Vous n’avez rien fait, monsieur le premier ministre, pour que les députés du groupe GDR ne votent pas la motion de censure. Mardi dernier, vous avez parlé, longuement, pour ne rien dire de nouveau, rien que Michel Barnier n’aurait pu lui-même déclarer. Nous avons pris nos responsabilités : les communistes, sans grandes illusions, sont venus vous livrer leurs propositions dont vous n’avez rien fait.
En vous nommant, le président de la République savait que vous n’en feriez rien, pour que, surtout, tout reste en place, pour que rien ne bouge. Les cris d’orfraie des députés de la majorité, lorsque les députés du Nouveau Front populaire ont voulu toucher aux héritages dorés ou seulement ciseler une exonération fiscale inefficace, nous reviennent comme un écho.
Vous ne recherchez pas la stabilité, seulement la préservation des intérêts des plus riches. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Alors qu’en sept ans de pouvoir macroniste, les 500 plus grosses fortunes ont doublé et culminent désormais à plus de 1 200 milliards d’euros, 5 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et 330 000 personnes sont contraintes de vivre dans la rue, dans des hébergements d’urgence ou dans des hôtels sociaux. Sous prétexte de la stabilité, vous avez engendré une tempête qui nous pousse au bord du ravin. Vous ne voulez pas un budget pour le pays, vous voulez un budget qui ne touche pas au capital.
Oui, les Français sont inquiets ; inquiets pour leur avenir et pour celui de notre pays, non de savoir combien de temps vous resterez à ce poste. Ils vous demandent comment se loger, comment nourrir leur famille, comment avoir un travail rémunérateur et intéressant ; vous leur répondez que les élus pourront de nouveau cumuler des mandats et leurs indemnités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Nos compatriotes s’inquiètent de leur avenir et de celui du pays, pas du vôtre. Ils sont en colère de constater que, malgré votre pouvoir, vous décidiez de ne pas améliorer leurs vies, que vous soyez si peu à la hauteur de leurs attentes.
Vous avez fait mine de vouloir avancer sur la question des retraites, mais ce n’est pas un jeu, monsieur le premier ministre, c’est une question de vie et de mort. Vous avez parlé de compromis, comme d’autres avant vous avaient parlé de coconstruction pour mieux piétiner la mobilisation sociale et imposer la réforme des retraites à coup de 49.3. Le pays subit encore les soubresauts de cet assaut antidémocratique. Que proposez-vous pour y remédier ? D’abord, un conclave mal ficelé, ensuite, un droit de veto pour le Medef. Dans votre dernière lettre, le flou persiste : il y a tellement de « si » pour que le Parlement puisse enfin se prononcer qu’il est difficile d’y voir clair. Monsieur le premier ministre, les députés veulent enfin voter sur l’abrogation de la réforme des retraites ! (Mme Cyrielle Chatelain et M. Nicolas Bonnet applaudissent.)
Nous n’avions déjà pas confiance, mais vous nous flouez quand même. Vous ne posez pas la question de confiance, comme on le fait dans les démocraties parlementaires, vous la redoutez ; pire, vous croyez pouvoir vous en passer.
Vous avez décidé de tourner le dos aux aspirations populaires et, une nouvelle fois, de ne pas respecter le scrutin des élections législatives anticipées. Vous avez décidé de vous lier à ceux qui exigent la discipline de marché et qui demandent aujourd’hui à faire tomber ce qu’ils appellent la gratuité, oubliant qu’il s’agit des cotisations sociales et de la contribution par l’impôt.
Vous avez décidé de reprendre le budget, ou plutôt le plan d’austérité, de Michel Barnier que nous avons censuré. Vous avez décidé d’empêcher l’Assemblée nationale de discuter des recettes, peut-être parce que vous aviez peur que le NFP fasse à nouveau la démonstration de ses capacités à répondre aux besoins.
Non, vous avez préféré annoncer 32 milliards de baisses des dépenses publiques et aujourd’hui, vous cherchez à nous vendre la moindre diminution du nombre d’enseignants comme un effort gigantesque. Vous avez même admis qu’il n’y aurait pas assez de candidats au concours. J’ai le sentiment que c’est une manière pour vous d’avouer que vous ne ferez rien pour la rémunération des enseignants et pour leurs conditions de recrutement.
Ce jusqu’au-boutisme a plongé nos comptes publics dans le rouge, tout en alimentant les inégalités et en sabordant les services publics. À cela s’ajoute une gestion calamiteuse de la crise écologique. Aucune de vos annonces ne pourrait mettre un coup d’arrêt à ce qui provoque véritablement le chaos dans ce pays : la pauvreté, la précarité, les licenciements, les bas salaires, la peur pour l’avenir, les effets du réchauffement climatique.
