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Abrogation de la procédure prioritaire en matière d’asile

Mesdames, Messieurs,
Le droit d’asile est inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, quatrième alinéa : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
C’est dans la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 qu’a été fixé le premier statut international du réfugié.
Cette convention, ratifiée par la France le 23 juin 1954, définit le réfugié comme une personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Le droit d’asile souffre aujourd’hui d’un mouvement de fermeture des frontières tant au niveau national que européen alors que c’est un droit protégé par des Conventions internationales que chaque État se doit de respecter.
En France, en 2007, la demande d’asile a baissé de 9,7 % pour la quatrième année consécutive. 35 520 demandes ont été enregistrées auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Malgré cette diminution, la législation modifiée ces dernières années va dans le sens d’une restriction accrue des droits des demandeurs d’asile.
Il est, dés lors, important de demander à ce que soit abrogée la procédure prioritaire en matière d’asile ainsi que le caractère non suspensif du recours des demandeurs en procédure accélérée.
En 2007, plus d’un quart des demandeurs d’asile ont vu leur demande traitée en procédure accélérée, dite « procédure prioritaire ». Cela se traduit pour le demandeur d’asile par une limitation de ses droits.
Le déclenchement de cette procédure est possible, sur décision du préfet, s’il y a refus du document provisoire de séjour. Ainsi, la nature de la procédure de demande d’asile est liée à une décision de police d’admission des étrangers. Cette décision ne répond pas aux garanties qui doivent encadrer la procédure de demande d’asile.
Les préfectures peuvent refuser l’admission au séjour d’un étranger demandeur d’asile dans quatre cas – article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
– Les étrangers dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre État ;
– Les étrangers ayant la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en œuvres les stipulations du 5 du C de l’article 1er de la Convention de Genève ou d’un pays considéré comme sûr ;
– Les étrangers dont la présence constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État ;
– Les étrangers dont la demande d’asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente.
Dans les trois derniers cas, le demandeur peut saisir l’OFPRA qui va examiner la requête selon la « procédure prioritaire ». Le demandeur d’asile a, alors, quinze jours au lieu de vingt et un jours pour la procédure « normale » pour déposer son dossier de demande d’asile complet à la préfecture. Ensuite, l’OFPRA devra statuer dans un délai de quinze jours, délai ramené à quatre-vingt seize heures si le demandeur d’asile se trouve en centre de rétention. Par ailleurs, à la différence des autres demandeurs d’asiles, le demandeur en procédure accélérée n’a ni titre valant autorisation provisoire de séjour, ni accès à l’allocation temporaire d’attente, ni droit à un hébergement en centre de d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA).
Le non accès aux CADA pose un problème d’égalité d’accès aux droits. Les CADA offrent un accompagnement social et juridique indispensable. Ainsi, le taux de reconnaissance du statut de réfugié en 2007 (OFPRA et annulation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour les demandeurs d’asile hébergés dans un CADA de France Terre d’asile était de 60,68 %. Le taux de reconnaissance global était, quant à lui, de 29,9 %.
Les demandeurs en procédure prioritaire sont privés de moyens leur permettant de défendre, correctement, leur demande. Ils sont, de plus, privés de moyens d’existence à la différence des autres demandeurs qui bénéficient de l’allocation temporaire d’attente, aide financière non négligeable. Elle permet aux demandeurs de payer leur hébergement, de se nourrir ou encore de se déplacer notamment pour l’entretien de l’OFPRA.
L’exclusion des demandeurs d’asile de cette allocation et de l’accès aux CADA s’oppose à la directive européenne 2003/9 CE relative aux normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile précisant que « les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de la vie adéquat pour la santé et assurer la subsistance des demandeurs ».
Une autre conséquence du placement en procédure prioritaire est le caractère non suspensif du recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), anciennement dénommée Commission des recours des réfugiés. Ainsi, les demandeurs peuvent être reconduits dans leur pays d’origine avant même que la juridiction d’appel ait statué.
L’ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Alvaro Gil-Robles, dans son rapport sur le respect effectif des droits de l’Homme en France, relevait à propos de la procédure prioritaire qu’elle est « loin d’offrir les mêmes garanties que la demande d’asile de droit commun. En définitive, elle ne laisse qu’une chance infime aux demandeurs. En effet, le recours qu’ils peuvent déposer devant la Commission des recours des réfugiés n’est pas suspensif et ils peuvent donc être expulsés pendant la procédure ».
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), quant à elle, relève, dans son avis - juin 2006 - sur le droit d’asile, le recours excessif aux « procédures prioritaires appliquées à un quart des demandes d’asile et non assorties de toutes les garanties requises pour un examen équitable des dossiers, notamment celle d’un délai raisonnable d’instruction et le droit au recours suspensif ».
En février 2008, le Haut commissariat des réfugiés (HCR) a demandé une utilisation plus limitée en France des procédures dites « exceptionnelles », et en particulier de la « procédure prioritaire ».
La procédure prioritaire est à mettre en relation avec la liste des pays dits sûrs, concept introduit dans la loi CESEDA, article L. 741-4-2°. Un pays est dit sûr « s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Une liste de quinze pays dits sûrs a été établie par le Conseil d’administration de l’OFPRA : Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Géorgie, Ghana, Inde, Madagascar, Mali, Macédoine, Maurice, Mongolie, Sénégal, Tanzanie, Ukraine. À sa lecture, il est facile de voir que la réalité interne de ces pays ne répond certainement pas à l’idée de sécurité que l’on peut s’en faire.
