La motion de censure qui nous est soumise, déposée par nos collègues socialistes, vise à dénoncer les dérives du gouvernement et la compromission historique d’un bloc dit central, composé des forces macronistes originelles et d’une droite républicaine qui n’a plus de républicaine que le nom. Comme eux, nous considérons que ce gouvernement, par la voix de certains des plus éminents de ses membres, a fait le choix de tourner le dos à la République pour s’engouffrer toujours plus loin dans les thèses et la rhétorique de l’extrême droite.
Oui, l’extrême-droitisation du débat public est une réalité ; elle est une pente glissante sur laquelle le gouvernement a décidé de s’engager, sans retenue. Les exemples d’un tel glissement sont nombreux. Votre ministre de l’intérieur, ne serait-ce que lui, a érigé les dérapages en mode de fonctionnement. En proclamant que « l’État de droit n’est ni intangible ni sacré », il avait, dès sa nomination, posé les bases d’une remise en cause profonde de nos principes républicains. Cela fait écho à des propos qu’il avait déjà tenus à de nombreuses reprises, avant d’être ministre, lorsqu’il qualifiait certains citoyens de « Français de papier », lorsqu’il déplorait une « régression vers les origines ethniques » ou lorsqu’il osait déclarer que la colonisation, « c’est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues ».
Gérald Darmanin, quant à lui, après avoir fait campagne contre Marine Le Pen en disant qu’elle était « trop molle », applique aujourd’hui des politiques qui font rougir de plaisir les éléments les plus radicaux du Rassemblement national.
Il plaidait encore il y a quelques jours pour l’arrêt de toute « activité ludique » en prison, sous-entendant que les prisons françaises seraient un gigantesque réseau Disneyland où la gauche, irresponsable, dorloterait les délinquants. Au-delà de leur degré d’irresponsabilité, ces propos sont très éloignés de la réalité, ce qui fait peur.
La France est en effet régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les très mauvaises conditions de détention dans son système carcéral.
Enfin, vous-même, monsieur le premier ministre, avez apporté votre pierre à l’édifice en légitimant, il y a quelques semaines, un supposé « sentiment de submersion » migratoire. Vous avez ainsi, à votre tour, repris les mots, les concepts et les obsessions de l’extrême droite la plus antirépublicaine. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Ces multiples provocations ne sont pas des actes isolés. Elles sont l’aboutissement d’une dérive de la droite amorcée il y a plus de quinze ans, lors de la création du ministère de l’identité nationale sous Nicolas Sarkozy. Mais elles sont aussi le fruit de la complaisance d’une partie de la gauche qui, en certaines occasions, a cédé du terrain à ces idées nauséabondes : un président socialiste a voulu faire voter la déchéance de nationalité ; certaines figures issues du Parti socialiste ont dérivé progressivement jusqu’à accepter de gouverner aux côtés de MM. Retailleau et Darmanin. De tels renoncements ont préparé le terrain sur lequel prospère aujourd’hui l’extrême-droitisation du pouvoir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous l’avez compris, nous partageons le constat dressé par les auteurs de cette motion de censure. Néanmoins, nous voulons exprimer une divergence par rapport à nos collègues socialistes. Donner l’alerte à propos des valeurs républicaines est indispensable, mais cela ne suffit pas. La dérive du pouvoir actuel est aussi et surtout la conséquence directe d’une politique économique et sociale qui abandonne les classes populaires et certains territoires de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.)
La droite et la Macronie laissent les inégalités se creuser désespérément ; elles bradent les services publics ; elles imposent un budget d’austérité qui ne répond en rien aux attentes des Français. Or, nous le savons, le racisme ne prospère jamais aussi bien que dans la misère. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP. – M. Emmanuel Grégoire applaudit également.) La xénophobie se nourrit du sentiment d’abandon. Quand la précarité gagne du terrain, quand les salaires stagnent, quand les services publics ferment, quand on ne peut plus se soigner, quand les usines se délocalisent, quand l’insécurité sociale est devenue le quotidien de la majorité des Françaises et des Français, il est plus facile pour les forces réactionnaires de détourner la colère populaire vers des boucs émissaires plutôt que vers les forces du capital. (Mme Karen Erodi et M. Matthias Tavel applaudissent.)
C’est pour cela que nous ne pouvons pas nous contenter d’une critique ayant trait aux valeurs : nous devons dénoncer et combattre sans relâche les politiques économiques qui précarisent toujours plus nos concitoyens les plus fragiles. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons voté les motions de censure qui visaient à rejeter les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale présentés par ce gouverrnement, qui poursuivaient l’agenda politique d’Emmanuel Macron, agenda politique qui, depuis 2017, a une seule et unique obsession : satisfaire les marchés financiers, quoi qu’il en coûte au peuple.
Ce gouvernement, par sa soumission aux dogmes du marché et par sa violence sociale, est responsable de l’affaissement du pacte républicain. Il est aussi responsable de la montée des ressentiments xénophobes et de l’affaiblissement du vivre-ensemble. Il n’y a pas de combat efficace contre l’extrême droite sans un engagement résolu pour la justice sociale.
Jaurès disait déjà en son temps que « le socialisme, c’est la République menée jusqu’au bout » ; leurs destins sont intimement liés. L’affaiblissement des valeurs d’humanité et de partage, le discrédit permanent jeté par le bloc central, c’est la victoire du « tous contre chacun » face au vivre-ensemble, la victoire de la concurrence sur la coopération, la victoire de la division face à l’unité.
Cet affaiblissement s’illustre jusque sur la scène internationale, où notre pays a perdu toute crédibilité et où sa voix ne porte plus. Il a abandonné ses fondamentaux et ses valeurs. Il a renoncé à défendre en premier lieu les peuples, surtout les plus fragiles. Les droits civils et politiques ne sont plus au cœur de son action, et c’est le prix des armes qui, désormais, guide notre diplomatie. Les habitants de Gaza, de Goma, du Sahara occidental et de tant d’autres terres sont abandonnés par la France, qui préfère le bruit des bottes, l’odeur de l’argent et la loi du plus fort à la voix de la paix et à l’honneur des peuples. (M. Édouard Bénard applaudit.)
Pour cela aussi, nous voulons vous censurer.
De nombreux procès en républicanisme ont été faits à la gauche ces dernières années. Trop souvent, nous avons accepté les quolibets ; nous avons accepté d’entendre certains, au sein du bloc central, dire que le front républicain devait se diriger contre nous.
C’est oublier trop vite que nous sommes les héritiers des fondateurs de la République (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS) et que jamais nous ne baisserons la tête face à ceux qui ont choisi l’alliance avec ses ennemis. La confusion ne peut plus exister entre la gauche et l’extrême droite. La perte de repères ne peut pas se poursuivre. Vous devez entendre que les mauvais budgets que vous imposez aux Français par 49.3 sont des accélérateurs concrets des idées d’extrême droite.
C’est à cette condition que, demain, notre République pourra retrouver la concorde et l’harmonie dont elle a besoin. C’est pourquoi les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront dans leur majorité la motion de censure déposée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)