Proposition de loi relative au logement et à la solidarité envers les étudiants
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
André CHASSAIGNE, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
député‑e‑s
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« La pandémie de covid‑19 est la pire crise internationale depuis la Seconde Guerre mondiale » a estimé mardi 1er avril 2020 Antonio Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies.
A l’issue de ce choc majeur, des décisions ambitieuses ont été prises pour permettre à la France de se reconstruire sur des bases solides, conformes à ses valeurs égalitaires et fraternelles, incluant la réaffirmation de grands principes. Ainsi, l’alinéa 13 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, instaurée par le Conseil national de la Résistance, indique : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction ».
Le 16 avril 1955 était fondé le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), visant à garantir l’égalité des conditions d’instruction des élèves de l’enseignement supérieur.
65 années plus tard, la précarité étudiante est de plus en plus prégnante. Le budget étudiant est grevé par un coût du logement de plus en plus important, le nombre de places en logements universitaires n’étant pas à la hauteur de la demande.
Différents dispositifs complémentaires visant à améliorer les conditions de vie des étudiants ont été proposés. La dernière proposition de résolution, défendue par Marie‑George Buffet le 18 juin 2020, visait à compenser les inégalités croissantes, amplifiées par la crise actuelle, en proposant un revenu étudiant qui aurait contribué à donner leurs chances aux plus défavorisés. Faute d’adoption de cette mesure, les étudiants restent en grande détresse.
Ainsi, la présente proposition vise à apporter une autre solution permettant de mettre en adéquation le nombre de places en logement universitaire et le nombre d’étudiants boursiers, garantissant ainsi un meilleur accès à l’enseignement supérieur.
1. La réalité chiffrée de la précarité étudiante
Les enquêtes Conditions de vie des étudiants ([1]) (CdV), menées depuis 1994, permettent d’apporter des données chiffrées pour décrire les difficultés croissantes rencontrées par les élèves de l’enseignement supérieur en France. Conformément à la méthodologie des enquêtes statistiques, elles sont élaborées par le collège scientifique de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). Sont pris en compte le parcours d’études, les conditions, les temps libres, l’activité rémunérée, le logement, les ressources, la santé, l’alimentation, la place des parents et les caractéristiques sociodémographiques.
La plus récente a été réalisée entre le 14 mars et le 23 mai 2016 sur un échantillon représentatif de 46 340 étudiants en cours d’étude ([2]). Elle montre d’énormes disparités entre les conditions de vie étudiantes, notamment en fonction des origines sociales. Ainsi, 21,9 % des étudiants issus des classes supérieures ne reçoivent aucune aide financière de leur famille, contre 38,6 % chez les classes populaires. Par ailleurs, 45 % des étudiants seulement déclarent avoir assez d’argent pour couvrir leurs besoins mensuels et 22,7 % indiquent avoir été confrontés à d’importantes difficultés financières durant l’année. Parmi les enfants issus de classes supérieures, 55,9 % disent avoir eu assez d’argent pour couvrir leurs besoins mensuels, contre 36,1 % chez ceux dont les parents font partie des classes populaires, démontrant l’ampleur des écarts existants.
On peut observer ces mêmes déclarations à l’aune de la réception d’une bourse d’étude, censée garantir un apport financier suffisant aux élèves concernés. On voit que 49,2 % des non‑boursiers déclarent être en capacité de combler leurs besoins mensuels, contre seulement 37,2 % des boursiers, qui ont pourtant un revenu supplémentaire, issu d’un dispositif ayant vocation à gommer les écarts préexistants à son attribution.
Par ailleurs, l’enquête sur la santé des étudiants ([3]) donne des compléments d’information alarmants : en raison d’un manque de ressources, 16 % des étudiants ont renoncé à des soins dentaires, 14 % à des lunettes, verres, lentilles et 12 % ont renoncé à consulter un généraliste. 23 % des étudiants ont présenté des signes de détresse psychologiques dans les quatre semaines précédant l’enquête, 8,5% déclarent avoir pensé à se suicider au cours des derniers mois. 52 % des étudiants qui exercent une activité non liée aux études en plus de celles‑ci déclarent devoir sauter des repas.
