EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En février 2011, à partir d’initiatives locales contre des fermetures de classe à Lécluse, à Lallaing ou encore à Aniche, un collectif de défense de l’école de la République regroupant des parents, des enseignants, des élus, des citoyens s’est constitué dans la région de Douai.
Après une première opération « école morte » à Lécluse dès le début du mois de février, d’autres mouvements contestataires se sont créés aux quatre coins du Douaisis au fur et à mesure des rumeurs de fermetures puis de leur confirmation. Occupations d’écoles, pétitions, séquestrations « amicales » de directeurs d’établissements ont rythmé le dernier trimestre scolaire à Faumont, Auchy-lez-Orchies, Lallaing, Sin-le-Noble, Bruille-lez-Marchiennes etc.
Le collectif est né sur ce terreau de luttes. Avec 26 postes supprimés dans le premier degré, ramenés provisoirement à 24, l’arrondissement de Douai avait en effet payé le plus lourd tribut dans le Nord, déjà lui même durement touché.
Le collectif à ensuite organisé un pique nique le 30 avril 2011 à Dechy, un débat public le 17 juin à Aniche, une assemblée le 6 septembre à Lewarde et le 19 janvier 2012 à Aniche.
C’est de là qu’a muri l’idée d’une proposition de loi d’initiative populaire pour qu’on en finisse avec ces mauvais coups portés contre l’école et qu’on lui redonne les moyens et les règles d’un bon fonctionnement.
Un collectif ouvert s’est réuni depuis chaque mois où parents d’élèves, élus et syndicalistes ont été invités à se retrouver pour imaginer les suites de la lutte et préparer le texte de cette proposition. Des questionnaires ont été remis aux parents afin qu’ils puissent exprimer ce qu’ils attendaient en priorité de l’école de la République.
En compulsant nombre de documents législatifs et statistiques, le collectif est arrivé à la conclusion suivante : rien n’est accidentel dans cette politique de fermeture, tout est délibéré et obéit à une logique de marchandisation en vue de livrer à terme l’école à la privatisation et au marché, selon les préceptes de la concurrence libre et non faussée du libéralisme appliqués avec zèle par le pouvoir sarkozien et respectant en cela les prescriptions du Traité européen de Lisbonne.
Si les suppressions de postes et autres fermetures de classe ne sont pas nouvelles, la casse délibérée et organisée du service public d’éducation a sans aucun doute atteint un sommet depuis les élections présidentielles et législatives de 2007.
En 2007, l’OCDE pointait déjà du doigt la France parmi les plus mauvais pays pour l’ascension sociale. Près de quatre ans après, le Conseil économique, social et environnemental a révélé que notre système éducatif avait cessé dans la période récente d’être un facteur de réduction des inégalités pour être désormais responsable de leur aggravation même s’il est vrai que l’école n’a pas pour objectif en soi de réduire les inégalités lesquelles relèvent d’abord de la politique générale du gouvernement et singulièrement de son volet social.
De sorte que si l’école avait échoué jusqu’alors à devenir l’ascenseur social que l’on peut observer dans quelques pays, la plupart des réformes imposées en France depuis 2007 auront constitué le levier décisif de sa transformation en outil du déclassement.
De nombreux indicateurs – stagnation de la part d’une classe d’âge parvenant au niveau du baccalauréat, augmentation de la proportion d’élèves sortant du système scolaire sans diplôme ni qualification, persistance de graves lacunes dans l’acquisition des savoirs fondamentaux, etc – interpellent violemment quant à la capacité de nos dirigeants à préparer la société de demain.
Quelles décisions ont pu conduire à ce désastre ?
Dès le mois de juin suivant son élection, le Président de la République enjoignait le Premier ministre de lancer la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui, sous couvert de « modernisation de l’État », allait organiser une saignée d’une ampleur inégalée dans la fonction publique.
Le premier budget présenté par le Gouvernement consacra 11 200 suppressions de postes dans l’enseignement scolaire public et privé pour 2008, tandis que la rentrée scolaire de 2007 dut supporter la confirmation de 8 700 emplois en moins tel que décidé dans la précédente loi de finances.
Un cap fut franchi à la rentrée 2009 puisque l’on vit pour la première fois une hausse du nombre d’élèves dans le premier degré s’accompagner d’une suppression de postes !
