Proposition de loi visant à instaurer un régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture
présentée par Mesdames et Messieurs
André CHASSAIGNE, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’agriculture constitue le secteur d’activité le plus soumis aux aléas climatiques, sanitaires et environnementaux.
Ces dernières années, la succession d’évènements météorologiques et climatiques extrêmes, la récurrence de problèmes sanitaires, de traçabilité et de contrôle des importations dans un monde plus ouvert que jamais aux échanges internationaux, mais aussi le développement de pollutions accidentelles ou l’introduction d’espèces végétales ou animales invasives, conditionnent de plus en plus la pérennité de l’activité agricole ainsi que notre sécurité et notre souveraineté alimentaires.
Une activité agricole toujours plus soumise aux aléas climatiques, sanitaires et environnementaux
Sur le plan climatique, les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pointent tous les risques inhérents liés au réchauffement climatique, avec des impacts différenciés en fonction des régions et des écosystèmes.
Le Rapport spécial sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres et leur gestion durable, la sécurité alimentaire, et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres (SRCCL), approuvé le 7 août 2019, confirme en particulier que la hausse de « la température moyenne au‑dessus des terres émergées s’accroît presque deux fois plus vite que la température moyenne mondiale » et que « le changement climatique, avec notamment la croissance de la fréquence et de l’intensité des évènements extrêmes, a déjà impacté la sécurité alimentaire et les écosystèmes terrestres tout en contribuant à la désertification et à la dégradation de la qualité des terres dans de nombreuses régions ».
L’accélération du réchauffement climatique ces 10 dernières années nécessite une mise à jour continue de l’évaluation de ses impacts sur l’activité agricole, notamment en France, pour permettre une véritable anticipation et prévention des risques. Les derniers modèles climatiques et études scientifiques françaises confirment des impacts différenciés sur les principales productions et selon les régions agricoles, comme l’avait déjà souligné en 2012 le Livre Vert du projet CLIMATOR, coordonné par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA).
L’année 2019, où la France a connu la succession d’épisodes de gel tardif, de grêle, puis deux épisodes de canicule exceptionnels avec, pendant plusieurs jours, des températures supérieures à 35°C, voire 40°C, et l’absence quasi‑totale de précipitations efficaces pendant 5 mois sur une large bande centrale du pays, a apporté une forme de concentré des principales vulnérabilités de nos systèmes agricoles. Modification de la disponibilité thermique des cultures, effets des jours échaudants et des températures très élevées ou basses au printemps, nouveaux besoins hydriques liés à l’évapotranspiration, impacts sur l’état des sols et sur les jours disponibles pour les travaux agricoles, baisses de rendement tant en grandes cultures que sur les systèmes d’élevage avec un stress hydrique accru… tous ces paramètres relevés en une seule année démontrent combien la gestion des aléas climatiques va s’avérer complexe dans les décennies à venir. Les derniers modèles climatiques pour la France soulignent tout particulièrement le risque de vagues de chaleur récurrentes, avec l’absence de précipitations et des températures très élevées, au‑delà de 40°C, mais pouvant atteindre 45°C, voire 50°C, sur certaines parties du territoire.
Sur le plan sanitaire, la croissance vertigineuse des importations de produits agricoles en France ces 20 dernières années vient non seulement augmenter considérablement le risque de dépendance alimentaire, , mais aussi les risques sanitaires et environnementaux avec, en parallèle, des moyens de contrôle public insuffisants. Les politiques d’ouverture des marchés européens aux échanges internationaux conduisent aussi à complexifier les flux d’approvisionnement à l’entrée comme au sein de l’Union européenne, avec la multiplication des intermédiaires industriels, commerciaux et financiers, encourageant de fait les défauts de traçabilité, de connaissance des caractéristiques des produits, de l’origine et des conditions sanitaires, sociales et environnementales des productions.
Ainsi, les différents « scandales » alimentaires sur l’origine et la composition réelle des produits, comme l’affaire de la viande de cheval en 2013, ou celle des faux steaks hachés de Pologne en 2019, ne sont qu’une face mineure des nouveaux risques sanitaires. Car la pression constante exercée par les opérateurs par le biais de l’achat de produits agricoles d’importation, aux normes de productions très inférieures aux standards français, voire européens, contribue à augmenter les risques sanitaires et environnementaux : maladies animales, organismes nuisibles aux végétaux et aux cultures, diffusion d’espèces végétales ou animales invasives, non‑respect des interdictions ou des doses d’utilisation de produits pharmaceutiques, phytosanitaires ou zoosanitaires…
Le rapport d’information sénatorial du 28 mai 2019 intitulé « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? » confirme que « depuis 2000, les importations ont été presque doublées en France » et qu’elles couvrent « une part de plus en plus importante de l’alimentation des Français ». En 5 ans, la progression en valeur des importations approche les 9 milliards d’euros. Le même rapport vient rappeler « qu’une part significative de ces importations ne respecte pas les normes sanitaires requises en France » tout en pointant le fait que « le taux de contrôle physique » de ces importations « est très faible ».
L’analyse plus précise de ces importations permet d’avoir une image assez précise des mécanismes économiques et commerciaux à l’œuvre. Cette croissance porte fortement sur les produits bruts, avec des risques sanitaires et environnementaux spécifiques. Non seulement la progression des importations continue de toucher des filières déjà historiquement très impactées et très sensibles du point de vue des risques sanitaires, comme la filière fruits et légumes, mais désormais aussi le secteur des viandes et des abats, jusqu’alors plus épargné. Pour les fruits et légumes, près de la moitié de la consommation annuelle des Français est importée. Au sein de la filière « viandes », l’exemple de l’évolution des importations de poulet, un des seuls marchés de la viande dont la consommation progresse ces dernières années, est particulièrement démonstratif : les volumes d’import ont quasiment triplé en 15 ans, de 188 000 tonnes par an en 2000, à près de 533 000 tonnes en 2015. À cette date, 43 % du poulet consommé n’était pas produit en France ; les viandes de volaille d’importation en restauration hors domicile représentaient 60 % de l’offre, et plus encore sur le segment du poulet standard (80 %), alors même que, dans la plupart des cas, ces productions ne respectent pas les normes sanitaires et environnementales françaises et européennes.
Dans le fil de la politique de négociation et de conclusion d’accords de libre‑échange par l’Union européenne, la récente mise en application de l’accord économique et commercial global UE – Canada (AECG ou CETA en anglais) interroge aussi sur de potentiels risques sanitaires, au regard de l’absence d’exigences en matière d’équivalence et de contrôle des normes européennes pour les produits phytopharmaceutiques et vétérinaires, sur les aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation.
Alors que de très importants volumes supplémentaires d’importations sont attendus en cas de ratification ou de poursuite de la mise en application de ces accords de libre‑échange, l’ensemble des filières concernées soulignent l’incapacité actuelle de la France de contrôler rigoureusement les produits agricoles importés alors que ce sont les États‑membres qui en ont la charge. En matière de surveillance des produits animaux, le programme de contrôle sanitaire est aujourd’hui très insuffisant avec le Canada, les pays du Mercosur, l’Australie ou la Nouvelle‑Zélande.
Par ailleurs, la pandémie de covid‑19 vient profondément bouleverser l’analyse des conséquences des crises sanitaires, qui peuvent non seulement concerner les espèces animales et végétales, mais aussi être liées aux épidémies humaines ou à la transmission par des vecteurs animaux à l’homme. Le secteur agricole et alimentaire doit se préparer à faire face dans les décennies à venir à ces nouveaux risques de grande ampleur.
Deux mois après le début de la crise sanitaire du covid‑19 dans notre pays, le constat est ainsi alarmant : quasiment toutes nos filières agricoles sont touchées, avec des difficultés accrues pour les filières d’élevage et des fruits et légumes. Les pertes d’exploitation et la modification profonde des flux commerciaux et de consommation n’ont pas pu être anticipées. La situation appelle des mesures publiques très fortes pour assurer la pérennité des exploitations agricoles. Les soutiens publics qui seront nécessaires pour accompagner les agriculteurs dans cette crise vont être extrêmement élevés.
