Interventions

Niches parlementaires

Meilleur encadrement du pacte Dutreil (PPL)

Dans son Discours sur l’égalité des partages dans les successions en ligne directe, Mirabeau porte sur la place publique le débat théorique et idéologique sur l’héritage. Remettant en cause le droit d’aînesse et le despotisme testamentaire, il ne manque pas de poser la question fondamentale du droit des morts sur la propriété de biens qu’ils ont acquis de leur vivant : « Il me semble, messieurs, qu’il n’y a pas moins de différence entre le droit qu’a tout homme de disposer de sa fortune pendant sa vie et celui d’en disposer après sa mort, qu’il n’y en a entre la vie et la mort même. Cet abîme, ouvert par la nature sous les pas de l’homme, engloutit également ses droits avec lui ; de manière qu’à cet égard, être mort ou n’avoir jamais vécu, c’est la même chose. » Tout est dans cette interrogation et ce questionnement idéologique sur le statut des biens acquis et de leur transmission.
Il n’y a rien de naturel à ce que les descendants soient aussi favorisés qu’ils le sont aujourd’hui par nos lois et nos règles. Comment ne pas voir que les patrimoines constitués le sont aussi grâce aux services collectifs que nous avons décidés en commun –⁠ je pense à notre protection sociale, aux services publics, à l’investissement public. Quel chef d’entreprise, en clair, pourrait dire que sa fortune et son patrimoine ne doivent rien à la formation des salariés qu’il emploie, aux infrastructures que les collectivités entretiennent, aux aides que les pouvoirs publics lui accordent ? L’héritage n’est pas un droit naturel, c’est une construction sociale et politique, laquelle a fluctué au cours de l’histoire, de telle sorte qu’on ne saurait la limiter à la fiscalité successorale. Toute réduction du poids de l’héritage s’est en effet toujours accompagnée de l’augmentation des taux sur la tranche des patrimoines les plus élevés : 12 % en 1917, 17 % en 1920, 60 % en 1936.
Qu’en est-il aujourd’hui des droits de succession ? Ils suscitent bien des fantasmes, alors qu’ils donnent lieu à un prélèvement réduit : l’assiette –⁠ de 350 à 400 milliards par an – est si mitée que l’ensemble des recettes tirées de ces droits, 18 milliards d’euros, représentent un taux réel d’imposition de seulement 4 %.
Chacun en convient et toutes les études sérieuses le prouvent : les inégalités de patrimoine ont explosé ces dernières années. La concentration des patrimoines est indécente : les 500 premières fortunes ont atteint plus de 1 200 milliards d’euros en 2024. Dans une note de décembre 2021, le Conseil d’analyse économique (CAE) pointait les quatre principaux dispositifs d’exemption ou d’exonération de la fiscalité des successions, au premier rang desquels les pactes Dutreil.
Qu’est-ce que le pacte Dutreil ? Un dispositif qui prévoit, lors de la transmission d’un actif d’un parent à un ou plusieurs héritiers, un abattement de l’assiette imposable à hauteur de 75 %, dès lors que les parts de l’actif sont détenues deux ans en commun, puis quatre ans par le donataire, avant de pouvoir le vendre –⁠ cette disposition ayant été largement assouplie, puisque la durée de détention des titres était à l’origine fixée à seize ans.
Le pacte Dutreil, dont l’utilité pour les très petites entreprises (TPE) ou les petites et moyennes entreprises (PME) peut se comprendre, a effectivement été assoupli et dérégulé. Il a fini par favoriser l’optimisation fiscale de quelques gros patrimoines, servant plus à la holding animatrice faisant office de banque de capitaux qu’à la petite boulangerie du coin.
Mieux encadrer le pacte Dutreil, c’est d’abord œuvrer à lui rendre sa vocation. Encore faudrait-il commencer par reconnaître la réalité des pactes Dutreil, madame la ministre, afin que l’on puisse les évaluer et les contrôler. À cet égard, les diverses auditions que j’ai pu mener auprès de vos services ou d’experts et de professionnels, ne manquent pas de susciter des interrogations, voire d’inquiéter : le gouvernement estime ainsi la dépense fiscale de la niche Dutreil à 800 millions d’euros, quand le CAE l’évalue entre 2 et 3 milliards d’euros –⁠ excusez du peu ! Le doigt mouillé est une discipline qui mérite le respect, mais elle n’est plus acceptable en la matière, à l’heure où tous les actes notariés sont numérisés et pourraient être centralisés.
Chercher à mieux encadrer le pacte Dutreil, c’est aussi s’attaquer à la société d’héritiers et de rentiers qui gangrène notre pacte social, notre pacte républicain. C’est d’autant plus urgent que d’ici à quinze ans, près de 9 000 milliards d’euros de patrimoine seront transmis par les Français les plus riches à leurs enfants, soit plus de 600 milliards d’euros par an. Le plus grand transfert de richesse de l’histoire se déroule sous nos yeux. Rien ne saurait justifier que bien naître soit plus important que bien travailler.
Parce que nous, communistes et progressistes d’outre-mer, refusons un tel constat, nous avons décidé d’inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi. Je veux d’abord rappeler qu’il ne s’agit pas d’abroger le pacte Dutreil, contrairement à ce que d’aucuns tentent de faire croire. J’ajoute sans malice que vous avez évoqué la nécessité de trouver 40 milliards d’euros à économiser dans le budget pour 2026, madame la ministre. En répondant favorablement à votre exigence de revoir les niches fiscales, nous prenons notre part dans cette recherche.
Nous proposons six dispositions pour mieux encadrer le Pacte Dutreil. La première consiste en l’instauration d’un seuil à 50 millions d’euros, à partir duquel l’abattement ne serait plus de 75 % mais de 50 % –⁠ chacun conviendra que les artisans, les commerçants, les petites et moyennes entreprises ne seront nullement touchées par une telle disposition. Quant aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont portées en étendard, pouvez-vous nous indiquer combien de pactes Dutreil supérieurs à 50 millions d’euros elles auraient conclu, madame la ministre – sachant que la moyenne de chaque pacte est estimée, à gros traits, à 2 ou 3 millions ? Même le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) est incapable de nous en donner la liste ! Mesurons bien qu’en cumulant la niche Dutreil et la transmission en nue-propriété, il est possible de réduire le taux d’imposition effectif à moins 5 % de la valeur totale de la société. Comme à chaque fois, les petits servent de bouclier aux gros. Ce n’est plus acceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
La deuxième disposition vise à rendre le terme de pacte plus concret. Je ne pense pas être le seul ici à juger que les engagements actuellement prescrits par la loi –⁠ une durée de conservation des titres fixée à deux ans pour le donateur et à quatre ans pour le donataire – sont, en tout point, trop peu contraignants. Concrètement, ils signifient que seulement quatre ans après avoir hérité de la société qui fait l’objet du pacte, le donataire, c’est-à-dire l’héritier, pourra la revendre en ayant bénéficié d’une exonération de 75 % sur la succession. Au vu de la philosophie du dispositif, ce délai est bien trop court et inepte.
La troisième modification vise à empêcher le cumul du Dutreil avec le démembrement de propriété. Nous combattrons ainsi la tentation de transmettre des titres en nue-propriété et de les placer dans des holdings animatrices –⁠ qui deviennent familiales, puis inactives, comme cela a pu être documenté pour une dynastie très célèbre dont le nom commence par « Ar » et finit par « Nault ». (Sourires sur les bancs du groupe GDR.)
La quatrième disposition vise à mieux définir l’assiette du pacte Dutreil, en excluant de celle-ci tous les biens personnels : ainsi, le chalet à Megève ne pourra plus en bénéficier. Aujourd’hui, les contrôles en la matière sont pour le moins laxistes.
L’amendement que nous déposons reprend les termes adoptés lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, avant qu’ils ne se perdent dans les limbes du 49.3.
Le cinquième dispositif consiste à limiter les transmissions de trésorerie des holdings, en les plafonnant à 50 % du total des actifs transmis dans le cadre d’un pacte Dutreil, ce qui sera de nature à éviter que des sociétés de gestion de patrimoine fassent de l’optimisation fiscale.
Enfin, nous défendrons un amendement visant à prendre en compte les plus-values latentes ; je sais que nous sommes nombreux à vouloir encadrer le pacte Dutreil sur ce point.
Pour conclure, je voudrais souligner, à l’heure où le premier ministre promet du sang et des larmes à nos concitoyens, l’importance d’évaluer et de modifier l’architecture fiscale, en ayant en tête un seul but : le consentement à l’impôt, qui participe de notre pacte social et est inscrit aux articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est la clé de voûte d’une démocratie qui fonctionne. On voudrait que nos concitoyens, dont près d’un tiers peine à boucler les fins de mois, à remplir le frigo et à faire le plein, adhèrent sans protester à une fiscalité qui épargne les plus riches et qui conforte le statut de 500 contribuables détenant l’équivalent du tiers du PIB français !
Quant à la fameuse maxime selon laquelle « ce n’est pas le bon moment », elle constitue la plus fumeuse argutie qui soit. D’autant qu’à la lecture des amendements de nos collègues, nous voyons s’ouvrir un beau débat public, ce dont je me réjouis. Voter sur une disposition fiscale sans 49.3 est un luxe que nous aurions tort de refuser.
Avec cette proposition de loi et les amendements qui l’améliorent à la suite des débats en commission, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine affirme qu’un autre chemin est possible que celui qui se réduit à couper 40 milliards d’euros dans l’éducation, la recherche, la culture, les collectivités locales et l’écologie. Nous affirmons que, pour faire société, il est impérieux que les plus fortunés participent mieux et davantage à l’effort collectif.
N’oubliez jamais la belle réplique du Mariage de Figaro de Beaumarchais : « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » (M. Tristan Lahais applaudit.)
Mes chers collègues, les révolutionnaires, représentants du peuple, ont aboli la société féodale par la grande porte. Ne la laissons pas revenir par la niche ! (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS. –⁠ Mme Ayda Hadizadeh applaudit également.)

Imprimer cet article

Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)
Contacter par E-mail Suivre sur Facebook Suivre sur Twitter

Sur le même sujet

Finances

A la Une

Dernière vidéo de Nicolas Sansu

Thématiques :

Affaires européennes Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques