Avant de commencer, permettez-moi d’avoir une pensée pour les habitants de mon département du Pas-de-Calais, qui font face depuis plusieurs jours à des inondations inédites. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Notre démocratie s’évanouit peu à peu : le Gouvernement use du 49.3 avec une telle légèreté qu’il semble presque faire fi de nos principes démocratiques. Alors que nulle formation politique ne peut prétendre avoir la majorité absolue dans cette assemblée, votre tâche ne devrait pas consister à rassembler des voix au gré des vents et des projets, ni à exercer un chantage inédit dans cette assemblée, mais à vous orienter vers une nécessaire concertation. Las, la richesse des débats en commission et l’union transpartisane sur certains amendements se voient mépriser, ignorer, écarter d’un revers de main autoritaire.
Votre discours, embrouillé de justifications tortueuses, ne saurait dissimuler la vérité : votre recours systématique au 49.3, sans égal dans les démocraties modernes, a dévoyé cet outil, désormais transformé en une arme antidémocratique. Vous prônez le débat, mais nos voix sont étouffées par vos pratiques : les dialogues de Bercy n’étaient, en vérité, que le prélude d’une fin déjà écrite pour ce simulacre de débat. En choisissant la facilité et en passant outre nos prérogatives, vous mettez en péril le bon fonctionnement de nos institutions et aggravez la défiance des citoyens. Vous aviez d’ailleurs annoncé votre intention de faire usage du 49.3 avant même la présentation du projet de loi, preuve de votre manque criant de considération à l’égard des parlementaires, mais aussi de nos concitoyens.
Cette parodie n’est pas à la hauteur de notre pays. Vous avez regretté, madame la Première ministre, la lenteur de la discussion budgétaire : la belle affaire ! N’est-il pas essentiel d’accorder à notre démocratie toutes les ressources et tout le temps nécessaires, sans limiter en rien son droit à s’exprimer sur un sujet aussi important que le budget ? D’autant que celui-ci, par la froideur de son austérité, avait largement besoin d’être humanisé. Car quid de l’humain, dans cette affaire ? Où donc les mesures réelles pour le pouvoir d’achat, la santé, l’éducation et l’emploi se terrent-elles ?
Dans ce budget, qui n’aura connu ni vote ni débat, vous persistez à faire le pari d’une croissance de 1,4 % et d’un haut rendement de la TVA en 2024, mais ces prévisions sont très optimistes. En réalité, vous faites peser tout le poids de vos mesures sur les classes populaires, qui paieront toujours plus pour avoir accès à toujours moins. Alors que vous envisagiez initialement une baisse de 16 milliards d’euros des dépenses publiques l’an prochain, celle-ci sera finalement de 17 milliards : derrière votre prétendue chasse à la mauvaise dépense se cache en réalité une intensification de la casse des services publics. Votre seule promesse ? Encore plus d’austérité.
Ce projet de loi de finances, qui prévoit près de 80 milliards d’euros de dépenses fiscales, fait la part belle aux aides aux entreprises et à une minorité d’acteurs économiques. Alors que son efficacité n’a pas été clairement démontrée, le crédit d’impôt recherche (CIR), par exemple, représente une dépense importante qui profite essentiellement aux grandes entreprises, et non à nos petites et moyennes entreprises, qui mériteraient pourtant bien plus de soutien.
Quid des classes populaires et moyennes qui, tenaillées par la faim, sont aujourd’hui contraintes de faire d’énormes sacrifices pour boucler leurs fins de mois ? Les Français ne veulent pas l’aumône, ils aspirent à vivre correctement de leur travail, sans avoir besoin de chèques alimentaires ou de paniers anti-inflation.
Le budget que vous nous proposez est bien loin de la première préoccupation des Français : leur pouvoir d’achat. Alors que l’inflation alimentaire atteint un taux alarmant de 20 %, la hausse générale des prix exerce une pression considérable sur les ménages les plus vulnérables et les travailleurs pauvres. C’est un paradoxe : en France, pays si riche, de nombreux travailleurs peinent à joindre les deux bouts.
C’est d’autant plus vrai pour nos concitoyens d’outre-mer, où la grande pauvreté est cinq à quinze fois plus importante qu’en France métropolitaine. À la veille de 2024, comment l’accepter ? Les financements supplémentaires que vous accordez aux territoires ultramarins sont loin d’être suffisants pour pallier les retards de développement qu’ils subissent depuis trop longtemps. Précarité du logement, ampleur de l’habitat indigne, état des infrastructures, notamment routières, obstacles à l’accès à l’eau potable : loin d’être de simples statistiques, ces carences profondes affectent le quotidien de centaines de milliers de nos concitoyens ultramarins. La crise du logement est particulièrement criante : alors que l’offre de logements est dramatiquement insuffisante, des milliers d’habitants sont en attente d’un logement social. Que dire de l’eau, cette ressource fondamentale qui leur est encore inaccessible ? Où sont les investissements massifs pour garantir l’accès à l’eau potable pour tous ? Pensez-vous vraiment que 50 millions d’euros suffiront à régler la crise de l’eau à Mayotte ? Comme tous ceux qui l’ont précédé, ce budget ne permettra pas de renverser l’absence de développement qui ronge les territoires ultramarins.
Un mot sur le nucléaire. Comme le dit le président de la Polynésie française, « la dette nucléaire est une bombe économique et sociale. »
Ce budget, dont le volet défense privilégie fortement la dissuasion nucléaire, reste beaucoup plus discret en matière de dédommagement des victimes des trente années d’essais nucléaires.
Madame la Première ministre, avec ce processus budgétaire écourté et réduit à une simple formalité, vous nous soumettez aujourd’hui un texte qui ne répond pas aux besoins et aux aspirations de nos concitoyens. Les riches sont choyés pendant que les pauvres portent le fardeau. L’état même de notre démocratie est source d’interrogations. Dans cet édifice qui incarne l’esprit de la démocratie, témoin silencieux de l’histoire, nous devons pouvoir débattre. Pour préserver l’âme de l’Assemblée nationale, nous devons garantir que sa tribune continue de résonner des débats et idéaux démocratiques qui l’ont façonnée. En leur ouvrant tous les jours les portes de l’Assemblée, nous avons le plaisir d’éveiller de nombreux jeunes élèves de nos circonscriptions à la citoyenneté et de leur permettre de toucher du doigt l’histoire. Mais il y a une ombre au tableau, une dissonance entre le lieu et son essence : l’Assemblée nationale ne doit pas devenir un musée de la démocratie ; elle doit en être l’incarnation vivante.
Si nous laissons cet endroit perdre de son sens, les générations futures d’élèves ne visiteront plus qu’une coquille vide. Dans cet esprit, pour toutes les raisons évoquées et bien d’autres encore, le groupe GDR-NUPES votera évidemment en faveur de cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et SOC.)