Interventions

Motions de censure

Motion de censure

La semaine dernière, la droite, la Macronie et le Rassemblement national ont décidé d’un commun accord, avec la complicité du gouvernement, de déposer une motion de rejet préalable à l’encontre de leur propre texte pour faire barrage au débat parlementaire. Cette manœuvre inédite en dit long sur votre conception de la démocratie et sur l’idée que vous vous faites du rôle du Parlement.
Elle met crûment en évidence qu’un vent mauvais souffle désormais sur notre pays. Nous assistons à une forme de bascule autoritaire préoccupante et d’autant plus nette que les intérêts économiques en jeu sont puissants.
Ces intérêts, nous les connaissons. Lors du Forum économique mondial de Davos, en janvier –⁠ vous n’en avez pas parlé, monsieur le premier ministre –, les dirigeants d’entreprises européennes ont expliqué à quel point les réglementations européennes entravaient leur compétitivité.
Devançant cet appel, le président de la République avait plaidé pour « suspendre [les régulations] tant qu’on n’a pas retrouvé la capacité de rentrer dans la compétition ». L’Europe en appelle depuis à une « révolution de la simplification », nouveau nom d’une offensive idéologique qui vise à privilégier l’efficacité par rapport au droit. L’objectif ? Emboîter le pas à Donald Trump et à Elon Musk et entrer dans la guerre économique, au mépris des droits sociaux et du droit de l’environnement qui sont autant d’entraves aux profits.
Nous assistons depuis à un recul de l’État de droit en France. Les attaques contre les contre-pouvoirs s’enchaînent et viennent du sommet de l’État. Quand un ministre affirme que l’État de droit n’est « ni intangible ni sacré », ce n’est pas une provocation ; c’est un programme. Une telle déclaration autorise par la suite à qualifier une décision du Conseil constitutionnel de « coup d’État de droit » ou à multiplier les attaques contre les opérateurs de l’État et contre leurs agents ; je pense à l’Office français de la biodiversité (OFB), à l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou encore à l’Anses. Les textes se multiplient qui, sous prétexte de simplification, dérégulent des pans entiers de notre droit –⁠ le droit de l’environnement, le droit de l’urbanisme – en faisant des dérogations la règle et du droit de recours des citoyens l’exception. (Mme Christine Arrighi applaudit.) Le dernier exemple en date est un texte qui, pour imposer un projet autoroutier, contourne sans scrupule une décision de justice, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
La manœuvre de la semaine dernière participe du même climat délétère. En interdisant à la représentation nationale de débattre de la proposition de loi Duplomb, vous avez voulu faire taire les critiques, empêcher l’opposition d’en dénoncer les mensonges. En effet, ce texte, vous le savez, n’est qu’une diversion. Sa raison d’être est de détourner l’attention des causes profondes de la colère des paysans, c’est-à-dire l’insuffisance des revenus, l’absence de protection publique satisfaisante contre les calamités, la concurrence déloyale de produits qui ne respectent pas nos normes sanitaires et environnementales.
Qui peut croire que l’on va enrayer la diminution du nombre d’exploitations en France en autorisant l’usage des néonicotinoïdes à titre dérogatoire ? Qui peut croire qu’affaiblir l’indépendance scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire renforcera l’agriculture ? Qui peut croire que le rehaussement des seuils donnant lieu au classement comme ICPE protégera nos éleveurs des traités de libre-échange ? Qui peut croire enfin qu’autoriser l’épandage de pesticides par drone sur les bananeraies de Martinique répond aux attentes d’une population traumatisée par le scandale du chlordécone ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS.)
La vérité, c’est que vous instrumentalisez la colère des agriculteurs pour complaire à une poignée de lobbys pour qui la qualité de l’air que l’on respire, la préservation de la ressource en eau et des sols agricoles ou encore la protection de la santé de nos concitoyens ne sont que les variables d’ajustement de leur sinistre Monopoly.
L’hiver dernier, nos agriculteurs n’ont pourtant pas seulement exprimé leur désarroi face à une surcharge d’obligations administratives ou réglementaires. Ils ont, encore et avant tout, exprimé le souhait d’être respectés et de vivre décemment de leur travail. C’est d’abord sur la question des prix et des revenus qu’ils voulaient voir la représentation nationale légiférer.
Or depuis des mois, plus personne ne parle de partage de la valeur, de prix planchers, de contraintes sanitaires et environnementales, d’aléas climatiques ou de maladies animales. Comme trop de textes récemment soumis à notre examen, la proposition de loi Duplomb ne parle que de dérégulation, de déréglementation et d’alignement sur le moins-disant environnemental et social. Une telle fuite en avant est mortifère car nous perdrons cette guerre, nous l’avons déjà perdue, si nous renonçons à la transformation de notre modèle agricole.
L’Europe somme de simplifier et la France fait de l’excès de zèle, abandonnant toute ambition en matière de protection de la biodiversité, de lutte contre la pollution ou de lutte contre le changement climatique. Pendant ce temps, le réchauffement de la température mondiale a franchi pour la première fois, l’an passé, le seuil de 1,5 degré Celsius, alors que l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris sur le climat conclu en 2015 consistait à ne pas dépasser cette limite. Et que fait le gouvernement ?
Il piétine les avancées obtenues, il s’assoit sur les engagements de la France, il distille l’idée que la protection de l’environnement nuirait à la production et que le contexte géopolitique impose désormais de ne plus s’embarrasser de normes même si nos enfants doivent payer l’addition, laquelle sera autrement plus lourde que la dette que vous brandissez pathétiquement comme le grand enjeu des années à venir.
L’heure est beaucoup plus grave que vous le dites. Elle appelle, notre groupe vous l’a dit et répété, un sursaut démocratique. Nous ne pouvons laisser l’extrême droite et ses soutiens médiatiques continuer de piloter votre agenda politique. (M. Stéphane Peu applaudit.) La bascule politique à laquelle nous assistons –⁠ la droite court après l’extrême droite et le centre après la droite –, la brutalisation du débat public, le chaos parlementaire savamment orchestré par l’enchevêtrement de textes examinés à la va-vite, étouffent tout débat démocratique. Désormais, à peine un Français sur trois considère que la démocratie fonctionne bien. Or la crise démocratique ne trouvera pas d’issue dans l’idée qu’il vaut mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. Nous ne savons que trop bien où nous conduisent ces discours.
Il est impératif de prendre la mesure du péril démocratique qui nous guette. Il faut cesser d’alimenter les discours démagogiques, de banaliser les discours de l’extrême droite et de faire reculer la République sociale, écologique et solidaire qui, seule, ouvre un chemin d’espoir face aux tentatives autoritaires. Monsieur le premier ministre, cessez d’abîmer la République : elle est notre bien commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ Mme Christine Arrighi se lève pour applaudir.)

Imprimer cet article

Thématiques :

Affaires européennes Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques