Lundi 30 octobre, tard dans la soirée, après que les députés ont débattu d’à peine quatre articles, sur les quarante-neuf que compte le PLFSS, vous avez, madame la Première ministre, déclenché un quinzième 49.3. C’est la quinzième fois que vous interdisez aux députés de débattre avec votre gouvernement ; c’est, surtout, la quinzième fois que vous privez les Français de la possibilité de voir leurs questions, leurs craintes, leurs aspirations et leurs revendications traduites dans cet hémicycle par la défense d’amendements.
C’est la quinzième fois, disais-je. Mais si vous escomptez que cette répétition banalise le geste, je crois que vous vous trompez. Cette répétition ne rend que plus aiguë la crise démocratique de notre pays en affaiblissant les principes de notre démocratie parlementaire. Car avec ces 49.3, en particulier ce dernier qui confisque le débat sur les dépenses à venir de la sécurité sociale, vous n’engagez pas seulement votre responsabilité sur ce texte budgétaire ; vous engagez votre responsabilité sur le bon fonctionnement de nos instances démocratiques. Vous renforcez ainsi envers elles la défiance croissante et dangereuse de nos concitoyens.
En effet, le budget de la sécurité sociale a une résonance toute particulière dans l’ensemble de nos circonscriptions car il aborde des situations très concrètes : l’accès aux soins, les pénuries de médicaments, les prestations sociales, le devenir de nos hôpitaux, la prise en charge des personnes âgées, le manque d’attractivité et la pénibilité de certains métiers. Autant de sujets sur lesquels nous sommes constamment interpellés tant les difficultés sont grandes en la matière.
Les innombrables mobilisations, partout dans le pays, des professionnels de santé et des usagers suffisent à démontrer l’inquiétude de nos concitoyens et la place qu’ils veulent prendre dans les choix des politiques sociales et de santé. Cette implication des professionnels et des usagers devrait vous obliger ; cet attachement de nos concitoyens à la sécurité sociale devrait vous donner le courage de vous battre pour défendre, face à nous, vos propositions.
Au lieu de quoi, vous vous dérobez. Les deux fois où vous avez eu recours au 49.3 sur ce PLFSS n’obéissaient à aucune nécessité. Votre seule justification est que l’opposition a décidé de ne pas voter le budget. Mais encore aurait-il fallu mener le débat ! Nous aurions pu peut-être alors vous faire admettre la très grande insuffisance de ce budget, vous expliquer pourquoi les arguments de la Fédération hospitalière de France (FHF) qui chiffre les besoins de financement supplémentaire à 3 milliards d’euros pour 2023 et à 5 milliards pour 2024 nous semblent pertinents. Nous aurions pu discuter de sources de recettes nouvelles pour la sécurité sociale, au regard du poids croissant et écrasant des exonérations de cotisation. Nous aurions pu vous dire pourquoi il est grave et infondé de remettre en cause les arrêts de travail. Nous aurions pu avancer nos propositions concernant la branche autonomie.
Pour ce qui me concerne, j’aurais pu vous faire part de la grande détresse des sages-femmes de la maternité de Saint-Denis, que j’ai rencontrées la semaine dernière et qui sont obligées de faire le tri des patientes… parce qu’un tiers des lits de cette maternité de pointe sont fermés, faute de personnel, et qu’un autre tiers des lits est, depuis le mois de juin, occupé par des femmes avec leur nourrisson depuis que la structure d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences et pour celles sortant de maternité avec un bébé sans solution d’hébergement a été fermée pour des raisons budgétaires !
Arguer que la commission des affaires sociales a rejeté le texte pour justifier le recours au 49.3 relève de la mauvaise foi, au pire d’une méconnaissance du Parlement. Les projets de loi sont examinés en deux temps, d’abord en commission, par des représentants de chaque groupe, sans la présence des ministres, puis en séance publique, en présence des ministres. Les propositions y sont retravaillées en fonction des échanges en commission.
D’ailleurs, ce qui rend ces 49.3 différents de ceux de l’automne dernier, c’est qu’ils étaient prémédités. Dès le 5 septembre, avant le dépôt du PLFSS, vous avez annoncé, madame la Première ministre, votre intention de recourir au 49.3 pour l’essentiel des textes budgétaires… ce qui a sans doute encouragé un fort absentéisme des députés de la majorité en commission.
Par ailleurs, vous avez déclaré que vous reteniez 250 amendements au lieu de 150 l’année dernière, comme s’il s’agissait là d’un fonctionnement normal de notre parlement et comme si, en opérant vos choix en solitaire, vous faisiez œuvre de compromis ou d’ouverture ! Le fonctionnement que vous instituez est anormal. La force d’un amendement, c’est qu’il a été présenté, débattu et voté. En procédant comme vous le faites, vous créez un nouveau genre : celui du silence et des négociations en catimini, hors du regard du peuple qui nous a élus.
Dans le contexte social actuel, dégradé et explosif, il n’est pas sérieux de procéder ainsi ! Il est de votre responsabilité de rendre des comptes, d’entendre les propositions et de faire voter vos textes à la loyale, comme il est de notre responsabilité de pousser le débat le plus loin possible et de contrôler l’action du Gouvernement.
Notre pays a besoin que ce gouvernement se ressaisisse de toute urgence afin de renouer avec les voies exigeantes, mais vitales, du débat parlementaire. C’est pour cette raison que les députés communistes et ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront cette motion de censure. (M. Jérôme Guedj et M. Damien Maudet applaudissent.)