Propositions

Propositions de loi

PL n° 1469 - tendant à développer la place et les droits des administrateurs salariés élus par le personnel au sein des conseils d’administration et de surveillance

EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En pleine crise économique et financière, la société toute entière s’interroge sur les excès du système capitaliste et ses contradictions.
Malgré le marasme, il faut savoir que les entreprises du CAC 40 affichent toujours des bénéfices record. Mais ceux-ci sont de plus en plus accaparés par les propriétaires des capitaux.
Conformément à l’impératif de « création de valeur actionnariale », plus de la moitié des bénéfices (65 %) est désormais reversée aux actionnaires sous forme de dividendes, contre 25 % en 1970.
La priorité est donc clairement donnée à la satisfaction des exigences de rendements financiers, au détriment de l’emploi, des salaires et du développement de la production.
Par ailleurs, les grands dirigeants d’entreprise continuent de bénéficier d’augmentations annuelles de salaires astronomiques à deux chiffres, bonus et stock-options confondus, et d’indemnités de départ pharaoniques et indécentes.
Parmi les nombreux parachutes dorés, on se contentera de citer les 6 millions d’euros octroyés en 2008 à la dirigeante de la société ALCATEL, société qui avait pourtant perdu quelque 3,5 milliards d’euros et licencié pas moins de 16 000 personnes en 2007 !
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La crise du système marque profondément les consciences de nos concitoyens. Ils sont de plus en plus nombreux à se dire qu’il n’est plus possible de continuer comme avant, de « laisser faire » tout en injectant toujours plus de milliards d’argent public dans le circuit.
Tous les codes de « bonne conduite » n’y changeront rien : le système est strictement incapable de s’autoréguler.
Il revient donc au législateur de ne plus laisser la gestion stratégique des grandes entreprises et des banques aux mains d’actionnaires tout puissants.
Le contrôle stratégique des activités des sociétés est exercé au sein des conseils d’administration et de surveillance. Il n’est cependant pas difficile de comprendre pourquoi ce contrôle est complètement inopérant et inadapté : seuls les actionnaires élisent les administrateurs de ces conseils !
Pour empêcher les abus et contrecarrer la tendance à rejeter systématiquement le point de vue et les intérêts des salariés, il est possible de développer au sein de ces conseils la place et les droits d’administrateurs salariés élus par le personnel.
On sait que le processus de privatisation des sociétés a progressivement écarté les représentants des salariés des instances de décision et de contrôle que sont les conseils d’administration (CA) et de surveillance (CS).
De même, dans le secteur privé, l’existence d’administrateurs salariés élus est laissée au bon vouloir des directions des sociétés, et, quand ils existent, ils n’ont ni le poids ni les moyens nécessaires pour infléchir en quoi que ce soit la répartition des bénéfices, la politique d’investissement, l’évolution de l’actionnariat, la stratégie de croissance externe et interne, les opérations de fusion-acquisition ou les opérations de cession.
Cet écartement des salariés des lieux de pouvoir dans l’entreprise est d’autant plus absurde que ce sont les salariés qui sont les premières victimes de certaines décisions et des erreurs stratégiques qui peuvent être commises !
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Nous pensons qu’il faut donner toute la place qu’ils méritent aux administrateurs salariés élus du personnel au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Nous nous plaçons en cela dans le droit fil de la Constitution, qui, en l’alinéa 8 du préambule de 1946, dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
On peut aisément imaginer que, si le regard des salariés pouvait porter sur des opérations aussi diverses que le contrôle des comptes, la nomination et la fixation de la rémunération du président du CA, du directeur général et des directeurs généraux délégués, la dissociation ou non des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, les abus, les scandales et la gestion aventureuse des firmes seraient efficacement combattus.
Refonder la composition des conseils d’administration et de surveillance en donnant toute leur place aux administrateurs élus par les salariés, garantir leurs droits d’intervention : tel est l’objet de cette proposition de loi.
Cela semble :
– légitime : les richesses produites sont le fruit du travail des salariés ;
– efficace : les salariés connaissent leur entreprise et leur métier ;
– urgent : notre société subit la pire crise du capitalisme depuis près d’un siècle !
