J’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi défendue par notre groupe de la Gauche démocrate et républicaine, visant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Après un premier texte que j’avais déposé l’année dernière, à l’occasion déjà de notre niche parlementaire, visant spécifiquement les familles monoparentales, c’est en toute logique que je soumets à vos voix cette proposition de loi visant toutes les familles.
Ce texte, adopté par une large majorité en commission, répond à une exigence de justice, d’efficacité et d’adaptation aux réalités sociales de notre temps. Il s’agit d’une mesure simple, mais profondément significative : reconnaître que chaque enfant mérite le même accompagnement, quelle que soit sa place dans la fratrie. Loin d’un ajustement technique, c’est un choix politique clair, qui consiste à réaffirmer que notre République a le devoir d’accompagner toutes les familles, sans exception.
Quand le troisième enfant a longtemps été vu comme une frontière compliquée à traverser, le grand saut dans l’existence réside maintenant surtout dans l’arrivée du premier. Voilà comment Julien Damon décrit les nouvelles compositions familiales dans son ouvrage Les batailles de la natalité. Aujourd’hui, les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant, à l’exception des départements d’outre-mer et de deux collectivités d’outre-mer. Ce seuil, établi dans un tout autre contexte, ne correspond plus à la structure actuelle des familles.
Plus d’un tiers des familles françaises ont un enfant unique. De manière tendancielle, les familles accueillent de moins en moins d’enfants. Depuis 1975, la part des familles comptant un ou deux enfants a progressé de plus de 29 % alors que celles en comptant quatre et plus a diminué de près de la moitié sur la même période. C’est d’autant plus vrai pour les familles monoparentales, dont une sur deux compte un enfant unique. Pour l’année 2024, les naissances de premiers-nés représenteraient 283 000 naissances sur un total de 663 000, soit 42,5 %.
Si je tiens d’emblée à préciser qu’il n’y a pas de lien direct entre le système des allocations familiales et la situation démographique actuelle (M. Louis Boyard applaudit), nous ne pouvons que constater collectivement une corrélation entre la réduction des fratries et le fait de verser les allocations familiales seulement à compter du deuxième enfant, alors même que la naissance du premier implique, tout autant que les suivants, de nombreux coûts financiers.
En effet, nous savons bien que les coûts liés à l’arrivée du premier enfant sont considérables : logement, garde, alimentation, perte de revenus… Selon l’Insee, une naissance entraîne une perte de niveau de vie pouvant aller jusqu’à 11 % pour les parents : ce n’est pas négligeable. Pourtant, il y a un trou dans la raquette : aucune aide familiale spécifique ne vient soutenir les parents entre les trois ans de l’enfant – âge où s’arrête la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) – et son entrée à l’école primaire, moment où commence l’allocation de rentrée scolaire (ARS).
En maintenant le seuil actuel, nous entretenons un système qui, de fait, exclut une partie croissante des familles du bénéfice de la solidarité nationale. Il s’agit donc là d’une mesure sociale et universelle. Notre objectif est clair : ouvrir les allocations familiales à toutes les familles, dès le premier enfant, sans condition de rang. C’est une mesure de justice sociale, vous disais-je, car elle corrige une inégalité de traitement. Mais c’est aussi une mesure d’universalité.
Nous sommes profondément attachés à ce principe républicain d’universalité des droits, qui est le ciment de notre cohésion nationale. Il garantit que chacun, quels que soient son parcours, son revenu et sa situation familiale, peut bénéficier du même accompagnement public. Il protège contre le sentiment, de plus en plus exprimé, d’être laissé de côté par les politiques sociales. Et pour cause...
Historiquement, les allocations familiales étaient versées pour chaque enfant. Ce n’est qu’en 1939 que le seuil du deuxième enfant a été institué. Nous proposons tout simplement un retour à cette logique initiale, fondée sur une solidarité horizontale, entre ménages avec et sans enfants, et sur une égalité de traitement entre tous les enfants.
Notre proposition s’inscrit aussi dans une volonté d’agir concrètement pour soutenir les parents, notamment les jeunes foyers souvent confrontés à des conditions économiques difficiles au moment de fonder une famille. Ce soutien est d’autant plus nécessaire que l’on observe aujourd’hui un décalage entre le désir d’enfant – stable, autour de 2,2 enfants – et la réalité des naissances, avec un taux de fécondité historiquement bas de 1,62 en 2023.
Il ne s’agit pas d’un projet nataliste, mais d’une réponse sociale. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) nous l’a rappelé : les prestations familiales influencent davantage le moment où l’on choisit d’avoir un enfant que la décision d’en avoir un. C’est donc bien un levier utile pour permettre aux familles de concrétiser leur projet de vie, sans pression ni contrainte économique. La Cnaf a également indiqué, lors de son audition, que les allocations familiales agissent davantage sur la temporalité de l’arrivée du premier enfant que sur le désir d’enfant.
Or agir sur l’âge de la première maternité est essentiel à la fois pour laisser la possibilité, à ceux qui le souhaitent, d’avoir d’autres enfants et pour lutter contre l’infertilité, qui touche un couple sur quatre et qui s’accentue avec l’âge des parents.
Comme je l’ai dit précédemment, l’arrivée d’un enfant dans une famille, si elle n’a pas de prix, génère des coûts importants pour les jeunes parents. Depuis 2016, en effet, on assiste à un décrochage des prestations familiales par rapport au coût de la vie. Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) l’a d’ailleurs estimé, pour la période entre avril 2021 et mars 2025, à 490 euros.
Certains évoqueront légitimement le coût de cette réforme. Nous n’éludons pas la question, mais il faut la reposer dans son contexte. D’abord, la branche famille de la sécurité sociale est excédentaire – à hauteur de 1,1 milliard d’euros pour 2024. Ensuite, elle a vu ses marges réduites par le transfert de 2,1 milliards d’euros à la branche maladie pour financer le congé maternité. Enfin, les exonérations de cotisations sociales pour les employeurs – près de 9,5 milliards d’euros en 2023 – pèsent lourdement sur le financement de notre modèle social.
La vérité est simple : nous avons les moyens de financer cette mesure. Il suffit de considérer les allocations familiales comme un investissement et non comme une charge : un investissement dans l’égalité, dans la stabilité des parcours familiaux et dans la cohésion sociale de notre pays.
D’autres, à l’inverse, trouveront ce projet trop minimaliste. Notre proposition de loi est volontairement ciblée. C’est un premier pansement, un petit pas – et je crois aux victoires par petits pas. Elle ne règle pas tous les problèmes du système, mais elle ouvre un débat de fond. C’est pourquoi deux rapports ont été demandés en commission, l’un pour mesurer les effets de cette proposition sur la précarité familiale, l’autre pour évaluer les perspectives d’une réforme plus globale vers un système universel et accessible à tous, sans baisse des montants. Ces travaux nous permettront d’aller plus loin, pour un véritable droit universel aux allocations familiales dès la naissance et jusqu’à l’autonomie réelle des enfants.
Cette proposition de loi répond à une réalité sociale et à une attente largement partagée. Elle est soutenue par de nombreuses associations familiales et par nos concitoyens. Je me réjouis que de plus en plus de travaux portent sur une réforme de l’architecture globale de nos politiques familiales, à l’instar de ceux présentés lors de la niche du groupe Les Démocrates, avec la proposition de loi de notre collègue Mme Bergantz – dont je salue le travail –, visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant, qui n’avait pas pu être débattue dans l’hémicycle. Lors de son examen en commission, avait d’ailleurs été adopté un amendement qui dispose que la nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales et se donne pour objectif d’ouvrir le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant.
Nous partageons tous la responsabilité de faire évoluer notre politique familiale vers plus d’équité, de justice et d’efficacité. Ce texte nous en donne l’occasion. Ne nous contentons pas d’afficher un objectif. Faisons un pas concret et faisons le choix d’une République qui soutient, qui accompagne et qui protège toutes ses familles, dès le premier enfant. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP. – M. François Ruffin applaudit également.)
Niches parlementaires
Versement des allocations familiales dès le premier enfant (PPL)
Publié le 5 juin 2025
Edouard
Benard
Député
de
Seine-Maritime (3ème circonscription)