Proposition de loi instaurant des dispositifs de soutien au commerce de proximité financés par les opérateurs du commerce en ligne et renforçant l’encadrement des implantations des nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce électronique.
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Hubert WULFRANC, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE.
Député‑e‑s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Avec un taux de croissance de 10 % par an, le commerce électronique s’installe dans les habitudes de consommation et exerce concurrence de plus en plus forte sur les commerces de proximité de centre‑ville et centre‑bourg ainsi que les boutiques spécialisées des centres commerciaux.
En France, trois grands acteurs dominent actuellement le commerce en ligne. Tout d’abord, le groupe américain Amazon qui représente déjà 18,9 % du marché, le français Cdiscount et le chinois Ali Baba suivi plus loin par Rakuten, Wish ou encore Zalando. Aujourd’hui premier distributeur en ligne de produits électroniques et de produits textiles, le groupe Amazon accélère la diversification de ses activités, y compris dans le secteur alimentaire, ainsi que ses implantations logistiques dans une course au monopole sur le commerce de détail.
Pour ce faire, le groupe américain projette de doubler sa surface de stockage en France d’ici début 2021 avec entre 8 et 11 projets d’entrepôts et centres de tri supplémentaires.
Outre ses très nombreuses références de produits, Amazon a développé une stratégie agressive de réduction des prix, flirtant avec les limites de la légalité, pour attirer toujours plus de clients en vendant bien souvent à perte. Des pertes financières qui sont compensées par d’autres activités telles que la location de ses serveurs informatiques ou encore, la facturation de commission sur les vendeurs tiers utilisant sa place de marché.
Pour obtenir des prix toujours plus bas et assurer la quasi gratuité des frais d’envoi, le groupe américain a mis en place une politique continue de réduction de ses besoins en main d’œuvre, en poussant toujours plus loin la robotisation de ses entrepôts, ainsi que la productivité de ses employés, tout en pratiquant l’évitement de l’impôt sur les sociétés ainsi qu’en fermant complaisamment les yeux sur la fraude massive à la TVA pratiquée par les commerçants tiers utilisateurs de sa place de marché. Le recours à des sociétés écrans multiples lui permet de réduire son taux d’imposition à la portion congrue. Amazon aurait ainsi payé 39 millions d’euros d’impôts en France en 2017 pour un chiffre d’affaires estimé à 8 milliards environ soit une imposition équivalente à 0,46 % de son chiffre d’affaires.
De plus, Amazon, comme l’ensemble des acteurs du commerce en ligne, utilisent des entrepôts exemptés de la taxe sur les surfaces commerciales contrairement aux grandes enseignes commerciales dont les surfaces de vente y sont assujetties.
Si l’explosion du commerce en ligne porté par les grandes plateformes de vente génère des effets néfastes sur l’environnement avec le développement anarchique des services de livraisons à domicile, les facilités de retour de produits, le suremballage voir même, le gaspillage de produits, les conséquences sur l’emploi le sont tout autant.
Aux États Unis, berceau d’Amazon où celui‑ci détient déjà 38 % du commerce en ligne, 448 000 emplois ont déjà été détruits soit 2,5 fois plus que le nombre d’emplois créé par le géant du commerce électronique. Entre un quart et un tiers des 1 200 « malls », centres commerciaux géants américains, seraient amenés à disparaître à court terme selon les analystes. Les mêmes analystes affirment que les destructions d’emplois pourraient atteindre 4,5 postes pour chaque emploi créé par le groupe Amazon
La situation en France ne fait pas exception. Déjà 7 900 emplois ont été détruits sur le territoire national en lien direct avec la concurrence du commerce en ligne. Selon les données du‑secrétariat d’état au numérique, on estime que 2,2 emplois sont actuellement détruits dans l’économie locale pour chaque emploi créé par Amazon en France. Des emplois majoritairement peu qualifiés dont les salariés dénoncent des conditions de travail difficiles du fait des cadences infernales imposées et chronométrées en permanence. Des emplois qui, à terme, ont majoritairement vocation à être remplacés par des robots. Alors qu’Amazon employait encore sept personnes pour un robot en 2015, ce ratio est aujourd’hui tombé à quatre humains pour un robot. Une robotisation susceptible d’être étendue par la suite au secteur de la livraison puisque le groupe Amazon travaille au développement des livraisons par drones automatisés pour les colis de moins de 3 kilos, lesquels représentent actuellement 75 % des colis préparés par la société.
Alors que les commerces physiques de vente de produits de détail sont déjà confrontés à une concurrence déloyale, du fait des carences d’encadrement des opérateurs du commerce en ligne, ceux‑ci ont été lourdement impactés par la crise du covid‑19 qui s’est traduit par la fermeture administrative de nombreux commerces en 2020 ayant eu pour effet de produire un déport de leur clientèle vers les géants de la vente en ligne.
