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Réforme pour la justice - Nlle lect

Il s’agit sans doute d’un mauvais rêve... Le Président de la République vient d’écrire aux Français qu’ils vont avoir à choisir le niveau de service public qui leur paraît nécessaire à la cohésion du pays. Au même instant, vous soumettez au vote de l’Assemblée un double texte qui réduit l’un des services publics inscrits au cœur de notre pacte républicain : la justice !

Vous nous demandez d’adopter, au nom du peuple, un texte qui organise la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance. Un texte qui ouvre la voie demain à une possible extension d’une justice sans juge. Un texte qui emporte dans ses cartons de futures restructurations dans l’organisation territoriale de la justice parce qu’il siphonne des compétences des mal-nommés petits tribunaux. Demain, vous le savez, un seul rapport de la Cour des comptes suffira au Gouvernement pour fermer des coquilles vides, devenues insuffisamment rentables.

Un texte qui favorisera pour le grand nombre le renoncement à l’arbitrage de la justice dans certains contentieux. Une justice que vous taillez sur mesure pour ceux que votre majorité représente : les sachants, les connectés, ceux qui n’ont aucune difficulté culturelle avec l’administration dématérialisée, aucune difficulté financière pour se faire accompagner par un auxiliaire de justice et qui n’ont pas besoin de prendre leur voiture pour accéder aux services publics.

Un texte qui n’expose pas sincèrement ses motifs : faire des économies, faire baisser le stock d’affaires, à défaut de pouvoir traiter celles-ci avec des outils de justice non diminués, dans des délais acceptables. Le vrai mobile de ces deux textes est le renoncement à la remise à niveau des moyens de la justice, qui souffre non pas du nombre de ses tribunaux de plein exercice mais d’un budget par habitant deux fois moindre que celui de nos voisins allemands.

Un texte qui, dans sa philosophie générale, abstraction faite de quelques dispositions qui ne mangent pas de pain, n’a pas pour projet politique d’être au service de tous.

Un texte inspiré du libéralisme de notre président qui, comme l’âne court derrière la carotte, court derrière Bruxelles, à l’instar de ses prédécesseurs ; qui court derrière les promesses de l’austérité, ces promesses que l’on n’attrape jamais mais qui vous rattrapent comme elles rattrapent la France sur les ronds-points et dans l’addition des colères. Ce qu’il faudrait, c’est dételer l’âne, arrêter avec cette logique et ces sortes de carottes cultivées dans le jardin des économistes et des technocrates libéraux.

Je vous crois sincère, madame la ministre. Vous n’avez pas ménagé votre peine pour nous rassurer, mais je crains que vous n’ayez pas mesuré le risque que votre réforme impliquera dans la durée pour nos territoires.

Exagérons-nous ? Je vous renvoie aux effets de la réforme du code du travail sur le renoncement des salariés à la justice prud’homale. Je vous renvoie au regroupement des contentieux de proximité dans les chefs-lieux de canton, dû à la réforme Dati, menée hier par la droite.

Ce texte est cohérent avec le conscient, le subconscient, l’inconscient libéral de votre majorité. Pour les libéraux, il n’y a pas de place pour tout le monde au banquet de la nature, et dans votre projet, il n’y a pas de place pour tout le monde à la table de la justice.

J’apprends que votre volonté de transférer aux caisses d’allocations familiales des actes relatifs aux pensions alimentaires s’appliquera au moment où 2 000 suppressions d’emplois sont prévues dans la convention d’objectifs et de moyens entre l’État et les CAF.

À l’instant précis où le Président écrit aux Français qu’ils doivent déterminer le niveau de service public qu’ils souhaitent, vous nous demandez de réduire ce niveau dans le champ de la justice. Quel mépris ! J’entends cela partout en France, comme à Douai, chez mon collègue, Alain Bruneel.

De deux choses l’une : soit le débat n’est que du pipeau, comme on dit chez moi ; soit vous n’avez pas mesuré la contradiction majeure entre la lettre du chef de l’État et cette réforme, et dans ce cas, l’histoire n’est pas jouée.

Madame la ministre, vous possédez cette expérience des procès dont le cours bascule soudainement, balayé par une circonstance nouvelle, extraordinaire. Cette circonstance se présente à vous : c’est ce grand débat, et la promesse qu’il ne serait pas à ranger au rayon des manœuvres ; c’est la crise qui secoue notre République, cette crise qui, sur fond jaune, additionne le blanc, le noir, le rouge, le bleu du grand arc-en-ciel de la France qui manque, de la France qui doute de sa démocratie représentative.

Je fais le rêve que, soudainement, votre projet de loi soit balayé par cette circonstance extraordinaire et que vous deviez le ranger dans les tiroirs du pouvoir.

C’est la raison pour laquelle nous voterons sans ambiguïté contre ces textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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