Proposition de loi visant à encadrer le recours au licenciement économique et à interdire les licenciements dits « boursiers »
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Yannick MONNET, M. André CHASSAIGNE, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU, les membres du groupe Gauche Démocrate et Républicaine.
députés et députées.
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 5 novembre dernier, le groupe Michelin, leader mondial de la fabrication du pneumatique, a annoncé la fermeture d’ici 2026 de ses usines à Vannes et à Cholet, où travaillent 1 254 salariés. Dans le même temps, le distributeur Auchan a annoncé la suppression de 2 389 postes en fermant trois hypermarchés (Clermont‑Ferrand Nord, Woippy, Bar‑le‑Duc), d’un supermarché (Aurillac), de six magasins MyAuchan, ainsi que de trois entrepôts de livraison à domicile.
Ces licenciements massifs, s’ils ont été médiatisés au moment de leur annonce, risquent fort, malheureusement, de retomber dans une forme d’indifférence en laissant les salariés et leurs représentants syndicaux seuls face aux décisionnaires.
Or, l’ampleur et la brutalité de ces décisions qui pèsent directement sur tant de travailleurs et leurs familles, et qui fragilisent le tissu social et économique local, exigent notre attention et notre mobilisation sans faille.
D’autant que ces vagues de licenciements ne sont pas isolées. Bien d’autres sont malheureusement passées sous silence et tenues ignorées du plus grand nombre : selon un recensement de la Confédération générale du travail (CGT), 180 plans de licenciements, qui représentent 47 272 emplois fortement menacés ou supprimés, dont 21 191 pour la seule industrie, ont été mis en œuvre entre septembre 2023 et septembre 2024.
De leurs côtés, « Les Échos » se sont attardés sur les fermetures de sites industriels annoncés pour 2025‑2026 ([1]). Le quotidien note que, depuis septembre 2024, au moins une quarantaine de sites, où plus de 50 emplois sont à chaque fois touchés, ont été placés en redressement judiciaire, liquidés ou ont annoncé des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Au total, ce seraient 7 500 salariés directement menacés entre la fermeture des sites Michelin, de deux abattoirs Delpeyrat, de plusieurs sites de l’équipementier automobile Valeo, de l’usine du fabricant de matériel médical Steris, ainsi que de sites d’ArcelorMittal.
De fait, et d’une manière plus générale, on observe un niveau hors‑normes des défaillances d’entreprises : selon les données publiées par Altares ([2]), pour le troisième trimestre 2024, le nombre de défaillances d’entreprises déclaré s’élevait à 16 371, en hausse de 20 %, et très au‑dessus de la moyenne observée de 13 700 sur les décennies 2000 et 2010. Toujours selon les analyses d’Altares, « le principal signal d’alarme concerne la situation des petites et moyennes entreprises (PME) de +50 salariés dont les ouvertures de procédures bondissent de 47 %, entraînant de lourdes conséquences sur le front de l’emploi (52 000 emplois menacés) ».
Dans le même temps, et fort logiquement, le nombre de licenciements s’accroît, et notamment ceux pour motif économique : selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 241 000 licenciements ont été dénombrés au deuxième trimestres 2024 en France métropolitaine, en hausse de 1,4 % par rapport au trimestre précédent, dont 20 300 licenciements pour motif économique, en augmentation de 5 %.
L’ensemble de ces éléments ne peut que nous interpeller sur la politique pour l’emploi menée par M. Emmanuel Macron. Depuis 2014 et jusqu’à aujourd’hui, période pendant laquelle M. Emmanuel Macron aura été successivement ministre de l’économie puis président de la République, la politique menée pour l’emploi a consisté, au nom de la compétitivité, d’une part à restreindre les droits des travailleurs et des privés d’emploi, et d’autre part à assouplir toute forme d’encadrement de l’activité économique, ce dernier étant perçu comme une contrainte à la liberté d’entreprendre ou une entrave à la compétitivité.