Aussi, les budgets qui suivirent apportèrent peu de nuances à cette débâcle organisée : 13 500 suppressions de postes pour 2009, 16 000 pour 2010, 16 120 pour 2011 et 14 000 pour 2012.
Au total, la RGPP fut donc le prétexte à la programmation de 80 000 suppressions de postes entre 2007 et aujourd’hui, preuve s’il en est que l’éducation n’est plus une priorité et que le mérite et l’excellence sont privilégiés au détriment de l’éducation pour tous.
Et tandis que ses évaluations ont démontré des effets pratiquement nuls en matière de réduction de la dette publique – qui est pourtant son prétexte –, nous savons à quelles conséquences dramatiques a abouti cette réforme dans le domaine scolaire : « Fermetures massives de classes malgré les augmentations prévues d’effectifs, affaiblissement organisé des RASED, baisse de la scolarisation des enfants de 2 ans, intégration non préparée et maladroite des élèves handicapés, asphyxie des mouvements d’éducation populaire, d’éducation nouvelle, et des associations d’éducation complémentaires de l’enseignement public, démolition de la formation initiale des enseignants, détérioration des conditions d’accueil des élèves, dégradation des conditions de travail des personnels, difficultés à assurer des remplacements de qualité dans des conditions acceptables, découragement et mise en difficulté des jeunes enseignants, ainsi que des élèves dont ils ont la charge… » (Appel aux parlementaires du collectif des 25 « L’Éducation est notre avenir » Paris, le 5 septembre 2011).
Pour justifier la poursuite de cette politique, nos gouvernants n’ont pas manqué de faire valoir que le budget de l’Éducation nationale continuait de progresser d’année en année, oubliant sciemment de préciser qu’elle résultait pour l’essentiel d’une progression mécanique essentiellement due aux avancées de carrière. Or, les hausses affichées étaient généralement inférieures à la prévision d’inflation. Rapportées à la part des richesses produites, nos dépenses publiques d’éducation stagnent actuellement autour de 5,6 % du PIB alors qu’elles étaient par exemple de 7,8 % en 1993, avec une scolarisation moindre.
Mais plonger l’école dans une crise encore plus profonde constituait évidemment une stratégie du Président de la République pour pouvoir mieux imposer ses autres décisions d’inspiration néolibérale, décrites dans sa Lettre aux éducateurs qu’il fit connaître dès septembre 2007. C’est dans cette lettre qu’il confirma sa décision d’assouplir la carte scolaire alors même que la mise en concurrence des établissements et la ségrégation sociale scolaire qu’elle engendrait allaient à l’encontre de l’amélioration du niveau général y compris pour les élèves issus de milieux favorisés.
« Dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu » dénoncèrent deux inspecteurs généraux de l’Éducation nationale dans un rapport que le ministre refusa de rendre public.
Les annonces sécuritaires se sont multipliées alors que budget après budget, le ministère vide les établissements des adultes qui, aux côtés des enseignants contribuent à la vie scolaire des élèves : surveillants, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation psychologue, infirmiers et médecins scolaires... Entre 2003 et 2009, le total des personnels d’éducation hors enseignants est ainsi passé de 97 727 à 81 300 personnes.
S’agissant de la médecine scolaire, dont la mission consiste précisément à détecter précocement les troubles de santé pour y remédier, le Gouvernement n’a fait qu’accentuer son affaiblissement. On a ainsi constaté la chute vertigineuse de la proportion d’élèves ayant bénéficié du bilan de santé dans leur 6e année : de 73,5 % en 2005, ce bilan n’a concerné que 66 % des élèves en 2009. La situation est à ce point critique qu’en présentant son rapport sur l’évaluation de la médecine scolaire devant le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes a récemment évoqué l’existence de « déserts médico-scolaires ».
En matière d’inégalités territoriales, tandis que l’on pouvait espérer un renforcement de l’éducation prioritaire, les moyens consacrés aux réseaux « ambition réussite » sont restés d’une faiblesse notable y compris après que la même Cour des comptes eut préconisé que « pour faire face à l’écart croissant entre les meilleurs élèves et ceux en difficulté, il convenait d’engager des moyens exceptionnels en faveur des établissements les plus défavorisés » (Cour des comptes, L’Éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, mai 2010).
Voici en quels termes les élèves, étudiants, parents, personnels, associations complémentaires et mouvements pédagogiques et d’éducation populaire des 25 organisations rassemblées au sein du collectif « L’Éducation est notre avenir » ont lancé un appel aux parlementaires, le 5 septembre dernier, en prélude à la grève dans l’Éducation nationale qui a réuni pour la première fois public et privé le 27 septembre dernier : « En l’absence de toute réponse raisonnée de la part d’un gouvernement devenu incapable de discernement pour l’avenir […], l’ensemble des organisations engagées dans le collectif “L’Éducation est notre avenir” en appelle désormais aux élus du peuple et de la République, pour interpeller le gouvernement sur sa politique […] Les conséquences qui se font déjà lourdement sentir sur le terrain, dans les établissements, les écoles, les classes et les actions post et périscolaires, ne sont pourtant que les prémices d’une bombe à retardement qui ne manquera pas d’exploser dans l’avenir. »
Dans son édition 2011 de l’étude « Regards sur l’éducation », l’OCDE indique qu’entre 1995 et 2009, le taux de scolarisation des 15-19 ans a diminué en France, en passant de 89 % à seulement 84 %... Et qu’en 2010, deux cent mille élèves « décrocheurs » ont été recensés.
D’après les parents d’élèves, seulement 95 % des classes avaient effectivement un enseignant devant elles le 5 septembre dernier, quand elles ne dépassent pas les 40 élèves ou réunissent trois niveaux dans certaines écoles rurales.
À la même date, environ 5 000 élèves handicapés se sont retrouvés sans accompagnant, rendant problématique, voire impossible la scolarisation de certains.
Près d’un mois après la rentrée, 4 140 demi-journées ont été signalées comme autant d’heures de cours perdues car non remplacées...
Sans cesse réformée et sans cesse démembrée, l’Éducation nationale ne semble en fait plus en mesure de garantir un accès égal au droit à l’éducation, à la formation et à l’obtention d’un diplôme.
Et la mise sous tutelle de l’Europe des politiques éducatives des États membres sous prétexte d’harmonisation accentue la dégradation.
Aussi, ces données interrogent finalement quant à la réalité du « droit à l’éducation » inscrit à alinéa 5 de l’article L. 111-1 du code de l’éducation qui est censé être « garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté ».
N’y a-t-il pas aussi matière à déceler plus largement dans la situation une véritable rupture avec le principe d’égalité normalement garanti par l’article 1er de la Constitution mais aussi avec le préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » ?
En réalité, les attaques systématiques et organisées subies par l’école depuis une vingtaine d’années ne permettent plus de faire exister ce principe d’égalité fondamental et structurant.
C’est pour toutes ces raisons, et sans attendre que soient rapportées toutes les mesures néfastes et dévastatrices qui se sont accumulées depuis des années, il vous est demandé de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Tout enfant est accueilli à l’école, au collège du secteur et au lycée dans des classes qui ne comptent pas plus de 25 élèves inscrits.
Ce nombre est porté à 20 dans les établissements classés en réseau d’enseignement prioritaire.
Article 2
La continuité du service public est garantie sans remettre en cause le droit de grève. Tout enseignant absent est remplacé dans un délai maximum de 24 heures.
Article 3
Les charges qui résultent pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par l’augmentation du taux d’impôt sur le revenu applicable aux revenus du capital.
Propositions de loi
PL n° 4435 - visant à garantir un effectif maximum d’élèves par classe et à imposer le remplacement des enseignants absents dans un délai de 24 heures
Publié le 6 mars 2012
André
Chassaigne
Président de groupe
Député
du
Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
Jean-Paul
Lecoq
Député
de
Seine-Maritime (8ème circonscription)
Daniel
Paul
Député
de
Seine-Maritime (8ème circonscription)
Jean-Claude
Sandrier
Député
de
Cher (2ème circonscription)
Jean-Jacques
Candelier
Député
du
Nord (16ème circonscription)
Marc
Dolez
Député
du
Nord (17ème circonscription)
Marie-George
Buffet
Députée
de
Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
Marie-Hélène
Amiable
Députée
des
Hauts-de-Seine (11ème circonscription)
le texte de la proposition
Sur le même sujet
Culture et éducation
A la Une
Dernières vidéos de André Chassaigne
Rapport d'information sur les systèmes d'armes létaux autonomes
En savoir plus
Intervention d’André Chassaigne (PCF) devant la Commission de la Défense nationale et des Forces arméees, le mercredi 22 juillet 2020, sur le rapport d’information sur les systèmes d’armes létaux autonomes.
Replier