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Le titre Ier développe la place et les droits des administrateurs salariés élus par le personnel au sein des conseils d’administration.
L’article 1er supprime l’obligation faite aux administrateurs salariés élus par le personnel membre des conseils d’administration de détenir des actions de la société. Cette obligation restrictive est contradictoire avec l’idée d’une représentation au titre de la qualité de salarié.
L’article 2 indique que les administrateurs élus des salariés doivent représenter un tiers du total des membres des conseils d’administration. Ils participent avec voix délibérative à toutes les séances. Ainsi, il sera possible de prendre en compte les intérêts des salariés et les dimensions sociales dans le processus de décision.
Par ailleurs, dans l’état actuel de la législation, un siège est réservé aux représentants des cadres. Mais les cadres font partie intégrante du salariat. Leurs intérêts sont communs avec ceux des autres salariés. C’est la raison pour laquelle est proposée la suppression du collège des cadres.
L’article 3 institue le collège unique pour le vote des administrateurs salariés élus du personnel.
La législation interdit le cumul de mandat d’administrateur élu par les salariés avec tout mandat de délégué syndical, de membre du comité d’entreprise, de délégué du personnel ou de membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société. Cette interdiction nuit à la cohérence de la démarche des administrateurs salariés avec celle des syndicats. Pour des raisons d’efficacité, il apparaît nécessaire de supprimer l’interdiction de cumul avec une responsabilité syndicale, ce que propose l’article 4.
L’article 5 introduit un droit de veto aux administrateurs salariés sur les décisions qui impactent le volume et la structure des effectifs. Par ailleurs, un droit de veto est également institué sur les décisions relatives à la structure juridique de l’entreprise, les cessions, acquisitions, fusions devant désormais être prises à l’unanimité des membres des conseils d’administration.
Ainsi, les salariés, à travers leurs administrateurs élus, seront à même de maîtriser la stratégie globale nationale et internationale, les segments d’activité, la politique de l’emploi, la stratégie de filialisation, de sous-traitance et d’externalisation.
Remarque : il ne s’agit pas, pour les administrateurs élus par les salariés, de gérer les affaires quotidiennes de l’entreprise. Tel est le rôle des dirigeants d’entreprise, sous le regard des institutions représentatives du personnel.
L’article 6 est un article de cohérence.
L’article 7 accorde un véritable droit à l’information et à la participation aux administrateurs salariés élus, en encadrant les règlements intérieurs des CA. La loi doit mettre fin aux discriminations à leur égard, notamment en terme d’accès à l’information et aux explications nécessaires à la compréhension des comptes (consolidés, sociaux, filiales et analytiques). C’est une condition pour pouvoir cerner les évolutions de l’entreprise et connaître en amont les possibles difficultés.
L’égalité de traitement doit exister également au regard des comités spécialisés créés au sein des conseils : comité de l’audit, comité de la stratégie, comité de l’éthique, comité des rémunérations.
Par ailleurs, pour réduire le rôle des administrateurs salariés et empêcher un débat collectif, les directions d’entreprises tentent d’imposer l’obligation de confidentialité, voire de secret professionnel. Il s’agit là d’un abus, car le code du commerce évoque seulement la discrétion.
La confidentialité imposée ne concerne strictement que les clauses commerciales bien précises dont la diffusion pourrait nuire à l’entreprise. Pour tout ce qui est des décisions stratégiques et les comptes, tenter d’imposer le silence ne peut que conduire à perpétuer les dérives.
C’est pourquoi, le II de l’article7 précise qu’en aucun cas l’obligation de discrétion ne saurait être invoquée pour empêcher les membres des conseils d’administration de communiquer sur les mesures de nature à affecter l’organisation économique ou juridique de l’entreprise et le volume ou la structure des effectifs.
Étant élus par l’ensemble des salariés, les administrateurs salariés doivent pouvoir rendre compte régulièrement de leur mandat électif sous toutes les formes qu’ils jugent utiles. C’est une question de démocratie, de transparence et de gage d’efficacité de leur intervention.
L’article 8 appelle à garantir, par décret pris en Conseil d’État, les conditions nécessaires à l’exercice du mandat d’administrateur salarié au sein du CA.