La fermeture des commerces et rayons classés non ‑essentiels ont poussé les Français à s’orienter massivement vers les géants du commerce dématérialisé. Pour subvenir aux besoins des commerçants et artisans de proximité en ce temps de crise sanitaire et économique, il convient de les soutenir et de les aider à prendre le virage du numérique. Un virage qui pourrait prendre la forme de plateformes territoriales de retrait de type « click and collect » ou encore, de vente en ligne, ce qui implique des investissements importants. Ces transformations ont un coût que de nombreux commerçants et artisans isolés et fragilisés par les difficultés économiques ne sont pas en mesure d’assumer seuls.
Par cette proposition de loi, il s’agit de responsabiliser les géants de la vente en ligne qui déstabilisent l’offre commerçante des centres‑villes et centres‑bourgs, tout en étant exonérés du poids des charges et des loyers dont les acteurs du commerce local doivent s’acquitter
L’article 1er de la présente proposition de loi propose d’instaurer un fonds de soutien aux commerces de proximité ayant pour objet le versement d’aides aux commerces des centres‑villes et des centres‑bourgs impactés négativement par le développement des grandes plateformes de commerce en ligne.
L’article 2 fixe les termes de ce fonds de soutien. Ce fonds départementalisé, sera abondé par une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique calculée sur la base du nombre de kilomètres déclarés. Sont exonérés de cette taxe les livraisons réalisées par les moyens de transport non‑consommateurs d’énergie fossile ainsi que les livraisons des entreprises commerciales ou artisanales dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou encore, les livraisons des magasins producteurs commercialisant leurs produits dans le cadre d’un circuit court.
L’article 3 instaure un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire et d’aménager un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés. Ce moratoire doit permettre de donner le temps nécessaire au commerce de proximité, déstabilisé par l’explosion des achats en ligne et la crise sanitaire, pour développer de nouvelles offres commerciales collectives, physiques ou encore, pour déployer des services numériques afin d’être plus en phase avec certaines nouvelles habitudes de consommation des français. De même, cette période de deux ans doit être mise à profit pour permettre aux pouvoirs publics de définir une stratégie d’aménagement du territoire plus pertinente pour les services liés au commerce en ligne afin de favoriser la sobriété environnementale des projets ainsi que l’optimisation des infrastructures existantes (proximité de gares, livraison au dernier kilomètre, reconversion de friches industrielles…).
L’article 4 soumet à l’issue du moratoire de deux ans, les projets de construction des entrepôts logistique à destination du commerce électronique à la procédure de concertation préalable prévue par le code de l’environnement afin que l’ensemble de leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux sur le tissu local soit pris en considération.
L’article 5 modifie différentes dispositions du code du commerce pour soumettre la création ou l’extension de surface d’entrepôts logistiques à destination du commerce en ligne de plus de 1 000 mètres carrés aux règles protectrices des commerces de centre‑ville et de centre‑bourg de la législation des autorisations d’exploitation commerciale soit les mêmes conditions d’implantation que les grandes surfaces. La création d’entrepôts logistiques dédiés au commerce en ligne serait ainsi soumise à l’examen des commissions départementales d’aménagement commercial et les demandes de recours traitées par la commission nationale de l’aménagement commercial.
L’article 6 modifie la loi n°72‑657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés afin de soumettre les entrepôts logistiques dédiés au commerce électronique à la taxe sur les surfaces commerciales dont ils sont actuellement exonérés.
L’article 7 vise à compenser les dépenses supplémentaires de l’État liées à la mise en place de ce fonds de soutien par un élargissement de l’assiette et une augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Il est institué un fonds de soutien aux commerces de proximité ayant pour objet le versement d’aides aux commerces des centres‑villes et des centres‑bourgs lourdement impactés par le développement des grandes plateformes de commerce électronique.
Ce fonds de soutien est départementalisé et abondé par une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique.
Le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds sont fixées par décret.
Article 2
I. – Le I de l’article 1586 du code général des impôts est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° La taxe sur les livraisons liées au commerce électronique. »
II. – Le chapitre 1ER du titre II de la deuxième partie du livre 1er du code est complété par un VI ainsi rédigé :
« VI. – Taxe sur les livraisons liées au commerce électronique »
« Art. 1592. – Il est institué au profit des départements une taxe annuelle sur la livraison de biens à destination de toute personne physique ou morale non assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et commandés par voie électronique »
« La taxe est acquittée par le commerçant sur le site internet duquel le bien a été commandé. Elle est assise sur le nombre de kilomètres parcourus par le bien entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale à l’acheteur. Lorsque son dernier lieu de stockage est situé à l’étranger, la distance prise en compte est constituée du nombre de kilomètres parcourus par le bien entre son point d’entrée en France et l’adresse de livraison.
« Le taux de la taxe est fixé à 0,1 euros par kilomètre avec un minimum forfaitaire de 3 euros par livraison.
« Le montant de la taxe est calculé sur la base du nombre de kilomètres déclarés par le redevable au plus tard le premier jour ouvré de janvier de l’année d’imposition. La taxe est perçue par l’État au plus tard le dernier jour ouvré de mars de l’année suivante. Le produit généré est réparti en accord avec les chambres consulaires.