Le Conseil d’état n’a-t-il pas annulé, le 13 février 2008, la décision du Conseil d’administration de l’OFPRA d’intégrer à la liste des pays d’origine sûrs à partir du 30 juin 2005 l’Albanie et le Niger ?
Il a en effet considéré que « en dépit des progrès accomplis, la République d’Albanie et la République du Niger ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d’origine sûre au sens du 2) de l’article L. 741-4 de ce code ».
Par ailleurs, il suffit de mettre en relation le pourcentage de demandes d’asile accordées aux ressortissants de Bosnie ou du Mali pour se rendre compte de l’extrême « mobilité » du concept « sûrs ».
Ainsi en 2007, la CNDA a accordé à un tiers des demandeurs d’asile originaires de Bosnie ayant fait un recours le statut de réfugié et le taux d’accord de l’OFPRA pour les ressortissants du Mali a été de 78,4 %.
Monsieur Avalro Gil-Roblès avait d’ailleurs fait part de ses doutes concernant la liste fixée par la France dans son rapport du 15 février 2006.
La CNCDH, avis de juin 2006 sur la politique d’asile, avait affirmé « sa ferme opposition à l’introduction en droit européen et en droit interne de la notion de “pays d’origine sûre” qui contrevient aux dispositions de la Convention de Genève en matière de non discrimination des demandeurs d’asile selon le pays d’origine » et a demandé le retrait de cette notion de la législation française.
Par ailleurs, ce concept est en contradiction avec l’article 3 de la Convention de Genève qui précise que « les États contractant appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ».
Le recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a un caractère suspensif, sauf dans le cas de procédure prioritaire. La CNDA a considéré - décision du 1er juillet 2007 - que tout demandeur sollicitant le statut de réfugié « se trouve nécessairement en dehors de son pays d’origine ».
La Cour a précisé que « le retour involontaire dans son pays d’origine d’un requérant, qui n’a pas renoncé à sa demande de protection, a pour conséquence d’interrompre provisoirement l’instruction de son affaire dés lors que le recours est, dans ces conditions, temporairement sans objet ».
On peut alors conclure que la CNDA n’examine pas les demandes des étrangers renvoyés dans leur pays d’origine.
L’absence de recours suspensif supprime le recours lui-même.
L’importance de l’effet suspensif du recours est par ailleurs indéniable si l’on prend en compte le fait que près d’une décision sur cinq de l’OFPRA est annulée par la CNDA. Il y a aujourd’hui plus de protections accordées par la juridiction de recours que par l’Office de première instance.
En 2006, le taux de reconnaissance pour les ressortissants des dix-sept pays d’origine sûre est de 5,95 % après examen de l’OFPRA. Ce taux passe à 30,61 % après examen par la CNDA.
En 2007, sur un total de 8 781 protections accordées, 38,7 % l’ont été par l’OFPRA et 61,3 % par la CNDA.
Concernant plus précisément les pays considérés comme sûrs, le taux d’annulation de la CNDA en 2007 est de 30,3 % pour les recours formés par des personnes originaires de Bosnie Herzégovine et de 23,4 % pour des demandeurs originaires de Géorgie (114 annulations sur 487 décisions rendues).
Conclusion : 114 demandeurs à qui la France a accordé une protection au titre de l’asile auraient pu être éloignés du territoire mettant en péril leur vie.
Ces résultats montrent, s’il en était besoin, le rôle positif du recours devant la CNDA. Alors que de nombreuses personnes se trouvent face à des menaces de mort dans leur pays, les mettre sous le coup d’une procédure prioritaire, les privent d’un recours suspensif. Ce risque est incompatible avec la Convention de Genève de 1951 qui pose le principe – article 33 – qu’« aucun des états contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à certain groupe social ou de ses opinions politiques. (…) »
Plus généralement, le droit à un recours effectif est garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne dont les droits et liberté, reconnus dans la présente Convention, ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. » Il est également reconnu par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le HCR, dans ses observations - mars 2005 - sur la proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres avait souligné que le « droit à un recours effectif devait inclure l’effet suspensif ». Il précisait : « compte tenu du nombre relativement élevé de décisions annulées suite à un recours et étant donné les conséquences potentiellement graves des décisions erronées prises en premier ressort, l’effet suspensif des recours en matière d’asile constitue une garantie essentielle. Pour qu’un recours juridique soit effectif, les demandeurs devraient être autorisés à rester dans l’État membre jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur recours. Le HCR prie instamment les États de veiller à ce que leur législation nationale prévoie l’effet suspensif des recours contre une décision négative. »
Faut-il rappeler l’arrêt Gebremedhin où la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé - avril 2007 - que l’absence d’un recours juridictionnel de plein droit suspensif, ouvert aux étrangers dont la demande d’asile à la frontière a été refusée méconnaissait les articles 3 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? Faut il souligner que dans le Livre vert de la Commission européenne sur l’asile de juin 2007 – « Harmoniser les procédures d’asile » - la France a proposé que « l’Union retienne, à tout le moins, le principe d’un recours qui soit systématiquement juridictionnel et suspensif ». En définitive, la loi de 20 novembre 2007 a pris acte de la condamnation d’avril 2007 et a donné un caractère suspensif au référé liberté lorsqu’il est dirigé contre les décisions de refus d’entrée prises au titre de l’asile.
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante :

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Alain
Bocquet

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le texte de la proposition

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