Il y a un an, en juillet, au tout début de la législature, le Gouvernement nous soumettait un projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Ce texte ne répondait absolument pas à l’urgence exprimée par les travailleurs : une augmentation de salaire qui leur permettrait enfin d’être un peu mieux considérés. Tout au contraire, il sanctuarisait la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, dite prime Macron, indûment et insidieusement rebaptisée PPV – une prime désocialisée dont vous ne cessez de rappeler que les employeurs la plébiscitent, et pour cause : dépendant exclusivement de leur bon vouloir, aléatoire, épisodique, elle permet surtout d’éviter de revaloriser les salaires. Bien entendu, les travailleurs n’ont pas été dupes : le Gouvernement a donc engagé les partenaires sociaux à négocier un accord en vue de renforcer le partage de la valeur au sein des entreprises. Le projet de loi au sujet duquel nous devons nous prononcer constitue une retranscription non pas fidèle, mais habile, voire quelque peu machiavélique, de cet ANI. En réalité, nos débats ont fait ressortir le fait que le texte aurait très peu d’effets pour les travailleurs : il vise essentiellement à permettre au Gouvernement d’enraciner sa doctrine d’opposition aux salaires et à notre système solidaire de sécurité sociale.
Avec ce projet de loi, le salaire, premier outil de partage de la valeur, ne sera plus seulement contourné, mais relégué – mis aux abonnés absents. Les organisations syndicales avaient exigé, comme préalable indispensable à l’équilibre du texte, qu’y figure le principe de non-substitution de la PPV au salaire : vous l’avez obstinément refusé. (M. Matthias Tavel applaudit.) L’adoption de l’amendement no 395 du rapporteur, visant à préciser que la participation ne saurait être fiscalement ou socialement assimilée au salaire, ne répond aucunement à la demande des syndicats, que nous faisons nôtre. Nombre d’études ont à présent démontré que ces primes se substituent aux augmentations de salaire : en 2022, la PPV en aurait ainsi évité 30 % ! Vous-même avez reconnu l’ampleur du phénomène dans l’annexe 4 du PLFSS pour 2023. Il en résulte en effet, pour la sécurité sociale, des pertes colossales : près de 1,7 milliard d’euros en 2021. Cela ne vous suffisait pas : vous avez créé le plan de partage de la valorisation de l’entreprise, censé fidéliser les salariés – mais ce qui leur donne envie de rester dans une entreprise, ce sont de bonnes conditions de travail, des droits, un salaire digne, et non un chantage à la prime !
Emmanuel Macron avait promis que les entreprises qui réalisent des superprofits seraient obligées d’en faire bénéficier leur personnel : vous n’avez pas manqué de nous expliquer que ce point avait été très difficile à négocier dans le cadre de l’ANI – comprenons que le patronat n’en voulait pas. Heureusement pour lui, il pouvait compter sur votre soutien : le projet de loi lui ménage une échappatoire sur mesure. Il ne sera finalement tenu que de négocier la définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice ! (L’orateur s’interrompt et se tourne vers les bancs du groupe RE, où se tiennent des conversations particulières.)
Excusez-moi, madame la présidente, je ne m’entendais plus moi-même.
Qui plus est, si cette négociation échoue, ce qui sera indubitablement le cas, il ne se passera rien. La retranscription infidèle de l’ANI, comme la feuille de route que vous avez donnée aux partenaires sociaux, sert vos propres intérêts et non ceux des travailleurs, encore moins s’ils perçoivent de faibles salaires. Ce projet de loi concourt à la réalisation de ce qui vous obsède : faire du salaire un élément subsidiaire de la rémunération ! En hissant la prime défiscalisée et désocialisée au rang de première contrepartie du travail, vous privez celui-ci de son sens, car le salaire constitue le principal point de négociation du contrat de travail, lequel encadre la subordination du salarié à son employeur, installe sa rémunération dans la durée, lui garantit des droits, enfin fait office de fil rouge de sa carrière. Le texte exprime votre vision de la société : une vision dont nous, députés communistes et ultramarins du groupe GDR, ne voulons pas, une société toujours plus inégalitaire où régnerait la loi de la capitalisation.
Nous défendons un partage de la valeur au sein de l’entreprise qui repose sur le salaire et surtout sur la solidarité et la justice sociale et fiscale pour l’ensemble de la société. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)