D’ailleurs, dans votre long discours, pas grand-chose, si ce n’est rien, sur le grand défi de ce siècle qu’est la crise climatique. Peu d’ambition, alors que nous connaissons de plus en plus d’épisodes dramatiques : incendies, inondations, cyclones, ouragans. Vous regardez ailleurs, alors que nos compatriotes viennent de vivre l’un des pires événements de leur vie. Quand vous évoquez Mayotte, ce n’est pas pour vous inquiéter du sort de ses habitants, mais pour nous parler d’immigration.
Pendant votre discours, pas un mot sur les énergies renouvelables, la sobriété énergétique, la rénovation thermique des logements, les transports alternatifs à la voiture. Vous n’entendez même pas remettre en cause le modèle agricole qui détruit l’environnement et qui ne permet pas aux agriculteurs de vivre décemment et de produire sainement. Au contraire, vous dénoncez les normes environnementales, faisant le jeu de l’agro-industrie. Pourtant, ces normes sont essentielles pour protéger l’intérêt général, la santé publique et l’environnement.
Certes, les élections de juillet dernier n’ont donné la majorité absolue à aucun bloc. En revanche, une majorité de Français ne veut plus de votre politique, ils l’ont suffisamment dit. Ils aspirent à des services publics renforcés, à des salaires décents et à une retraite plus précoce. Ils ne sont pas tous d’accord sur la manière d’y arriver, mais vous avez décidé de mépriser ces aspirations populaires.
Les attentes sont particulièrement criantes pour les populations ultramarines, qui continuent de souffrir d’un abandon systémique : infrastructures délabrées, services publics insuffisants, pollution durable au chlordécone et séquelles des essais nucléaires. Plutôt que de répondre à leurs aspirations à l’émancipation et à la dignité, vous persistez dans un modèle fondé sur la répression et l’exploitation, comme ce fut le cas en Martinique. Après des mois de mobilisations contre la vie chère, vous décidez d’embastiller le leader du mouvement au lieu de mettre au pied du mur les groupes économiques dominants à l’origine de l’explosion des prix. Quant à Mayotte, affirmer qu’en sabotant le droit du sol vous mettrez fin à l’immigration et à la misère est un mensonge. Non, pour apaiser et protéger, il y a besoin de justice et de réparation.
En matière de diplomatie, la politique macroniste oscille entre l’inaction coupable et des choix désastreux qui aggravent les crises mondiales. Emmanuel Macron adopte une posture digne d’OSS 117, avec la condescendance d’un autre âge. Ses déclarations sur les pays africains qui auraient « oublié de dire merci » ou ses remarques sur les Haïtiens traduisent un mépris colonialiste latent. Ce discours discrédite profondément la diplomatie française. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Vous abandonnez les peuples en lutte pour leur indépendance, qu’il s’agisse des Palestiniens ou des Sahraouis, au profit de calculs stratégiques et économiques cyniques. Le fragile cessez-le-feu à Gaza ne fera pas oublier votre silence complice. Le temps de la justice va venir et la France ne peut pas maintenir une prétendue immunité fonctionnelle de Benyamin Netanyahou pour justifier le refus d’exécuter le mandat d’arrêt délivré contre lui par la Cour pénale internationale. En Palestine et au Moyen-Orient, vous persistez dans une politique étrangère fondée sur un double standard, un « deux poids, deux mesures », qui fragilise les fondements du droit international.
Je finis par votre gouvernement : il sonne comme une provocation. Je pourrais vous parler du retour de Manuel Valls ou d’Élisabeth Borne, experte en 49.3, mais je me concentrerai sur le ministre de l’intérieur. Il est un danger pour notre État de droit, qu’il ne considère ni intangible ni sacré (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), une insulte faite à celles et ceux qui luttent contre une colonialité qui marque encore notre rapport aux départements dits d’outre-mer – et pas qu’eux. Renouveler Bruno Retailleau, c’est valider ses complaisances et son alignement coupable avec toutes les théories racistes d’extrême droite. (Mêmes mouvements.)
Mardi, vous avez affirmé, monsieur le premier ministre, qu’Emmanuel Macron avait subi plus de crises que ses prédécesseurs, mais croyez-vous qu’il ne s’agit que de poisse ? Celui qui accapare tous les pouvoirs n’aurait-il pas de responsabilités ? Votre discours de politique générale confirme que vous poursuivez la trajectoire macroniste, entre libéralisme autoritaire, démantèlement social et voie ouverte à l’extrême droite. Tête baissée, vous persistez sans l’infléchir.
Alors nous avons décidé de vous censurer et vous n’avez rien fait pour l’empêcher. (Mêmes mouvements.)