Enfin, les risques environnementaux doivent être considérés dans toutes leurs dimensions avec notamment :
– l’impact des espèces animales et végétales invasives ;
– l’émergence de nouvelles pathologies en lien avec de nouvelles conditions climatiques et environnementales ;
– les effets potentiellement dévastateurs de la perte accélérée de biodiversité, notamment des pollinisateurs et auxiliaires de culture qui fournissent des services écosystémiques permettant de faciliter la production agricole ou d’en assurer les rendements ;
– la pression aujourd’hui exercée par les grands prédateurs sur certains systèmes d’élevage.
Tous ces risques méritent d’être pleinement reconnus et enfin pris en compte, afin de sécuriser les moyens de prévention et d’indemnisation qui restent insuffisants pour les producteurs concernés.
Le régime des calamités agricoles : un système d’indemnisation publique sous la pression des acteurs privés
S’il peut paraître aujourd’hui dépassé au regard de l’ensemble des aléas et risques actuels, le régime créé par la loi du 10 juillet 1964 organisait un régime de garantie contre les calamités agricoles, offrant à l’ensemble de la profession agricole des garanties minimales d’assurance publique contre les aléas climatiques exceptionnelles. À sa création, le régime prévoyait déjà un soutien à la prise en charge « d’une part des primes ou cotisations d’assurance » individuelle privée. Il incluait aussi dans la couverture des risques par le régime public « les bâtiments et le cheptel mort ou vif affectés aux exploitations agricoles ».
En 1968, 1993, 2005, puis surtout en 2010 avec la loi dite de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le régime des calamités agricoles de la métropole a été progressivement transformé en dispositif de gestion des risques en agriculture, avec des champs d’intervention définis en plusieurs sections du Fonds national de garantie de gestion des risques agricoles (FNGRA). Cette mutation du régime des calamités initial marque un tournant politique, avec la volonté d’abaisser progressivement le niveau de garantie publique couvert par le régime, pour assurer le développement de l’assurance privée. Un arrêté interministériel du 29 décembre 2010 exclut ainsi du régime public des calamités et de l’indemnisation par le FNGRA les risques considérés comme « assurables », définis comme les risques pour lesquels il existe des possibilités de couverture au moyen de produits d’assurance. Cette exclusion concerne l’ensemble des risques climatiques sur les grandes cultures et la vigne, le risque de « grêle » à l’exception des cultures fourragères, les risques climatiques sur les bâtiments, le risque « foudre » sur le cheptel, le risque de mortalité due à la chaleur dans les bâtiments d’élevage hors sol.
L’affaiblissement progressif du volet « calamités agricoles » au sein du FNGRA tient d’un choix politique : celui de siphonner la gestion publique des risques pour assurer l’extension du secteur assurantiel privé. Ce choix a été piloté par les exigences libérales de la Commission européenne et des chefs d’États et de gouvernement successifs, et appuyé par les assureurs. Les moyens budgétaires dévolus au régime des calamités ont pris de nouvelles formes depuis 2005 avec d’une part, le soutien direct du FNGRA « au financement des aides aux développement de l’assurance contre les dommages causés aux exploitations agricoles », c’est‑à‑dire « la prise en charge d’une part des primes ou cotisations d’assurance » afférentes aux risques considérés comme « assurables ». L’article L. 361‑4 du code rural et de la pêche prévoit ainsi une aide publique du FNGRA pouvant être cumulée à une contribution de l’Union européenne « ne pouvant excéder 65 % de la prime ou cotisation d’assurance ». Concrètement, les assureurs ont mis en place des contrats « multirisques climatiques », avec un contrat dit « socle » depuis 2016, permettant aux exploitants qui y souscrivent de bénéficier de 65 % de subvention sur leur prime d’assurance. Depuis 2010, les soutiens publics à ces contrats sont aussi assurés par le premier pilier de la politique agricole commune (PAC) puis sur le second pilier depuis 2015, conformément aux Règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles pour le secteur vitivinicole et des fruits et légumes, et au règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) pour l’ensemble des exploitations agricoles, amendé par le règlement (UE) 2017/2393.
Assurance privée : une promotion « coûte que coûte », aux effets très limités, discriminatoires et sans efficacité
Malgré les niveaux croissants de subvention publique de l’État et de l’Union européenne à ces contrats d’assurance ces quinze dernières années, ce système de prise en charge des risques agricoles non‑économiques démontre son inefficacité. Moins de 30 % des surfaces éligibles, sans prendre en compte les surfaces de prairies, étaient ainsi assurées en 2018. Ces taux sont seulement de 2,5 % pour les filières comme l’arboriculture et quasi‑nuls pour les prairies.
L’inadaptation du système assurantiel privé pour la couverture des risques agricoles tient non seulement au fait que ces contrats ne permettent pas de compenser efficacement une part significative des pertes (problèmes d’estimations, franchises, seuils de déclenchement…), mais aussi à ce que les contrats ne correspondent pas aux besoins spécifiques et aux capacités financières de la majorité des exploitants familiaux. D’autre part, pour la plupart des éleveurs, et même avec de très hauts niveaux de soutien public, cette assurance reste inaccessible, en particulier pour toutes les fermes qui ne dégagent que de très faibles revenus.
Notons à ce sujet, de façon symbolique mais très révélatrice, que chaque année depuis 2011, les projets de loi de finances (PLF) retenaient comme « indicateur de performance » le taux de pénétration de ces assurances récoltes, malgré un constat d’échec récurrent. Le PLF pour 2020 n’a soudainement plus retenu cet indicateur, sans doute au regard de la « contre‑performance » des résultats !
Cela n’empêche pas les pouvoirs publics comme les principaux assureurs de continuer à porter l’extension de l’assurance privée comme unique proposition en matière d’amélioration de la gestion des risques en agriculture. Le ministre de l’agriculture et la Commission européenne, invitent aujourd’hui à la généralisation des assurances privées, sur la base d’un financement supplémentaire par le budget de la PAC, qui porterait l’aide publique à 70 %. Une position relayée en France par le principal assureur du secteur, Groupama, qui explique dans son magazine de janvier 2020 que « le rapport entre les indemnités versées aux agriculteurs et les cotisations encaissées est de 103 % ». Groupama précise que « seules 30 % des surfaces sont assurées, loin de l’objectif de 60 – 70 % de la ferme France » mais explique cette contre‑performancepar « 1‑ par une maturité récente de l’offre, 2‑ une appréciation divergente des assureurs et des clients sur le juste niveau des tarifs et 3 – une concurrence entre l’assurance et le Fonds des calamités agricoles pour les prairies et l’arboriculture. » L’assureur propose de « n’avoir qu’un seul niveau de subvention porté à 70 % » et de « développer entre assureurs et réassureurs, un dispositif de co‑assurance […] qui encouragerait l’entrée de nouveaux acteurs […] et permettrait également aux services publics, au travers de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) […] de renforcer la transparence et la confiance en l’assurance récoltes. » Il conclut que « le Fonds des calamités agricoles est indispensable pour les risques qui ne peuvent pas être pris en charge par l’assurance » et que « l’articulation entre calamités agricoles et assurance a montré ses limites et doit être améliorée de façon à favoriser le développement de l’assurance ».
Les assureurs confirment eux‑mêmes le décalage entre les cotisations perçues et les indemnités versées, donc l’insuffisance du système. Mais leur objectif est d’exclure de l’indemnisation par le FNGRA les risques encore couverts, notamment pour les prairies, tout en demandant des aides publiques supplémentaires du même FNGRA au bénéfice de leurs produits.
Une situation financière du fonds révélatrice de ses incohérences et insuffisances
Les ressources financières directes du FNGRA, définies à l’article L. 361‑2 du code rural et de la pêche maritime, proviennent des contributions additionnelles aux primes ou cotisations afférentes aux conventions d’assurance couvrant les dommages aux bâtiments et au cheptel affectés aux exploitations agricoles et aux risques de responsabilité civile et de dommages relatifs aux véhicules affectés aux exploitations agricoles, d’une contribution additionnelle applicable aux exploitations conchylicoles, ainsi que d’une subvention inscrite au budget de l’État.
La dynamique des ressources et des dépenses du fonds est devenue ces dernières années de plus en plus aléatoire et erratique. En effet, à l’instar de nombreux autres opérateurs de l’État, la trésorerie du fonds a d’abord été asséchée en 2015 par un prélèvement de 255 millions d’euros. De plus, le taux de la taxe additionnelle payée par les assurés est passé de 11 % à 5,5 % et la contribution additionnelle est désormais plafonnée à 60 millions d’euros depuis le 1er janvier 2016. Les ressources ordinaires du fonds s’élèvent donc à environ 62 millions d’euros par an. Ce niveau structurel ne correspond désormais plus du tout aux besoins prévisionnels courants, et encore moins à la succession d’aléas climatiques que nous avons connue. L’abondement du fonds par des crédits d’État, avec l’ouverture de montants importants en loi de finances rectificatives devient régulière : en 2012 à hauteur de 111,8 millions d’euros, en 2016 pour 81 millions. Avec les derniers épisodes de sécheresse, 74 millions d’euros ont déjà été délégués par l’État au fonds en août 2019. Les besoins devraient à nouveau être très importants pour 2020 puisque l’impasse de financement pour les dépenses de 2019 devrait être imputée à la dotation ouverte en 2020.
Comme le soulignent les derniers rapports annuels sur les projets de loi de finances pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », les dépenses du fonds sont aujourd’hui déconnectées des recettes ordinaires. Cela conduit systématiquement à des impasses de financement, obligeant l’État à abonder le fonds en cours d’année.
Depuis 2010, 925 millions d’euros d’indemnisations ont été accordés au seul titre des calamités agricoles. Sur la période 2015‑2020, les aides versées en soutien à l’assurance privée, via un transfert du premier vers le second pilier de la PAC au titre du Programme national de gestion des risques et d’assistance technique (PNGRAT) et des fonds européens FEADER, ont représenté 675 millions d’euros, avec une première enveloppe fixée à 600,75 millions d’euros issue d’un premier transfert et d’un complément de 74,5 millions d’euros alloué à l’été 2017.
Dans un contexte de baisse envisagée du budget de la future PAC 2021‑2027, toute nouvelle croissance des soutiens publics à l’assurance privée interroge, qu’elle soit portée par l’État ou par un prélèvement complémentaire sur le second pilier de la PAC. Elle se ferait nécessairement au détriment des autres objectifs de soutien du deuxième pilier et notamment des aides bénéficiant à la fois aux territoires et exploitations les plus fragiles, en zones défavorisées et de montagne, mais aussi au détriment des mesures favorables à la transition agroécologique des modèles agricoles.
Construire un régime de couverture des risques sécurisant, public, solidaire et universel
La non réversibilité du réchauffement climatique va entraîner l’émergence de nouveaux dangers et une hausse de la probabilité de certains aléas particulièrement pénalisants pour les rendements agricoles et la pérennité de certains agrosystèmes. Conjugué au niveau sans précédent des échanges internationaux et aux nouvelles menaces sanitaires comme la pandémie de covid‑19 vient de le démontrer, ce contexte appelle à redonner à la sécurisation de notre production agricole et alimentaire une véritable ambition politique. En plus d’une politique économique active en matière de garantie des prix et des revenus agricoles, nous considérons que le maintien et le renouvellement des actifs agricoles en Europe et en France passe par une politique de gestion des risques réorientée en profondeur, qui doit à la fois assurer la pérennité des structures agricoles mais aussi accompagner l’adaptation générale des systèmes agricoles face aux risques et la transition agroécologique.
Aussi assumons‑nous la nécessité d’un projet politique refondant les principes de la gestion des risques en agriculture. Il est temps de mettre fin au bricolage, à la politique du coup par coup et à la fuite en avant politique et législative qui consiste à chercher toujours de nouveaux palliatifs qui se révèlent inefficaces ou à augmenter les soutiens publics pour alimenter le tonneau des Danaïdes du secteur assurantiel privé. Au regard de son inadaptation aux enjeux futurs, de son inefficacité économique, sociale et environnemental, il faut tourner la page du mythe libéral d’une gestion assurantielle privée au profit de la mise en place d’un régime public et universel. Il n’est pas acceptable que l’ensemble des petites fermes et de l’agriculture familiale ne soient pas couvertes par un régime public. C’est sur la base de cette agriculture à taille humaine, transmissible entre les générations, que peut se construire l’agriculture durable de demain. Ce virage suppose aussi d’exiger un tournant règlementaire au niveau européen dans le cadre de la prochaine PAC 2021‑ 2027.
Notre proposition de loi vise donc à affirmer la primauté d’un régime public d’assurance et de gestion des risques, avec des sections spécifiques et des missions élargies (chapitre Ier).
L’article 1er assure la création d’un régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture.
L’article 2 réorganise les priorités du Fonds national de gestion des risques en agriculture. Il replace l’indemnisation des calamités comme premier objectif, alors que depuis 2005, les modifications législatives ont transformé le régime en dispositif palliant la non couverture des dommages par une offre d’assurance privée. Dans le même temps, il intègre au sein du régime des calamités les risques d’importance exceptionnelle dus à des évènements sanitaires, notamment des maladies infectieuses à transmission vectorielle comme c’est le cas avec la pandémie de covid‑19.
L’article 3 maintient comme deuxième priorité le soutien au Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental, créé à l’initiative de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) et du syndicat Jeunes Agriculteurs, qui a réintroduit la gestion du risque sanitaire et environnemental dans le champ de la gestion des risques pris en compte et soutenus par le FNGRA, en application de l’article 142 de la loi n° 2016‑1918 du 29 décembre 2016, et qui associe les représentants de l’ensemble des organisations syndicales représentatives.
L’article 4 crée une troisième section du FNGRA visant la connaissance, la prévention et le soutien des agriculteurs en matière d’adaptation au changement climatique et aux autres risques environnementaux et sanitaires. Il prévoit que cette section participe au soutien de la recherche publique et à la définition d’instruments appropriés de prévention et de gestion de ces risques et aléas ainsi qu’à l’accompagnement des exploitations agricoles vers l’adoption de nouvelles techniques, pratiques et productions adaptées aux conséquences du changement climatique et favorables au maintien de la biodiversité. Cette section permet aussi l’ouverture de moyens spécifiques dédiés à la prévention et à l’indemnisation des risques liés notamment aux espèces invasives, à la prédation des grands prédateurs, et à la perte de biodiversité, notamment des auxiliaires de culture.
Nous proposons que les modalités de gestion et d’indemnisation prévues par les trois sections du FNGRA renouvelé soient définies par décret après avis du comité national de la gestion des risques en agriculture défini à l’article L. 361‑8, ce qui n’est pas prévu actuellement.
Le chapitre II du texte présente les ressources nouvelles bénéficiant au nouveau régime public.
L’article 5 vise à interdire la pratique budgétaire de prélèvement sur la trésorerie du FNGRA pour assurer le bouclage des comptes de l’État. Le FNGRA y a été confronté à plusieurs reprises dès lors que ses recettes annuelles ont dépassé les montants d’indemnisation annuels. Seule une telle mesure peut permettre un pilotage et un suivi efficace des moyens du FNGRA, permettant à la fois d’assurer une politique de prévention des risques et d’indemnisation en rapport avec la variabilité des aléas climatiques, sanitaires et environnementaux.
L’article 6 instaure une contribution obligatoire des entreprises du secteur bancaire et assurantiel, ainsi que du secteur agricole et agroalimentaire, au bénéfice du FNGRA. Cette nouvelle contribution, dont l’assiette et le taux seraient définies par décret, porte uniquement sur les revenus financiers, c’est‑à‑dire la somme des dividendes bruts et assimilés et des intérêts bruts perçus.
PROPOSITION DE LOI
Chapitre Ier
Un régime public d’assurance et de gestion des risques
avec des missions élargies
Article 1er
L’article L. 361‑1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Il est institué un régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture. » ;
2° Au premier alinéa, les mots : « des dispositifs » sont remplacés par les mots : « du régime public d’assurance et ».
Article 2
L’article L. 361‑3 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« Art. L. 361‑3. – La première section du Fonds national de gestion des risques en agriculture contribue à l’indemnisation des calamités agricoles. »
« Les calamités agricoles sont les dommages résultant :
« – de risques d’importance exceptionnelle dus à des variations anormales d’intensité d’un agent naturel climatique, lorsque les moyens techniques de lutte préventive ou curative employés habituellement dans l’agriculture, compte tenu des modes de production considérés, n’ont pu être utilisés ou se sont révélés insuffisants ou inopérants,
« – de risques d’importance exceptionnelle dus à des évènements sanitaires, notamment des maladies infectieuses à transmission vectorielle.
« Les conditions dans lesquelles les calamités agricoles sont reconnues, évaluées et indemnisées sont déterminées par décret en Conseil d’État, après avis du comité national de la gestion des risques en agriculture défini à l’article L. 361‑8. Ces conditions précisent notamment les niveaux planchers et plafonds d’indemnisation relatifs à l’importance du risque, à la nature des productions, au nombre d’actifs, à la structure et au résultat des exploitations. »
Article 3
L’article L. 361‑4 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« Art. L. 361‑4. – La deuxième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture contribue, en complément des versements effectués par les exploitants agricoles, au financement de l’indemnisation des pertes économiques liées à l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale ou d’un incident environnemental par des fonds de mutualisation agréés par l’autorité administrative.
« L’affiliation des exploitants agricoles à un fonds de mutualisation agréé peut être rendue obligatoire par décret en Conseil d’État.
« Les règles régissant, selon les productions ou les risques couverts, l’établissement et le fonctionnement des fonds de mutualisation, les conditions de leur agrément, les conditions et modalités de l’indemnisation des exploitants agricoles ainsi que la gestion et le contrôle du respect de ces règles sont fixées par décret en Conseil d’État, après avis du comité national de la gestion des risques en agriculture défini à l’article L. 361‑8.
« Les conditions d’intervention de la deuxième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture sont définies par décret, après avis du comité national de la gestion des risques en agriculture défini à l’article L. 361‑8. »
Article 4
L’article L. 361‑5 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« Art. L. 361‑5. – La troisième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture contribue à la connaissance et à la prévention des risques climatique, sanitaire, phytosanitaire et environnemental affectant les exploitations agricoles.
« Cette section participe au soutien de la recherche publique et à la définition d’instruments appropriés de prévention et de gestion de ces risques et aléas ainsi qu’à l’accompagnement des exploitations agricoles vers l’adoption de nouvelles techniques, pratiques et productions adaptées aux conséquences du changement climatique et favorables au maintien de la biodiversité.
« Elle peut participer à la prévention et à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par les grands prédateurs ou causés par des espèces végétales ou animales invasives ou la perte de biodiversité, notamment des auxiliaires de culture.
« Les conditions d’intervention de la troisième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture sont déterminées par décret, après avis du Comité national de la gestion des risques en agriculture défini à l’article L. 361‑8 et du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire défini à l’article L. 611‑1. »
Chapitre II
Ressources nouvelles bénéficiant au régime public
Article 5
Après le deuxième alinéa de l’article L. 431‑11 du code des assurances, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il ne peut en aucun cas être procédé à un prélèvement sur le compte du Fonds national de gestion des risques en agriculture au bénéfice du budget de l’État. »
Article 6
L’article L. 361‑2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
Après le premier alinéa sont insérés cinq alinéas ainsi rédigés :
« 1° A L’assujettissement des revenus financiers des prestataires de service mentionnés au livre V du code monétaire et financier et liés au secteur agricole et alimentaire, entendus comme la somme des dividendes bruts et des intérêts nets reçus, à une contribution obligatoire pour la gestion des risques en agriculture.
« 1° B L’assujettissement des revenus financiers des entreprises mentionnées au livre III du code des assurances et liées au secteur agricole et alimentaire, entendus comme la somme des dividendes bruts et des intérêts nets reçus, à une contribution obligatoire pour la gestion des risques en agriculture.
« 1° C L’assujettissement des revenus financiers des sociétés tenues à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés conformément à l’article L. 123‑1 du code de commerce et liées au secteur agricole et alimentaire, à l’exclusion des prestataires mentionné au 1° A du présent article, entendus comme la somme des dividendes bruts et assimilés et des intérêts bruts perçus, à une contribution obligatoire pour la gestion des risques en agriculture.
« Les contributions prévues au présent article ne sont pas déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
« Après avis du Comité national de la gestion des risques en agriculture, un décret en Conseil d’État fixe l’assiette, le taux et les modalités d’application du présent article. »