Proposition de loi visant à garantir un droit à la scolarisation des enfants dans les écoles maternelles dès l’âge de deux ans et instaurant l’obligation d’instruction dès l’âge de trois ans
présentée par Mesdames et Messieurs
Marie‑George BUFFET, Elsa FAUCILLON, Bruno Nestor AZEROT, Huguette BELLO, Alain BRUNEEL, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
Député‑e‑s.
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi de refondation pour l’école de la République (loi n° 2013‑595) du 8 juillet 2013 a amorcé un travail indispensable redonnant progressivement sa place à l’école maternelle. Faisant écho à une promesse de campagne de François Hollande, cette loi n’a néanmoins pas permis d’augmenter significativement le taux de scolarisation entre deux et trois ans et n’a pas donné tous les moyens nécessaires aux communes afin d’assurer l’accueil adapté aux très jeunes enfants sur tout le territoire de la nation.
L’évolution des effectifs d’élèves de moins de trois ans est tributaire des politiques éducatives mises en œuvre. À la rentrée 2015, 11,5 % des enfants de deux à trois ans étaient scolarisés, soit 93 600 enfants, alors que ce taux était d’environ un tiers des enfants en 1999.
Néanmoins depuis 2013, des efforts ont été effectués afin d’augmenter ce taux dans les zones géographiques en difficultés. Ainsi, 19,3 % des enfants de moins de trois ans sont scolarisés en zone d’éducation prioritaire contre 9,8 % hors éducation prioritaire. Il convient désormais d’étendre le droit à la scolarisation dès deux ans sur tout le territoire.
De plus, les disparités territoriales sont importantes, tant les capacités de scolarisation des enfants de moins de trois ans sont soumises aux modalités démographiques et financières des communes, en charge de l’enseignement préélémentaire.
Ces disparités territoriales se traduisent par la présence massive ou non de classes spécifiques à la scolarisation des enfants de deux ans. Dans le département de la Seine‑Saint‑Denis à la rentrée 2015, sur les 918 enfants de moins de trois ans scolarisées, seuls 58 d’entre‑eux étaient intégrés dans des classes ordinaires. À l’inverse, d’autres départements ne possèdent que très peu de classes spécifiques.
De même, les collectivités territoriales ne s’approprient pas toutes de la même manière et avec la même intensité les possibilités ouvertes notamment par la loi de refondation pour l’école de la République. Il convient ainsi de fixer un cadre national précis, permettant à l’État d’accompagner les collectivités territoriales efficacement afin de rendre effectif le droit pour chaque enfant de plus de deux ans d’intégrer une petite section à l’école maternelle.
De plus, la formation initiale spécifiquement dédiée à l’école maternelle est insatisfaisante. Les heures consacrées dans les ESPE sont difficilement quantifiables mais apparaissent systématiquement insuffisantes. Il convient de renforcer la formation initiale et continue en y dédiant des heures spécifiques dans la formation des enseignants destinés à l’enseignement préélémentaire.
Si lors des dernières années des progrès ont été faits dans la prise en compte des besoins spécifiques des enfants de moins de trois ans, il reste de nombreuses marges de progression. Pour ce faire, il est impératif d’améliorer la « professionnalisation » des enseignants, des formateurs (encore trop peu nombreux) et des corps d’inspection.
Garantir l’accès à l’école maternelle dès deux ans
Si la scolarisation des deux‑trois ans est possible, l’article 113‑1 du code de l’éducation dispose qu’elle « est organisée en priorité dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d’outre‑mer ».
L’exemple il y a quelques années de l’école maternelle de Luz‑Saint Sauveur dans les Hautes‑Pyrénées a illustré la nécessité de préciser dans la loi que la scolarisation dès deux ans est un droit, partout sur le territoire.
Un arrêté de l’inspecteur d’académie en date du 6 mai 2008, supprimant un emploi d’enseignant sur les trois que compte l’école maternelle, a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. La décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 février 2010 (N° 09BX01610) a annulé l’arrêté de l’inspecteur d’académie au motif que cette commune est classée en zone de revitalisation rurale (ZRR) et que son école est donc considérée comme un « environnement social défavorisé » au sens des articles L. 113‑1 et D. 113‑1 du code de l’éducation. Ainsi cette décision de suppression de poste ne saurait se justifier : « l’inspecteur d’académie a omis de prendre en compte dans le calcul prévisionnel des effectifs les enfants de moins de trois ans, alors que leur scolarité doit être assurée en priorité dans un tel environnement ». Le tribunal donne ainsi droit à la requête de la commune en annulation de l’arrêté du 6 mai 2008 de l’inspecteur académique pour excès de pouvoir. Le ministère de l’éducation nationale effectue un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’État, au motif que si la scolarisation des moins de trois ans est prioritaire dans les zones défavorisées, elle ne serait en aucun cas une obligation pour le système éducatif et ne constituerait pas un droit pour les parents.