Selon les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, sur les derniers chiffres disponibles correspondant à l’année 2015‑2016, 711 300 étudiants ont reçu une aide financière, soit plus d’un tiers (36,3 %). Ce chiffre global connaît, en moyenne, une hausse de 0,3 % par an, entraînant de fait une baisse des montants attribués individuellement.
Une autre observation peut être effectuée : pour les étudiants non‑salariés ne disposant pas d’une rémunération supplémentaire, le budget mensuel moyen dont ils disposent est de 1 072 euros. Cependant, comme le montre la même enquête, 486 euros proviennent d’aides versées par la famille de l’étudiant. Cette aide supplémentaire est très variable, et dépend fortement des moyens de la famille de l’étudiant. La plupart des familles les plus modestes ne peuvent pas se permettre de prélever une telle somme sur leur budget mensuel.
Si on retire cet apport au budget moyen d’un étudiant, on parvient à un total de 586 euros par mois pour vivre. Or, le coût moyen d’un studio en France dans les villes étudiantes concernées par l’enquête est de 460 euros. Un étudiant ne recevant pas d’aide familiale complémentaire dispose donc de 126 euros par mois pour vivre, incluant ses frais de transport, de scolarité, son alimentation, et les diverses charges restantes nécessaires à sa réussite telles qu’une connexion internet. Par ailleurs, cela étant une moyenne, la réalité est bien plus difficile dans les villes aux loyers les plus élevés, comme Paris, Nice, Lyon ou Bordeaux. Il convient donc de proposer des solutions de logement adaptées, pour que la hausse des loyers ne vienne pas imposer un poids supplémentaire dans la poursuite des études.
Il semble donc évident que les moyens octroyés sont trop faibles pour répondre efficacement aux besoins réels des étudiants, en raison notamment du coût de leur logement.
2. Le manque de places en cité universitaire : principal responsable de la précarité étudiante
Cela nous amène à un autre constat : la précarité étudiante est notamment due au regroupement des étudiants dans les plus grandes villes. En effet, sur les 2,7 millions d’inscriptions dans l’enseignement supérieur enregistrées en 2018 d’après les chiffres du ministère ([4]), 1 521 000 sont concentrées dans seulement 12 villes. Paris, Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Rennes, Grenoble, Marseille, Nantes, Nice et Clermont‑Ferrand concentrent donc à elles seules plus de la moitié des étudiants français. Dans ces villes existe un déficit réel de places en cité universitaire, ce qui induit une hausse des loyers, l’offre étant inférieure à la demande. À l’échelle de la France, 671 000 élèves sont boursiers, contre seulement 170 000 places en résidence universitaire ([5]). L’avantage de ces établissements est qu’ils proposent des loyers modestes, accessibles pour les plus démunis. Pour autant, les 501 000 boursiers qui n’ont de fait pas de place sont forcés de se tourner vers des bailleurs privés, et sont ainsi soumis à la fluctuation du marché, avec des loyers bien supérieurs au budget envisagé.
([6])
Les données présentées par l’enquête sur les Conditions de vie des étudiants 2016 sont sans appel : la part d’étudiants résidant en résidence universitaire est très faible, par rapport aux besoins réels des étudiants boursiers :
([7])
Comme on le voit, sur les 36 % d’élèves boursiers, seul un tiers (12,2 % du total des étudiants inscrits) bénéficient d’une résidence universitaire.
Le manque de places disponibles rend le système de bourses insuffisant et inadapté à l’évolution du coût de la vie pour un étudiant. Il y a un très clair décalage entre les difficultés réelles des jeunes, et les solutions concrètes qui leur sont proposées, déconnectées de la réalité du terrain, qui font qu’un seul tiers des boursiers peut accéder aux cités universitaires prévues pour eux.
