux ci‑après, pour la part nette revenant à chaque ayant droit :

« Tarif des droits applicables

Fraction de part nette taxable

Tarif applicable ( %)

N’excédant pas 25 000 € 5

Comprise entre 25 000 € et 50 000 € 10

Comprise entre 50 000 € et 75 000 € 15

Comprise entre 75 000 € et 100 000 € 20

Comprise entre 100 000 € et 200 000 € 30

Comprise entre 200 000 € et 300 000 € 40

Comprise entre 300 000 € et 600 000 € 50

Au‑delà de 600 000 € 60

« Sous réserve des exceptions prévues au I de l’article 794 et aux articles 795 et 795‑0 A, les dons et legs faits aux établissements publics ou d’utilité publique sont soumis aux tarifs fixés dans le tableau ci‑dessus.

Article 4

L’article 757 B du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Art. 757 B. – I.  Les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l’assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l’assuré.

« II.  Les conditions d’application du présent article et notamment les obligations concernant les informations à fournir par les contribuables et les assureurs sont déterminées par décret en Conseil d’État."

Article 5

Le code général des impôts est ainsi modifié :

I.  Au premier alinéa de l’article 787 B, les mots : « 75 % de leur valeur » sont remplacés par les mots : « 90 % de leur valeur, dans la limite de 2 millions d’euros ».

II.  Les articles 790 A et 790 A bis sont abrogés.

Article 6

Le premier alinéa de l’article 764 bis du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’abattement mentionné ne peut dépasser 100 000 euros ».

Article 7

Les articles 778, 784 B, 786, 787 A, 788, 790 B, 790 D, 790 E, 790 F, 790 G et 796‑0 bis du code général des impôts sont abrogés.

Article 8

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)
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