Au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine, qui rassemble les députés communistes et progressistes ultramarins, il me revient d’incarner une voix singulière, qui ne s’éteint pas devant les forces du marché ; une voix qui, au cours de l’histoire, a fait se rencontrer ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas ; qui n’a jamais cessé, non seulement de crier face aux injustices, mais aussi de proposer la justice afin que nos principes et nos valeurs cessent d’être dévoyés.
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit, mardi dernier, que nous avions la France en partage. Or depuis trop d’années, de recul en recul, de casse de l’assurance chômage en casse de la retraite par répartition, c’est la France sans partage que vous insufflez. Une France sans partage qui oublie son rôle sur la scène internationale, qui oublie de défendre partout dans le monde, bien qu’elle soit membre du Conseil de sécurité de l’ONU, l’exigence de fraternité.
De Gaza à l’Ukraine, du Soudan au Yémen, partout dans le monde, la voix de la France doit se confondre avec la paix. Les mots du grand Victor Hugo nous le rappellent :
« Hommes que j’entrevois,
Dans l’assourdissement des trompettes farouches,
Plus forts que des lions et plus vains que des mouches,
Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ?
Tous n’avez qu’un seul droit, celui de vous aimer tous. »
Oui, monsieur le Premier ministre, la fraternité, c’est l’humanité ! Face aux drames qui, chaque jour plus nombreux, se nouent à Gaza, la France ne peut accepter que la famine et les épidémies soient orchestrées pour servir d’arme de guerre, car cela confine à l’inhumanité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Cette inhumanité qui vous a conduit à transiger sur les thèses d’extrême droite les plus indignes lorsque vous avez accepté de facto des dispositions reprenant la préférence nationale, au mépris de la vie d’enfants, de femmes et d’hommes qui, dans l’espoir d’une vie meilleure, risquent leur peau en bravant les flots sur des rafiots, pour fuir la guerre, la famine, les conséquences du réchauffement climatique, la colonisation économique ou les persécutions politiques.
Une France sans partage, c’est une France qui accepte sans sourciller que le glaive de la finance règne et mette à mal la route vers l’égalité.
Quelque 330 000 personnes sont sans domicile fixe ; leur nombre a doublé en dix ans ! Chaque soir, des milliers d’enfants sont livrés à la rue, ce qui contredit les promesses présidentielles dévoyées et envolées.
De fait, en quelques années, vous avez asséché notre capacité collective à produire du logement social, laissé prospérer tous les ressorts de la spéculation et manqué le tournant de la rénovation de l’habitat. Désormais, vous souhaitez amoindrir la portée de loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui est un outil de cohésion et de mixité sociale, donnant ainsi un satisfecit à ceux qui la contournent depuis tant d’années.
Monsieur le Premier ministre, un toit, c’est un droit ! Mal loger des millions d’habitants de notre pays, c’est trahir notre pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Une France sans partage, c’est une France qui instille le poison de la division : entre salariés et chômeurs, entre allocataires des minima sociaux et classes moyennes, entre Français et immigrés. Pourtant, tous ceux-là seront unis lorsqu’il leur faudra régler une facture d’électricité qui va encore augmenter de 10 % ce mois-ci, soit une hausse de 44 % en deux ans ! (M. Sébastien Jumel applaudit.) Tous ceux-là, du retraité à l’enseignant, du smicard au petit commerçant, du cadre moyen au paysan, vont voir leur pouvoir de vivre rogné par l’inflation, qui fait tant de mal.
Comment ne pas voir votre souci de la division dans le fait que vous ne pointez jamais du doigt les vrais profiteurs, cette petite caste de privilégiés qui parvient trop souvent à rester sous les radars. « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas », écrivait Baudelaire. La plus belle des ruses des ultrariches et de tenter de nous faire accroire qu’ils n’existent pas, pourrait-on paraphraser.
Tous milliardaires, claironnait Emmanuel Macron, qui souhaitait que ce soit là le projet de vie de notre jeunesse. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, car, pendant qu’on illusionne, la reproduction sociale fonctionne à plein, jusqu’à la caricature au sein du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Une France sans partage n’a pas d’avenir, monsieur le Premier ministre. En moins de trois ans, tandis que vous piétinez le monde du travail en le précarisant, la fortune cumulée des milliardaires a plus que doublé dans notre pays, atteignant plus de 1 200 milliards d’euros. Comment vous y prenez-vous pour réfréner cette indécence et faire trembler nos superprofiteurs ? Vous affichez un froncement de sourcil, voire une moue significative : c’est tout !
Des dividendes records – près de 100 milliards d’euros versés cette année –, de multiples dispositifs pour échapper à l’impôt et transférer tout ou partie de son patrimoine dans des contrées à fiscalité douce, comme on dit, et des rachats d’actions : voilà ce qui fait la France sans partage !
Nous avons un principe à vous proposer : « Tu te casses avec tes dividendes ? Tu paies et on répare ! » ; « Tu salis la France en partant avec ta fortune dans un paradis fiscal ? Tu es taxé et on nettoie ! » (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) De fait, l’autorité qui confine à l’autoritarisme ne s’applique pas à tous. Autoritaire avec les petits, libéral avec les puissants : tel est votre credo.