L’article 9 stipule que si des administrateurs représentant les salariés actionnaires sont désignés par l’assemblée générale des actionnaires, leur nombre ne peut être imputé sur le collège des administrateurs salariés élus par les salariés.
L’article 10 protège le déroulement de carrières des salariés membres des CA et CS.
Le titre II développe la place et les droits des administrateurs salariés élus par le personnel au sein des conseils de surveillance.
L’article 11 accorde un droit de veto aux membres des conseils de surveillance sur les mesures de nature à affecter l’organisation économique ou juridique de l’entreprise et sur celles affectant le volume ou la structure des effectifs.
L’article 12 indique que les administrateurs salariés, élus par le personnel, membres des conseils de surveillance n’ont pas besoin de détenir des actions de la société.
L’article 13, de la même manière que dans les CA, fait entrer dans les conseils de surveillance des sociétés anonymes des administrateurs salariés élus par le personnel.
L’article 14, comme pour le règlement du conseil d’administration et en cohérence avec le reste du dispositif, met des garanties à l’expression, à la participation et au vote des administrateurs salariés élus au sein des conseils de surveillance.
L’article 15 précise qu’en aucun cas l’obligation de discrétion ne saurait être invoquée pour empêcher les membres des conseils de surveillance de communiquer sur les mesures de nature à affecter l’organisation économique ou juridique de l’entreprise et le volume ou la structure des effectifs.
L’article 16, comme pour les administrateurs salariés des conseils d’administration, appelle à garantir, par décret pris en Conseil d’État, les conditions nécessaires à l’exercice du mandat d’administrateur salarié au sein du CS.
L’article 17 indique que si des administrateurs représentant les salariés actionnaires sont désignés par l’assemblée générale des actionnaires au sein des conseils de surveillance, leur nombre ne peut être imputé sur le collège des administrateurs salariés élus par les salariés.
Le titre III modifie la représentation au titre du comité d’entreprise au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Le code du travail indique que « dans les sociétés, deux membres du comité d’entreprise, délégués par le comité et appartenant l’un à la catégorie des cadres techniciens et agents de maîtrise, l’autre à la catégorie des employés et ouvriers, assistent avec voix consultative à toutes les séances du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, selon le cas. »
De même, « dans les sociétés où sont constitués trois collèges électoraux, en application de l’article L. 2324-11, la délégation du personnel au conseil d’administration ou au conseil de surveillance est portée à quatre membres. Deux de ces membres appartiennent à la catégorie des ouvriers et employés, le troisième à la catégorie de la maîtrise et le quatrième à la catégorie des ingénieurs, chefs de service et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés sur le plan de la classification. »
Il est prévu que « les membres de la délégation du personnel au conseil d’administration ou au conseil de surveillance ont droit aux mêmes documents que ceux adressés ou remis aux membres de ces instances à l’occasion de leurs réunions ». En revanche, il est tout a fait contestable que ceux-ci ne peuvent que « soumettre les voeux du comité au conseil d’administration ou au conseil de surveillance, lequel donne un avis motivé sur ces vœux ».
En effet, les élus du personnel choisis au sein d’institutions représentatives du personnel démocratiquement élues, comme les comités d’entreprise par exemple, sont tout aussi légitimes pour représenter la voix des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Or la législation actuelle réduit considérablement la portée de leur participation à ces conseils C’est pourquoi, l’article 18 propose de leur attribuer un droit de vote pour faire d’eux des membres à part entière des CA et CS.
Par ailleurs, l’article 17 stipule que ces membres issus du comité doivent rendre compte de leur action à l’institution représentative qui leur a donné mandat et que cette dernière peut décider de suspendre la participation d’un ou de l’ensemble de ses membres à ces conseils.
Enfin, alors qu’il s’agit actuellement d’un simple droit, l’article 19 oblige les administrateurs salariés siégeant dans les conseils d’administration et de surveillance au titre de la représentation du comité d’entreprise à soumettre à ces conseils les voeux émis par leur CE mandataire concernant toute question qui touche à la gestion de l’entreprise, afin que les conseils d’administration et de surveillance en débattent systématiquement.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Alain
Bocquet

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