Par ailleurs ce système repose sur le postulat qu’un tiers des ressources des jeunes provient des parents, somme hypothétiquement versée systématiquement et dans une quantité similaire. Ça n’est pas le cas : ceux qui sont d’origines les plus modestes et dont les parents n’ont pas les moyens d’apporter cette aide complémentaire sont doublement désavantagés par cette allégation. Une fois de plus, le cadrage visant à répondre à ce problème est complètement déconnecté des réalités, et contribue à intensifier les inégalités préexistantes !
3. La hausse des loyers dans les petites surfaces des plus grandes villes
On observe une augmentation des loyers particulièrement importante dans certaines villes françaises. Ces secteurs sont qualifiés de « zones tendues », en raison du prix très important du mètre carré, et de la difficulté à construire de nouvelles habitations tant l’espace est occupé. Dans ces secteurs, c’est le prix des loyers de petites surfaces qui subit la plus forte hausse, avec des tarifs qui excèdent largement la moyenne nationale, pouvant atteindre jusqu’à 70 € par m² pour certains secteurs de Paris. Un récapitulatif visant à comparer les offres des diverses villes françaises, effectué par la rédaction du site « Seloger.com », montre bien les sommes que peuvent atteindre les loyers dans certaines villes.
Top 12 des grandes villes où les loyers d’un studio
sont les plus chers :
([8])
Face au manque de places en cité universitaire, la plupart des étudiants sont contraints de se tourner vers des offres privées, soumises à la logique du marché. Étant donné que l’offre est bien inférieure à la demande, les loyers augmentent constamment, à un rythme bien plus élevé que les aides sociales versées aux étudiants qui en bénéficient. On peut donc identifier le coût des loyers, plus forte dépense des étudiants, comme la cause principale de leur précarité, synonyme d’un décalage entre leurs besoins et le soutien qui leur est attribué.
On en revient donc au constat précédent : les places en cité universitaire manquent, mais on ajoute par ailleurs à cela que les locations de studios à des bailleurs privés, en zone tendue notamment, sont bien trop onéreuses. La montée incontrôlée des loyers les rend de plus en plus difficilement accessibles aux étudiants. Il en découle de nouvelles inégalités, augmentant le temps de trajets pour ceux qui se tournent vers des logements excentrés. Beaucoup sont même contraints de ne même pas envisager la réalisation d’études supérieures, tant les ressources nécessaires leur sont inaccessibles.
Ceux qui, malgré leur manque de moyens sont contraints, de par leur envie de réussir, de se tourner vers ces locations vivent dans une précarité extrême, tout en devant souvent cumuler des emplois étudiants chronophages et épuisants, incompatibles avec la poursuite de leurs études. L’INSEE l’a d’ailleurs démontré dans une étude : « S’ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année ([9]). »
En somme, la hausse exponentielle des loyers dans ces nombreuses villes constitue une des principales causes de la précarisation croissante de la population étudiante. Elle est donc indirectement responsable des drames qui découlent de cette situation critique, à l’image de l’acte de l’étudiant s’étant immolé en novembre devant le Crous de Lyon, geste hautement symbolique.
4. Un impératif : augmenter la part de résidences universitaires à prix abordable dans les villes concernées
Ce texte a pour finalité de garantir aux étudiants boursiers un nombre suffisant de places en résidences universitaires.
Le premier article permet de recenser l’offre de logements universitaires, distincts de celle des logements sociaux. Les résidences universitaires sont uniquement à disposition des étudiants boursiers tels que définis à l’article L. 631‑12 du code de la construction et de l’habitation. Ainsi, il vient compléter l’article L. 302‑6 du même code, instaurant un inventaire précis du nombre de logements proposés en résidence universitaire.
Le second crée l’article L. 302‑5‑1 du code de la construction et de l’habitation afin de définir le champ d’application de la présente loi et d’instaurer pour les établissements concernés de disposer d’un nombre de places suffisant pour accueillir le nombre d’étudiants équivalent à la moyenne d’étudiants boursiers recensés dans la commune concernée.