Contrairement à cette France sans partage, nous œuvrons pour une France du commun. Notre pays est riche, immensément riche, et il s’est construit sur des principes collectifs qui font notre fierté. Il est encore temps de retisser ce fil, dans tous les domaines : la santé, l’éducation, la sécurité et la tranquillité publiques, la souveraineté, la solidarité envers les plus fragiles.
Ce qui compte, c’est la visée. Prenons l’exemple de la santé. Il existe une alternative, en la matière. La première branche de cette alternative, celle que vous avez choisie, consiste à accroître le reste à charge pour les malades, à favoriser le privé plutôt que le public, à oublier la prévention… C’est, en quelque sorte, la peinture anglo-saxonne qui vient flétrir notre tableau de la prise en charge de la solidarité.
Mais il y a l’autre branche, celle qui consiste à progresser vers le 100 % sécu financé par des cotisations sociales pleines et entières, à remettre en cause des milliards d’euros d’exonérations inefficaces et à élaborer, ainsi que le demandent les représentants des personnels hospitaliers et la Fédération hospitalière de France, un véritable plan de reconquête de l’accès aux soins pour tous.
Annoncer, ou laisser subodorer, au cours de la même allocution, et une extension des baisses de cotisations sociales et une amélioration du financement des besoins de la protection sociale, c’est juste une illusion, rien qu’une simulation.
Monsieur le Premier ministre, à l’instar des agriculteurs, qui ont besoin que les prix soient rémunérateurs et que les pays qui commercent respectent les mêmes règles et les mêmes normes, les salariés ont besoin d’être mieux payés et d’être protégés contre le dumping social, et les entreprises, notamment les PME, d’être préservées du dumping fiscal.
Ce sont ces principes simples qui permettront de redonner au pays de la force et à nos concitoyens la capacité de construire ensemble et de répondre aux urgences écologique, sociale et démocratique.
Faire communauté, c’est tout le contraire du séparatisme social qui déferle sur des pans entiers de notre pays.
À cet égard, l’école est, au-delà des polémiques, un véritable enjeu. La question est simple : les moyens mis à la disposition d’un lycéen de Félix-Éboué à Cayenne ou de Paul-Éluard à Saint-Denis sont-ils les mêmes que ceux mis à la disposition d’un lycéen de Stanislas à Paris ?
Sûrement pas. Il n’y a, entre ces lycéens, aucune égalité de moyens et encore moins d’égalité de traitement. Les enseignants ont su vous le montrer jeudi dernier, en participant à un mouvement qui en appelle d’autres.
Je pourrais décliner cette démonstration à l’envi, en évoquant notamment la catastrophe annoncée de la présentation de cartes scolaires dans les départements, qui auront pour conséquence de véritables abandons territoriaux. Votre défiance envers les collectivités locales, dont vous tentez de rogner le pouvoir d’agir et la liberté, ressemble à un péché originel.
L’égal accès de tous aux grands services publics régaliens ou aux services au public a été non seulement négligé, mais dépecé, au risque de superposer exclusion sociale et exclusion territoriale, dans les quartiers populaires, la ruralité ou les territoires d’outre-mer. Le groupe GDR-NUPES défendra donc plusieurs textes pour exiger le respect du droit commun dans tous les territoires de la République. Nous proposerons ainsi de créer une commission d’enquête et nous déposerons des propositions de loi qui visent à garantir le respect de nos concitoyens des territoires dits d’outre-mer.
Monsieur le Premier ministre, avant de conclure, je veux souligner combien nous regrettons votre choix de ne pas solliciter la confiance de l’Assemblée nationale. (Mme Raquel Garrido et M. Benjamin Lucas applaudissent.) Les petites phrases, parfois doucereuses, sur le respect du Parlement et des oppositions – la porte est ouverte, dit-on – ne sont que de peu de poids face aux 49.3 tonnes qui nous écrasent sans ménagement. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Le respecter des parlementaires passera nécessairement par la fin de cette conduite addictive au 49.3. N’oubliez pas que lorsque vous piétinez l’Assemblée, c’est sur les Français que vous vous essuyez les pieds !
Parce que nous ne nous résignons pas à une société qui sombrerait dans un autoritarisme social mâtiné de libéralisme économique, non plus qu’à une dérive qui fait le lit des ennemis de la démocratie, nous voterons sans trembler pour cette motion de censure, le seul acte qui nous permet de témoigner notre défiance et, surtout, notre combativité et notre vigilance pour faire triompher les espoirs et les besoins d’un peuple uni.
« Entre l’avoir, l’être, le savoir, le faire, le paraître et le pouvoir, qui absorbent toutes nos énergies, l’avoir l’emporte aujourd’hui, car il donne le pouvoir, permet le paraître, domine le faire et dispense d’être et de savoir », disait Edgar Pisani. Monsieur le Premier ministre, ne laissez pas l’avoir l’emporter et emporter tout sur son passage, jusqu’à favoriser l’arrivée au pouvoir des ennemis de la République et de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)