« Sont exonérées de la taxe :
« 1° Les livraisons réalisées par les moyens de transports non‑consommateurs d’énergie fossile ;
« 2° Les livraisons des entreprises commerciales ou artisanales dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ;
« 3° Les livraisons des magasins de producteurs commercialisant leurs produits dans le cadre d’un circuit court organisé à l’attention des consommateurs mentionné à l’article L. 611‑8 du code rural et de la pêche maritime. »
Article 3
En raison des conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie de covid‑19 et des mesures prises pour y faire face dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, prévu au chapitre IER bis du titre III du livre 1ER de la troisième partie du code de la santé publique, notamment pour les activités de commerce de détail, ainsi que du développement non maîtrisé du commerce en ligne, est instauré un moratoire suspendant la délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction, l’extension ou la transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés, qui n’est pas intégré à un magasin de commerce de détail d’une surface au moins égale ou supérieure, et au départ duquel des biens stockés sont livrés, directement ou indirectement à travers des entrepôts de transit, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique.
Ce moratoire s’applique pour une durée de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, y compris aux demandes de permis de construire en cours d’instruction.
Article 4
À l’issue du moratoire mentionné à l’article 3 de la présente loi, tout projet de construction, d’extension ou de transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés qui n’est pas intégré à un magasin de commerce de détail d’une surface au moins égale ou supérieure, et au départ duquel des biens stockés sont livrés, directement ou indirectement à travers des entrepôts de transit, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique, fait l’objet d’une concertation préalable définie à la section 4 du chapitre IER du titre II du livre 1er du code de l’environnement.
Article 5
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° L’article L. 752‑1 est ainsi modifié :
a) Après le dixième alinéa, il est inséré un 8° ainsi rédigé :
« 8° La création ou l’extension d’une surface de stockage des entrepôts de logistique supérieure à 1 000 mètres carrés qui ne sont pas intégrés à des magasins de commerce de détail d’une surface au moins égale ou supérieure, et au départ desquels des biens stockés sont livrés directement, ou indirectement à travers des entrepôts de transit, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique et résultant soit d’une construction nouvelle, soit de la transformation d’un immeuble existant.
b) Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au 8°, ne sont pas soumis à une autorisation d’exploitation commerciale, les projets pour lesquels, selon les cas, un permis a été accordé expressément ou tacitement ou une décision de non‑opposition à une déclaration préalable est intervenue avant la promulgation de la présente loi. » ;
2° L’article L. 752‑3 est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. ‑ Au sens du présent code, constituent des entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique toutes installations, aménagements ou équipements qui ne sont pas intégrés à un commerce de détail d’une surface au moins égale ou supérieure, et qui sont conçus pour la livraison directe, ou indirecte, au consommateur final ou à un point relais de marchandises commandées par voie électronique. » ;
3° À l’article L. 752‑5, après le mot : « automobile, », sont insérés les mots : « ou entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique définis à l’article L. 752‑3, » ;
4° Après l’article L. 752‑16, il est inséré un article L. 752‑16‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 752‑16‑1. ‑ Pour les entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique définis à l’article L. 752‑3, l’autorisation est accordée par surface de stockage et par mètre carré d’emprise au sol des surfaces, bâties ou non, affectées au retrait des marchandises. » ;
5° Le II de l’article L. 752‑23 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « autorisé, », sont insérés les mots : « ou s’agissant d’un entrepôt logistique à destination du commerce par voie électronique défini à l’article L. 752‑3, l’exploitation d’une surface d’emprise au sol non autorisée, » ;
b) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En ce qui concerne les entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique définis à l’article L. 752‑3, la surface mentionnée au premier alinéa du présent II est égale à chacune des deux surfaces énoncées à l’article L. 752‑16‑1. »
Article 6
Après le septième alinéa de l’article 3 de la loi n° 72‑657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Est également assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales, la surface de stockage des entrepôts de logistique à destination du commerce par voie électronique tels que définis à l’article L. 752‑3 du code du commerce, qui ne sont pas intégrés à des magasins de commerce de détail d’une surface au moins égale ou supérieure, et au départ desquels des biens stockés sont livrés directement, ou indirectement à travers des entrepôts de transit, à des personnes physiques ou morales non assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée à la suite d’une commande effectuée par voie électronique, dès lors qu’elle dépasse 400 mètres carrés.
« La taxe est due quelle que soit la forme juridique de l’entreprise qui les exploite dès lors que son chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à 460 000 euros. Sont cependant exonérées de la taxe sur les surfaces de stockage les entreprises assujetties à la taxe sur la surface de vente des magasins de commerce de détail.
« Lorsque des entreprises sont liées au sens du 12 de l’article 39 du code général des impôts, cette exonération s’applique à toutes les entreprises liées, la surface de vente assujettie à la taxe de magasins de commerce de détail à retenir étant la somme des surfaces de vente des magasins de commerce de détail exploitées par l’ensemble de ces entreprises. »
Article 7
La charge résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par un relèvement du taux et un élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières prévue à l’article 235 ter ZD du code général des impôts.
Les pertes de recettes résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par un relèvement du taux et un élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières prévue à l’article 235 ter ZD du code général des impôts.