Il assure par ailleurs l’obligation pour le réseau d’œuvres universitaires de se conformer à cette disposition en complétant l’article L. 822‑1 du code de l’éducation. L’inventaire effectué par le représentant de l’État prendra en compte les dispositions relatives aux logements universitaires, au même titre que celles concernant les logements sociaux et très sociaux.
Le troisième article intègre la problématique du logement étudiant au sein du programme en complétant l’article L. 302‑1 du code de la construction et de l’habitation.
Le quatrième article inclut les syndicats étudiants parmi les acteurs délibérant sur la façon de mettre en œuvre l’élaboration des dispositions du programme local de l’habitat concernant les logements universitaires, garantissant la prise en compte des intérêts des individus destinés à occuper ces logements, il complète l’article L. 302‑2 du code de la construction et de l’habitation.
Le cinquième article instaure une taxe sur les transactions financières afin de financer les engagements pris aux articles précédents, en affectant son produit au Centre national des œuvres universitaires (Cnous).
Le sixième article instaure une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières dont les recettes sont affectées au Centre national des œuvres universitaires afin d’apporter les ressources financières fixées par la présente loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 302‑6 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
I. – Au premier alinéa, après la troisième occurrence de la référence : « L. 302‑5 », sont insérés les mots : « ou de résidence universitaire », et après la seconde occurrence du mot : « sociaux » sont insérés les mots : « et des logements en résidence universitaire ».
II. – Au quatrième alinéa, après la première occurrence du mot : « sociaux », sont insérés les mots : « et de logements en résidence universitaire », et après la seconde occurrence du mot : « sociaux » sont insérés les mots : « ou de logements en résidence universitaire ».
Article 2
I. – Après l’article L. 302‑5 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 302‑5‑1 ainsi rédigé :
« Art. L.302‑5‑1 : Les dispositions de cet article s’appliquent aux communes comprenant au moins un établissement d’études supérieures. L’offre de places en logement universitaire, structure définie à l’article L. 631‑12 du même code, doit être au moins égale à la moyenne du nombre d’étudiants boursiers recensés les cinq dernières années. »
II. – La première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 302‑6 du code de la construction et de l’habitation est complétée par les mots : « ou de l’article L. 302‑5‑1 ».
III. – Après le huitième alinéa de l’article L. 822‑1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Le nombre de places en résidence universitaires ne doit pas être inférieur aux dispositions fixées par l’article L. 302‑5‑1 du code de la construction et de l’habitation. »
Article 3
À la deuxième phrase du septième alinéa du IV de l’article L. 302‑1 du code de la construction et de l’habitation, après le mot : « intégration », sont insérés les mots : « et de résidence universitaire ».
Article 4
La première phrase du troisième alinéa de l’article L. 302‑2 du code de la construction et de l’habitation est complétée par les mots : « et les syndicats étudiants ».
Article 5
Il est institué une taxe additionnelle à la taxe prévue à l’article 235 ter ZD. Cette taxe additionnelle est assise, recouvrée, exigible et contrôlée dans les mêmes conditions que celles applicables à la taxe prévue au même article 235 ter ZD. Son taux est fixé à 0,1 %. Son produit est affecté au centre national des œuvres universitaires mentionné à l’article L. 822‑2 du code de l’éducation.
Article 6
Les charges pour l’État sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Les charges qui pourraient résulter pour les collectivités territoriales de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
([1]) http://www.ove-national.education.fr/enquete/enquete-conditions-de-vie/
([3]) http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2018/11/Reperes_sante_etudiants_2018.pdf
([4]) https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24683/l-enseignement-superieur-en-chiffres.html
([5]) http://www.lavoixdesparents.com/?p=4411
([6]) Source : Observatoire de la vie étudiante, chiffres de 2013.
([7]) Source : Observatoire de la vie étudiante, Enquête « Conditions de vie des étudiants ».
([8]) Source : Vincent Cuzon, 27 mai 2019, Seloger.com.
([9]) Source : INSEE, L’impact du travail salarié des étudiants sur la réussite et la poursuite des études universitaires, Magali Beffy, Denis Fougère, Arnaud Maurel, 2009.