Dès 2013, la loi « de sécurisation de l’emploi » avait profondément réformé le droit du licenciement économique, en réduisant notamment drastiquement la capacité d’agir des représentants des salariés en la matière. La loi du 8 août 2016 relative « au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » et les ordonnances du 22 septembre de 2017 (dites « ordonnances Macron ») ont dilué à l’extrême le motif économique à l’origine du licenciement, afin de permettre aux entreprises d’y recourir très facilement. C’est ainsi que les multinationales se verront autorisées à restreindre l’analyse de leurs difficultés économiques au périmètre national, permettant à des filiales de licencier en France même si le groupe est prospère à l’étranger. Ou qu’« une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » deviendra un motif suffisant à prononcer un licenciement économique quand bien même l’entreprise dégage d’importants bénéfices. Ou encore, que sera redéfinie la notion de « difficultés économiques » en posant qu’une baisse du chiffre d’affaires au niveau national sur plusieurs trimestres suffit à recourir au licenciement économique même si, par ailleurs, l’entreprise est en bonne santé financière.
Or, c’est précisément le cas d’Auchan qui, en raison de la guerre entre le Russie et l’Ukraine, a certes affiché 379 millions d’euros de pertes sur l’année 2023, contre un bénéfice de 33 millions d’euros en 2022, mais dont le chiffre d’affaires, bien qu’en baisse de 1,7 %, se situe encore toutefois à hauteur de 32,9 milliards d’euros. Par ailleurs, le groupe aura quand même reversé 103 millions d’euros de dividendes en 2023.
Le distributeur Carrefour, quant à lui, concurrent direct d’Auchan, a affiché un bénéfice net en hausse de 23 % et un chiffre d’affaires en hausse de 10,4 % pour 2024. Après l’acquisition de 170 magasins en juillet dernier, le groupe a toutefois annoncé la fermeture du siège social de Cora en Seine‑et‑Marne entraînant la suppression de 340 postes d’ici la fin de l’année 2025.
On pourrait encore citer Sanofi qui a engrangé un bénéfice net en hausse de 8 % à 6,7 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires qui a progressé de 13,9 %, à 42,3 milliards en 2022, un chiffre qui s’est maintenu en 2023 avec une projection à +10 milliards d’euros d’ici 2030 ([3]). La croissance de ses activités ainsi que sa très bonne santé financière n’ont toutefois pas empêché Sanofi d’annoncer fin 2023 la suppression de 1 200 postes dans la recherches et développement (R&D) mondiale, dont 330 en France, principalement sur le site de Vitry‑sur‑Seine (Val‑de‑Marne) où 298 suppressions sont envisagées, et plus marginalement à Montpellier et Gentilly (Val‑de‑Marne). Il s’agit du quatrième Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans la R&D du groupe en dix ans, après celui de 2014, 2019 et 2021 où 1 000 postes avaient été supprimés.
Enfin, s’agissant de Michelin, le groupe annonçait il y a quelques mois à peine par voie de communiqué de presse ([4]) : « Michelin améliore en 2023 son résultat opérationnel des secteurs à 3,6 milliards d’euros et délivre un flux de trésorerie disponible (Free cash flow) élevé de 3,0 milliards d’euros, reflétant la solidité de sa stratégie ». Le groupe en profitait pour annoncer également une hausse de 8 % du dividende par action, ainsi que « le lancement d’un programme de rachat d’actions qui pourrait représenter jusqu’à 1 milliard d’euros sur la période 2024‑2026 ».
Ces quelques exemples suffisent à s’interroger sur l’usage qui est fait des bien mal nommés « plans de sauvegarde de l’emploi » et de leurs corolaires, les licenciements pour motif économique. Dans des groupes tels que Auchan, Carrefour, Michelin ou Sanofi – pour ne citer que ceux‑là – il est indéniable que ces entreprises ne sont pas en péril, même lorsqu’elles affichent un recul de leur chiffre d’affaires pour des raisons conjoncturelles, comme les effets temporaires et prévisibles de la guerre en Ukraine. Les plans de licenciement alors mis en place ne visent pas tant à sauvegarder l’emploi qu’à « reflécher les investissements » pour reprendre l’expression du groupe Sanofi ([5]).
Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle. En 1999, déjà, le groupe Michelin faisait parler de lui en annonçant simultanément des bénéfices semestriels en hausse de 20 %, une augmentation des dividendes et la suppression de 7 500 emplois. Dès le lendemain de cette annonce vertigineuse d’absurdité, le cours de la bourse de l’entreprise bondissait de 12 %. C’est dans ce contexte qu’en 2001, le député communiste Alain Bocquet employait l’expression de « licenciement boursier » pour alerter sur ces aberrations propres au licenciement économique. À l’époque, M. Alain Bocquet se référait à l’annonce faite par Danone de la suppression de 1 780 emplois dans le monde, dont 570 en France dans sa branche « biscuits » LU, à la suite du plan de restructuration de l’entreprise qui pourtant affichait des bénéfices de plus de 130 millions d’euros. L’expression « licenciement boursier » ne visait pas les seules entreprises cotées en bourse ; cette expression voulait souligner que la dérégulation de l’économie entraînait une dérégulation du « marché » du travail en incitant les entreprises à recourir aux licenciements massifs pour limiter son risque de pertes de parts de marché par rapport à ses concurrents, en considérant les salariés comme de simples coûts à réduire, à externaliser ou à délocaliser. Ces « licenciements boursiers » étaient déjà possibles à l’époque en raison de la largesse d’interprétation des « raisons économiques » de nature à justifier ces licenciements.
Dès cette époque, d’autres choix politiques que ceux de 2013, 2016 et 2017, plus protecteurs pour les salariés et plus contraignants pour les employeurs, auraient pu être opérés. Encadrer et réguler le recours au licenciement n’est pas entraver la liberté d’entreprendre, sauf à considérer que les travailleurs sont un coût parmi d’autres. Mais, en l’occurrence, le fait qu’un projet de licenciement puisse être élaboré, même en l’absence de difficultés économiques, de manière préventive, s’il permet une réorganisation nécessaire à « la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise » revient à considérer que « la suppression des emplois aujourd’hui est légitime si elle assure la sauvegarde des emplois de demain » et « la préservation de l’emploi devient, davantage qu’un contrepoint à la liberté d’entreprendre, un élément de la gestion de l’entreprise » ([6]) .
L’intention des auteurs de cette proposition de loi est précisément, en encadrant mieux le licenciement pour motif économique, en empêchant notamment les licenciements « boursiers », de rééquilibrer le droit à un emploi, et partant le droit à préserver son emploi, ainsi que la liberté d’entreprendre.
Dans cette perspective, il convient alors également de supprimer les dispositions introduites dans la loi qui permettent à un employeur de contourner le licenciement économique pour ne pas en assumer les obligations en termes de plan de sauvegarde de l’emploi et d’obligation de reclassement des salariés, mais qui aboutissent néanmoins à un licenciement du salarié.
En effet, les « ordonnances Macron » ont non seulement facilité ces licenciements économiques, que l’on pourrait considérer sans cause réelle et sérieuse si l’on s’en tient à la santé financière de l’entreprise, mais elles ont aussi créé deux autres dispositifs permettant à l’employeur d’arriver au même résultat dans des conditions moins favorables pour les salariés. Le premier de ces dispositifs est la rupture conventionnelle collective, conclue entre l’employeur et les organisations syndicales qui, après homologation par la Direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), est proposée aux salariés « volontaires », ce volontariat étant bien entendu tout relatif lorsqu’il est initié dans ce type de dispositif. Le second dispositif est l’accord de performance collective qui peut être déclenché pour répondre aux nécessités liées au « fonctionnement de l’entreprise », « pour préserver l’emploi » ou « pour développer l’emploi ». Ces accords permettent de modifier la durée du travail (suppression de congés, augmentation de la durée de travail sans augmentation de salaire…), de baisser les salaires et de modifier l’organisation et les conditions de travail (mobilité géographique, changement de poste…). Si un salarié s’y oppose, le licenciement est d’emblée considéré justifié et le salarié ne bénéficiera pas de l’accompagnement prévu en cas de licenciement pour motif économique. Il s’agit ici ni plus ni moins que d’un chantage à l’emploi puisque le salarié est contraint à consentir à une dégradation de ses conditions de travail, faute de quoi il sera licencié, à moindre frais, par l’employeur.
Les choix politiques opérés ces dernières années ont ainsi réduit drastiquement les protections légales et accompagné, jusqu’à l’outrance, une mutation du « marché du travail » vers toujours plus de flexibilité et une financiarisation des entreprises.
Cette logique ne peut avoir de sens pour les travailleurs et elle n’est pas crédible quand un gouvernement prétend vouloir atteindre le « plein‑emploi ».