Cette affaire montre bien le besoin d’une législation claire dans ce domaine, afin que la maternelle soit un droit ouvert à toutes et tous, dès deux ans
Différents rapports ont démontré les avantages de la scolarisation dès deux ans et le rôle fondamental de l’école maternelle.
Le rapport conjoint IGEN ‑ IGAENR n° 2014‑043 de juin 2014 portant sur la scolarité des enfants de moins de trois ans a identifié les progrès qui devaient être réalisés dans l’accueil des plus jeunes enfants en maternelle.
Un autre rapport de l’IGEN, intitulé « scolarisation dans la petite section en maternelle » a été rendu à M. le ministre de l’éducation nationale en mai 2017.
Ce rapport préconise de porter au niveau académique des objectifs clairs (quantitatifs et qualitatifs) en matière de scolarisation des moins de trois ans, de réaliser un état des lieux de la scolarisation des deux‑quatre ans à l’échelle académique ou encore de développer, au sein des ESPE, des compétences sur l’école maternelle et les spécificités du public des deux‑quatre ans.
Les bénéfices de la scolarisation dès deux ans ont également été démontrés dans le rapport Développement du jeune enfant ‑ Modes d’accueil ‑ Formation des professionnels, de Sylviane Giampino, remis à Laurence Rossignol, ancienne ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, en mai 2016. L’apprentissage des « compétences langagières », par les gestes ou la parole se fait dès deux ans, en particulier pendant la période charnière de deux à quatre ans.
Enfin, le rapport annexé à la loi de refondation de l’école de la République soulignait les avantages de la scolarisation précoce en ces termes « La scolarisation précoce d’un enfant de moins de trois ans est une chance pour lui et sa famille lorsqu’elle est organisée dans des conditions adaptées à ses besoins ». Néanmoins, la loi de 2013 reste insuffisante car ne concentre les efforts que sur certaines zones géographiques, alors qu’il est primordial selon nous de développer la scolarisation précoce sur tout le territoire.
Si l’école maternelle est progressivement de nouveau reconnue comme une véritable école et non une garderie où les enseignants « changent les couches » comme le disait avec un profond mépris un ancien ministre de l’éducation nationale, les différents rapports de l’IGEN montrent que beaucoup de progrès sont encore à accomplir pour former le personnel, enseignants et encadrants.
Un taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans trop faible
Alors qu’il est démontré le caractère décisif dans le développement de la tranche d’âge zéro‑six ans, la scolarisation des enfants de deux ans a été en recul constant depuis plusieurs années et depuis 2013, ne parvient pas à augmenter significativement : dans certains départements, le taux de scolarisation a été divisé par deux depuis 2000. Ils étaient un enfant sur trois en 2000 il est en 2015 de 11,5 %. Cette diminution résulte davantage d’une volonté politique du ministère de l’éducation nationale lors de la précédente décennie que d’un recul de la demande des parents, puisque les inspecteurs d’académie ne prenaient plus les deux‑trois ans en compte dans le calcul des effectifs, créant par la même une pénurie organisée de places.
Le rapport de la Cour des comptes du 10 septembre 2008 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale faisait déjà acte d’une baisse de 27 % de la scolarisation des enfants de deux‑trois ans entre 2003 et 2007, dont 29 % dans le public et 18 % dans le privé (p. 354). Certains départements comme la Seine‑Saint‑Denis, ont été plus particulièrement touchés puisque le taux de scolarisation de cette tranche d’âge est passé de 22 % en 1999 à 8 % en 2006. Ainsi, à la rentrée 2005, 5 000 enfants se retrouvaient en attente de scolarisation, dont 300 de plus de trois ans. Cela conduisait alors la Cour des comptes à parler d’un « désengagement du ministère » de la scolarisation des enfants de deux‑trois ans.
Permettre la scolarisation à partir de deux ans de tous les enfants qui sont prêts et dont les familles en font la demande apparaît donc être un enjeu majeur. Il ne s’agit pas de rendre la scolarisation dès 2 ans obligatoire, mais bien de permettre à tous les parents qui le souhaitent de pouvoir inscrire leur enfant à l’école maternelle dès cet âge. Donner ce droit aux parents et créer une obligation pour l’État de donner suite à cette demande sont d’autant plus importants que les bienfaits de la scolarisation des deux ans, en termes d’acquisition du langage par exemple, bénéficient particulièrement aux enfants issus de milieux défavorisés.
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