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Travail : modernisation du marché du travail

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous achevons l’examen prétend transposer l’accord « donnant, donnant, donnant, donnant » – pour reprendre le titre d’un article de doctrine d’Emmanuel Dockès – signé le 11 janvier dernier par le MEDEF, la CGPME, l’UPA et quatre organisations syndicales de salariés sur cinq, qui ont toutes reconnu avoir négocié sous la menace d’une initiative gouvernementale plus dure. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Même si le terme n’apparaît pas dans le texte, cet accord était censé jeter les bases d’une flexicurité à la française. À l’arrivée, force est de reconnaître que si l’accord prétend s’inspirer largement de cette thématique, c’est pour mieux la dénaturer, au profit quasi exclusif de son seul volet sécurité.
Nous sommes loin, avec cet accord, d’une véritable sécurité sociale professionnelle, dans le prolongement de propositions formulées en ce sens depuis très longtemps, par la CGT notamment, et fondée sur la promotion de nouveaux droits qui, n’étant plus attachés au contrat mais à la personne, sont transférables d’une entreprise à une autre et opposables à chaque employeur : il en va ainsi du droit à la formation continue, du droit à la santé, à la retraite, à l’emploi, à la carrière, à la démocratie sociale...
Nous sommes loin également du modèle danois, promu par la Commission européenne et largement convoqué dans les débats récents, pour la bonne raison que la situation danoise est très différente de la nôtre : la mobilité y est le plus souvent choisie par les salariés, et la sécurité des trajectoires y est garantie par des formations effectives et une protection sociale de très haut niveau. De plus, l’emploi public y est parmi les plus élevés au monde. Au Danemark, comme le rappelait Florence Lefresne, de l’Institut de recherches économiques et sociales, « C’est l’ampleur de la redistribution limitant les inégalités et la vigueur des négociations collectives qui constituent les clefs de voûte du système ».
Rien de comparable en France, où la thématique de la flexicurité prend une tout autre figure puisqu’elle sert de cheval de Troie aux revendications patronales.
D’ailleurs, votre texte en porte les stigmates puisqu’il porte sur les fonts baptismaux des revendications déjà anciennes du patronat français. Je pense à la création d’un trente-huitième contrat – le contrat de mission à durée déterminée – qui permettra d’enfermer les salariés, ingénieurs et cadres, dans une situation de précarité d’une durée de trois ans, voire plus. Et il est à craindre que ce contrat ne soit étendu à d’autres catégories de salariés, à l’instar du trop fameux forfait jours.
Nous craignons également la mise en œuvre du principe de séparabilité, avec la nouvelle modalité de rupture conventionnelle, qui permettra à l’employeur de mettre fin aux contrats de travail sans avoir à alléguer de motifs de licenciement. Ce dispositif va enfermer le salarié dans un face à face inégal avec l’employeur, notamment dans les PME-TPE où travaillent 80 % des salariés de notre pays et où les organisations syndicales ne sont pas présentes. N’oublions pas l’allongement de la période d’essai, dont les durées sont désormais supérieures à ce qu’admet la jurisprudence de la Cour de cassation, les menaces qui pèsent sur le montant des indemnités de licenciement pour les salariés justifiant plus de dix ans d’ancienneté, et la légalisation des pratiques de prêt de main-d’œuvre avec la consécration des contrats de portage.
La liste est longue des reculs qu’inflige votre texte au droit du travail, d’autant que les dispositions de l’accord les plus favorables aux salariés, du reste peu nombreuses, sont systématiquement renvoyées à plus tard, au domaine réglementaire, avec les incertitudes et l’instabilité qui en découlent.
Pour nous, monsieur le ministre, votre projet de loi est totalement déséquilibré et il ne répond pas aux problèmes actuels que sont le développement du sous-emploi, l’écrasement des grilles salariales et le recul du niveau de vie de nos concitoyens. Au contraire, comme l’analysent d’ailleurs de nombreux observateurs, dont l’économiste Thomas Coutrot, nous pensons que l’accord national de janvier dernier est un « accord de précarisation » et que le présent projet de loi réduit la sécurisation des parcours professionnels à celle des licenciements.
Nous désapprouvons enfin la méthode qui a présidé à l’élaboration du projet de loi. Ce « dialogue social administré » sert en effet d’alibi permanent pour refuser aux parlementaires le droit d’avoir une vision différente de celle des partenaires sociaux et d’amender un texte destiné à être transcrit, sur le plan législatif, à la virgule près. Cette méthode est d’autant plus inacceptable que ce texte portant sur le droit du licenciement touche au cœur de l’ordre public social. Cette attitude est d’autant plus condamnable que l’on parle aujourd’hui des droits nouveaux du Parlement.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’opposera donc à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
 

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Roland
Muzeau

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