Cette logique, qui met à mal les salariés et l’emploi, est d’autant moins acceptable que l’argent public participe massivement à ce système insensé dans lequel une entreprise qui fait du profit, voire qui distribue des dividendes à ses actionnaires, licencie ceux grâce à qui ces bénéfices existent.
L’entreprise Michelin a ainsi déclaré avoir reçu 55 millions d’euros au titre du Crédit d’impôt recherche. De son côté, le groupe Auchan a déclaré avoir perçu entre 2013 et 2018, 83 millions d’euros par an au titre du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), soit un total de 498 millions d’euros.
Le 7 novembre dernier, le député communiste André Chassaigne interpellait le Premier Ministre sur ces aides publiques colossales distribuées aux entreprises sans aucune contrepartie et qui se soldent par des licenciements massifs. Le Premier Ministre a répondu avoir « le souci de savoir ce qu’on a fait dans ces groupes de l’argent public qu’on leur a donné » et « donc nous allons poser des questions et nous verrons si cet argent a été bien ou mal utilisé pour en tirer les leçons » ([7]).
Les auteurs de cette proposition de loi considèrent que les leçons à tirer sont évidentes : pour que les aides publiques, directes et indirectes, versées par l’État aux entreprises soient bien utilisées, il aurait fallu les contrôler plus étroitement et les conditionner à une utilisation favorable à la préservation et à la création d’emplois.
Car les précédents de détournement des aides publiques existent : le 10 octobre 2019, le groupe Michelin annonçait la fermeture de son site de fabrication de pneus poids lourds de La Roche‑sur‑Yon, en Vendée (619 salariés), ainsi que la suppression de 74 emplois dans l’usine de Cholet qui produit le mélange de gomme pour le site de La Roche‑sur‑Yon. Sur ce dernier site, Michelin utilise 4,3 millions d’euros du CICE pour financer l’achat de machines. Sauf que sur huit machines achetées, seules deux seront installées sur le site. Les six autres, encore dans leurs cartons, seront réexpédiées vers d’autres usines à l’étranger, en Espagne, en Roumanie et en Pologne. Devant le tollé produit par cette information, le directeur France de Michelin avait alors déclaré que le groupe rembourserait les 4,3 millions d’euros perçus au titre du CICE ([8]), avant de se rétracter arguant que « Le CICE n’était pas assujetti à des critères spécifiques sur l’emploi, mais était destiné à soutenir les entreprises dans leur politique d’investissement ».
Et pourtant, ne devrait‑on pas considérer que l’aide à l’investissement doit, en permettant aux entreprises de pérenniser ou de développer leurs activités, avoir également comme finalité » naturelle » de préserver les emplois en France ? Dès lors que ces aides publiques n’ont pas eu pour enjeux la sauvegarde de l’emploi, les auteurs de cette proposition de loi considèrent logique d’en exiger le remboursement.
À la suite de l’intervention du député André Chassaigne le 7 novembre dernier, et de la réponse du Premier Ministre, la porte‑parole du Gouvernement s’est empressée de préciser qu’aucun remboursement des aides ne sera demandé à Auchan et Michelin : « Il n’est pas question aujourd’hui de demander aux uns et aux autres de rembourser, ce n’était pas le contrat de départ ». Or, précisément, les auteurs de la présente proposition de loi considèrent que l’octroi d’aides publiques aux entreprises réclame d’être strictement contractualisé.
C’est dans ce contexte que les auteurs de cette proposition de loi considèrent qu’il est urgent de rétablir un équilibre entre le droit pour chacun d’obtenir et de préserver son emploi, et la liberté d’entreprendre.
À cette fin, l’article 1er modifie la définition du licenciement économique afin qu’il ne soit plus possible pour une entreprise de licencier sur ce motif alors qu’elle génère du profit ou qu’elle vise à accroître ses profits en y sacrifiant l’emploi. La rédaction actuellement en vigueur de l’article L. 1233‑3 du code du travail permet en effet aux employeurs de fonder les licenciements qu’ils envisagent sur le motif économique de la « sauvegarde de la compétitivité » ou sur une baisse temporaire de son chiffre d’affaires sans qu’en réalité la santé financière de l’entreprise ne soit engagée. En conséquence, les auteurs de la proposition de loi proposent de restreindre à trois le nombre de cas dans lesquels un employeur peut légitimement envisager un licenciement pour motif économique : en cas de cessation d’activité ou en cas de difficultés économiques majeures dont l’employeur doit faire la preuve. La réorganisation de l’activité de l’entreprise ne pourra constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement économique que si l’employeur peut justifier qu’elle est au service de l’entreprise et de la préservation de l’emploi, et commandée par des difficultés économiques majeures. L’employeur devra également justifier que toutes les mesures nécessaires au reclassement du salarié ou à son adaptation à l’évolution de son emploi ont bien été mises en œuvre, faute de quoi la réorganisation sera dénoncée en tant que motif de licenciement économique. Enfin, quelle que soit l’une des trois causes présidant au licenciement pour motif économique, l’employeur devra justifier de manière précise les mesures qu’il aura prises pour éviter ces situations.
Cet article 1er vise ainsi à changer de paradigme en resserrant la compréhension du motif économique sur la seule situation économique réelle de l’entreprise, en soumettant l’employeur à une obligation de sincérité et de loyauté, de sorte que le licenciement pour motif économique constitue un dernier recours.
L’article 2 renforce la précédente disposition en précisant à l’article L. 1233‑2 du code du travail, que tout licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que l’entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation dont le solde a été positif au cours des 2 derniers exercices comptables, a distribué des dividendes, des stocks options ou des actions gratuites, ou procédé à une opération de rachat d’actions.
L’article 3 prévoit de conditionner les exonérations de cotisations patronales au respect de critères sociaux et environnementaux.
L’article 4 prévoit de conditionner l’octroi du Crédit impôt recherche (CIR) à des engagements de l’entreprise en matière de maintien et de qualité de l’emploi.
L’article 5 prévoit le remboursement des aides publiques lorsque le licenciement pour motif économique aura été jugé sans cause réelle et sérieuse. L’entreprise se verra condamnée à rembourser le montant des exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié au titre de l’ensemble des salariés initialement concernés par le licenciement ou la suppression d’emplois envisagée. Par ailleurs, l’entreprise perdra le cas échéant le bénéfice ou l’opportunité de bénéficier du CIR et des exonérations de cotisations patronales qui se sont substituées, depuis 2019, au CICE. Enfin, le juge pourra ordonner le remboursement de tout ou partie du montant des aides publiques dont aura bénéficié l’entreprise.
L’article 6 introduit la possibilité pour le juge d’apprécier au fond, et non plus seulement sur la forme, les licenciements économiques attaqués. Il pourra ainsi juger du caractère réel et sérieux, et donc de la loyauté, du licenciement. Cette appréciation se fera au niveau de l’entreprise, de l’unité économique et sociale, ou du groupe auquel appartient l’entreprise et devra, en outre, s’assurer que l’employeur a respecté ses obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ainsi que de la sincérité et de la loyauté de l’information fournie aux représentants du personnel. Le non‑respect de ces obligations ou l’insincérité de l’information pourront à eux seul justifier la nullité du licenciement.
L’article 7 vise à mettre fin au détournement du seuil de dix salariés lors des licenciements économiques déguisés.
L’article 8 supprime le dispositif de rupture conventionnelle collective.
L’article 9 supprime les dispositions relatives à la mise en œuvre d’un accord de performance collective en ce qu’il constitue un véritable chantage à l’emploi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 1233‑3 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, le mot : « notamment » est supprimé ;
2° Les quatorze derniers alinéas sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« 1° À la cessation d’activité de l’entreprise ;
« 2° À des difficultés économiques caractérisées par une évolution à la baisse, probante et durable, du chiffre d’affaires et du bénéfice, qui remet en cause la viabilité économique de l’entreprise dans les douze prochains mois ;
« 3° À une réorganisation dans l’intérêt de l’entreprise et de la préservation de l’emploi, rendue nécessaire par des difficultés économiques avérées et de nature à remettre en cause la viabilité économique de l’entreprise telles que définies au 2° du présent article.
« L’employeur doit justifier de manière précise l’ensemble des mesures prises afin d’éviter les situations mentionnées au 1°, 2° et 3° du présent article justifiant un licenciement pour motif économique. À défaut, le licenciement est réputé sans cause réelle et sérieuse.
« Dans le cadre d’une réorganisation telle que mentionnée au 3° du présent article, l’employeur doit justifier des mesures suffisantes mises en œuvre pour reclasser le salarié ou pour adapter le salarié à l’évolution de son emploi. À défaut, le licenciement sera réputé sans cause réelle et sérieuse. »
Article 2
L’article L. 1233‑2 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation positifs au cours des deux derniers exercices comptables.
« Est également dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a, au cours des deux derniers exercices comptables, distribué des dividendes ou des stocks options ou des actions gratuites ou procédé à une opération de rachat d’actions. »
Article 3
L’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale est complété par un IX ainsi rédigé :
« IX. – Le bénéfice des dispositions du présent article dont bénéficie chaque employeur peut être minoré en fonction :
« 1° Du nombre de fins de contrat de travail ;
« 2° De la nature des contrats de travail et de leurs durées ;
« 3° Du taux de sinistralité dans l’entreprise ;
« 4° De la politique d’investissement de l’entreprise ;
« 5° De l’impact de l’entreprise sur l’environnement ;
« 6° De la taille de l’entreprise.
« Un décret précise les modalités de calcul de la minoration de la réduction dégressive de cotisations patronales. »
Article 4
L’article 244 quater B du code général des impôts est complété par un VII ainsi rédigé :
« VII. – Le crédit d’impôt mentionné au premier alinéa du I peut être minoré lorsque l’employeur ou les entreprises ne respectent pas les contreparties sociales en matière de maintien et de qualité de l’emploi prévues par décret. »
Article 5
L’article L. 1235‑14 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235‑14. – Lorsque le juge constate que le licenciement pour motif économique ou les suppressions d’emploi sont dépourvus de cause réelle et sérieuse, il ordonne le remboursement du montant de la réduction de cotisations sociales patronales mentionnée à l’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale dont a bénéficié l’entreprise pour les salariés concernés par le licenciement ou la suppression d’emploi envisagés.
« Dès lors que le juge prononce la nullité du licenciement pour motif économique ou de la suppression d’emploi, l’employeur perd le bénéfice des dispositifs prévus à l’article 244 quater B du code général des impôts si son entreprise en est déjà bénéficiaire, ou l’opportunité d’en bénéficier, pour une période ne pouvant excéder cinq ans. Le juge peut également condamner l’employeur à rembourser tout ou partie du montant dont son entreprise a bénéficié au titre de ces dispositifs. »
Article 6
L’article L. 1235‑10 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235‑10. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements dont le motif doit être conforme aux dispositions de l’article L. 1233‑3 concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233‑61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« La réalité et le sérieux du motif économique sont appréciés au niveau de l’entreprise ou de l’unité économique et sociale ou du groupe.
« La validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe.
« Le respect des obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que la nécessité d’informer le plus en amont possible les représentants du personnel doivent être également pris en compte.
« La nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation.
« Le premier alinéa n’est pas applicable aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires. »
Article 7
Le paragraphe 2 de la sous‑section 1 de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé, les mots : « dix refus ou plus » sont remplacés par les mots : « plusieurs refus » ;
2° Au début de l’article L. 1233‑25, les mots : « Lorsqu’au moins dix salariés » sont remplacés par les mots : « Lorsque plusieurs salariés ».
Article 8
Les articles L. 1237‑19 à L. 1237‑19‑14 du code du travail sont abrogés.
Article 9
L’article L. 2254‑2 du code du travail est abrogé.
([2]) Étude « défaillances et sauvegardes d’entreprises en France – T3 2024 ».
([3]) « Sanofi attend 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire de ses nouveaux médicaments d’ici à 2030 », L’usine nouvelle, 7 décembre 2023.
([4]) En date du 12 février 2024.
([5]) Propos à l’AFP du porte-parole de Sanofi, rapporté par le Moniteur des pharmacies, 23 avril 2024 : Le groupe a décidé « d’arrêter certains projets de recherche en oncologie », un domaine où il « n’a pas réussi à rattraper son retard sur les concurrents » et « veut reflécher les investissements là où sont les chances de succès ».
([6]) E. Peskine, G. Borenfreund, F. Guiomard, C. Wolmark, P. Lockiec et O. Leclerc, « Panorama Droit du travail », Recueil Dalloz, n°10, 2007.
([7]) Séance des Questions au gouvernement, 7 novembre 2024.
([8]) Ouest-France, 16 octobre 2019.
(1) Ce groupe est composé de : M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU.