Il y a à peine plus de deux ans était promulguée la loi dite réforme des retraites, sans vote du Parlement et contre le refus massif d’une majorité de nos concitoyens.
Pendant plus de six mois, les travailleurs, les retraités et la jeunesse, soutenus par une intersyndicale puissante et unie, ont exprimé sans discontinuer leur stricte opposition à cette réforme. Ensemble, ils ont proposé des alternatives ambitieuses, raisonnées, que nombre d’entre nous, dans cet hémicycle, ont relayées en vain face à un gouvernement arrogant et enfermé dans ses dogmes.
L’élaboration et la mise en œuvre de cette réforme n’ont respecté aucune des règles les plus élémentaires de la démocratie sociale et du parlementarisme. C’est pourquoi cette réforme a été et reste un affront fait au peuple français.
Pourtant, jamais une réforme des retraites n’est allée aussi loin dans la régression sociale. Le relèvement de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans s’est accompagné, dès la promulgation de la loi, d’une augmentation de la durée de cotisation obligeant chacun à travailler un trimestre de plus tous les ans pour prétendre à une carrière complète.
Cette réforme fut brutale. Dès septembre 2023, au moins 50 000 personnes ont dû décaler leur départ à la retraite et depuis, ce sont plus de 300 000 travailleurs qui ont eu à prolonger leur carrière de trois, six ou douze mois, après plus de quarante années déjà passées au travail.
En février dernier, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a d’ailleurs indiqué que le nombre d’assurés sociaux qui choisissent de prendre leur retraite sans avoir eu une carrière complète, – donc en subissant une décote – a plus que doublé.
Consentir à une décote à vie, alors que la pension de retraite moyenne est de 1 626 euros bruts, signifie bien qu’aller au-delà de 62 ans est, pour beaucoup de salariés, strictement impossible.
Cette réforme n’est pas seulement injuste, elle est punitive pour les travailleurs seniors, relégués dans un chômage de longue durée, enfermés dans un sas de précarité au mépris de leur expérience, ou contraints de passer quelques années de plus en invalidité.
Même la très libérale Cour des comptes note, dans son rapport au premier ministre d’avril 2025, que le recul de l’âge de la retraite n’implique pas mécaniquement une durée en emploi équivalente, mais exacerbe les inégalités et les fragilités sociales. Elle confirme également que le précédent recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans « s’est traduit pour les ouvriers qualifiés par une augmentation du temps en invalidité et du temps ni en emploi ni en retraite », c’est-à-dire au chômage. (« Exactement ! » sur les bancs du groupe GDR.)
La dernière réforme sanctionne lourdement les femmes, amplifiant les injustices qu’elles subissent. L’inégalité salariale se répercute sur le niveau de leur pension, et le recours à la décote est plus fréquent en raison des carrières hachées et des temps partiels subis.
Ce n’est donc pas sans cynisme qu’Élisabeth Borne a présenté sa réforme comme un vecteur d’équilibre, de justice et de progrès. Et c’est avec le même cynisme que la Cour des comptes indique que le recul de l’âge de départ est un levier d’économie peu efficace, qui ne produit des effets qu’à court terme. En revanche, les effets pour les travailleurs sont, eux, tangibles et durables.
Et pourtant, le gouvernement refuse obstinément de revenir sur cette réforme, au motif que le déficit public ne le permet pas. Mais ce mantra, répété à l’envi, ne correspond pas à la réalité.
Le Conseil d’orientation des retraites l’avait documenté dès 2023 : notre système par répartition fait preuve d’une réelle solidité, et ses dépenses sont stables dans le temps (Mme Stéphanie Rist sourit), aux alentours de 14 % du PIB. Le Conseil avait identifié l’origine de la dégradation financière de notre système de retraite : la diminution des ressources qui lui sont affectées.
La perte de cotisations sociales dues aux seules niches sociales, c’est-à-dire au contournement des cotisations sur les salaires, non compensé par l’État, était estimée en 2023 à près de 20 milliards d’euros, dont plus de 9 milliards pour les cinq dernières années. Les allégements généraux de cotisations sociales, quant à eux, représentent 80 milliards d’euros.
Voilà où se trouve l’argent dont ce gouvernement et le président de la République prétendent, la main sur le cœur, ne pas savoir « où aller le chercher ».
Si cette réforme des retraites continue de nourrir un sentiment d’injustice profond, c’est donc aussi parce qu’elle repose sur le mensonge de la soi-disant faillite de notre système de retraite. L’enjeu de cette réforme est en réalité de faire payer aux futurs retraités la faillite d’une politique économique libérale et archaïque, dont la principale préoccupation est de maintenir au plus bas le coût du travail, en y sacrifiant les ressources des cotisations sociales.
Le gouvernement, si prompt à alléger la fiscalité des plus riches, ne peut concevoir l’augmentation que d’un seul impôt : l’impôt sur la vie. Il faudra travailler plus, plus longtemps, verser des pensions moins généreuses, voire, demain, subir une TVA sociale sur sa consommation.
Cette réforme des retraites est donc aussi une bataille idéologique emportant avec elle un choix de société. Elle s’inscrit dans une logique libérale et inégalitaire et propose une société du chacun pour soi, où la marchandisation des vies règne au détriment des principes de solidarité, d’universalité et de démocratie.
Elle remet en cause les fondements de la sécurité sociale, dont nous célébrons cette année le 80e anniversaire, et qui reste la poutre maîtresse du modèle social français.
Brutale et injuste, cette réforme de 2023 est également la plus grande blessure démocratique depuis la négation du vote des Français lors du référendum de 2005.
Toutes les manœuvres parlementaires et constitutionnelles ont été utilisées pour confisquer le débat démocratique : 49.3, vote bloqué, restriction du droit d’amendement, refus d’un référendum.
Les propositions de loi d’abrogation ont aussi été empêchées d’aboutir, soit par des artifices de recevabilité, soit par des manœuvres d’obstruction orchestrées par l’exécutif et sa minorité parlementaire.
Même le conclave des partenaires sociaux a dû subir ces artifices. En lieu et place de la feuille blanche promise, les syndicats se sont vu imposer un cadre restrictif. Main dans la main, patronat et gouvernement ont érigé des totems et des tabous sur la route des négociations.
Pour Emmanuel Macron, cette réforme est tellement iconique et obsessionnelle qu’il se prend à rêver qu’elle serait une affaire classée. C’est un aveuglement ! Les Français ont de la mémoire : ils n’ont pas tourné la page. Selon l’étude de l’Ifop d’avril 2025, plus des deux tiers des Français et plus de 78 % des salariés voteraient l’abrogation de cette réforme ; par ailleurs, sept Français sur dix plébiscitent le système par répartition.
C’est pourquoi aujourd’hui encore, partout en France, les organisations syndicales et nos concitoyens se mobilisent.
Le pays a besoin de réparer l’outrage qu’il a subi. C’est le sens de notre résolution. Deux ans après la promulgation de la réforme des retraites, nous vous invitons à répondre à la question qui a été jusqu’ici confisquée aux représentants du peuple : la réforme des retraites Borne-Macron doit-elle être abrogée ?
À ceux qui seraient tentés de disqualifier ce vote en prétendant qu’il ne revêt pas de valeur normative, nous objectons qu’il existe différentes natures de normes : d’une part, celles immédiatement agissantes, d’autre part, celles qui prennent acte et date, et qui obligent.
Un oui majoritaire de notre assemblée ne permettra plus au gouvernement de prétendre que les Français ont consenti à la spoliation de leur droit à une retraite juste, digne et solidaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS.)
Un oui majoritaire réhabilitera notre assemblée et l’expression souveraine du peuple. Un oui majoritaire obligera le gouvernement.
Madame la ministre, si notre assemblée vote cette résolution, il incombera au gouvernement de réparer la blessure démocratique qui meurtrit notre République. Il aura pour cela deux solutions : soit opter pour la sagesse et la concorde en abrogeant cette réforme, soit saisir, avec le président de la République, les Français par référendum.
Je me permets, pour conclure, de vous mettre en garde : si vous ne tenez pas compte de ce vote, si vous ne choisissez pas l’une des deux options que nous vous suggérons, alors, je vous promets que nous saurons en tirer toutes les conséquences. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Les députés des groupes GDR et EcoS se lèvent ainsi que Mme Sandrine Runel.)
Niches parlementaires
Abrogation de la réforme des retraites (PPR)
Publié le 5 juin 2025
Stéphane
Peu
Député
de
Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)