Pourquoi ?
Pourquoi réformer ce qui fonctionne dans un pays où tant de choses vont mal ? Pourquoi mettre à mal notre sûreté nucléaire en pleine relance de la filière ? Pourquoi revenir sur le modèle dual de sûreté nucléaire, qui a pourtant fait ses preuves et n’est contesté par personne ?
Voilà les questions auxquelles tous ici – y compris vous, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur – ont été incapables de répondre. La réforme de la sécurité nucléaire – la deuxième tentative, puisque vous aviez échoué à la faire adopter par un cavalier législatif – n’est justifiée par rien, ni personne. Vous êtes, une nouvelle fois, seuls contre tous.
Votre silence est la démonstration la plus évidente de votre embarras. Le Président de la République a décidé seul ce projet, dans le secret du Conseil de politique nucléaire, au nom d’un rapport lui-même secret qu’il a corrigé et réécrit pour le conformer à sa vision.
En l’absence d’étude d’opportunité sérieuse, ce débat nous a invités à donner un blanc-seing à ce projet jupitérien de fausse simplification. Il reprend le même triptyque que d’habitude : accélérer, démanteler, simplifier – délivrer, libérer, c’est la reine des neiges sans cesse réinventée ! (Sourires.)
Réunir des entités comme l’ASN et l’IRSN n’améliorera pas la fluidité du système. Personne n’appelle de ses vœux cette réforme – aucun organisme compétent en la matière, ni l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA), ni les anciens présidents de l’Opecst, et encore moins l’Association nationale des comités et commissions locales d’information, dans laquelle j’ai eu la chance et le bonheur de siéger pendant de nombreuses années.
Même la Cour des comptes, pourtant avide de projets de fusion et d’économies budgétaires, déclarait en 2014 que « la fusion des deux organismes constituerait une réponse inappropriée par les multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires et matérielles qu’elle soulèverait », avant d’adopter à deux reprises, en octobre 2018 et en avril 2021, des observations définitives relatives à l’ASN et à l’IRSN, qui pointaient l’amélioration du travail entre les deux institutions.
L’inventaire ne s’arrête pas là : les salariés des institutions concernées, leurs organisations syndicales, du CEA jusqu’à l’IRSN – tous dénoncent une réforme dangereuse et insensée.
Même ceux qui, sur ces bancs, croient, comme moi, à la filière nucléaire, éprouvent des doutes profonds, voire un très grand malaise devant ce projet de loi qui, comme le collègue Schellenberger l’a souligné, est mal ficelé.
Le débat a permis de mettre en lumière la confusion qui règne s’agissant de ce texte. Au fond s’est jointe la forme ; rien dans l’examen du projet de loi n’a permis de rassurer le Parlement. La discussion du texte a été l’occasion d’accumuler les invraisemblances : méconnaissance et difficultés à justifier la réforme durant les auditions ; tentative de contournement du vote, à défaut de convaincre ; absence de réponses argumentées de la part du Gouvernement et du rapporteur.
Le débat a été empêché, y compris lorsque nous avons souhaité améliorer les conditions de cette fusion pour les personnels et l’organisation.
La transformation en AAI vous oblige à des contorsions juridiques et à une dispersion des compétences regrettable qui séparera les expertises en matière de défense et de nucléaire civil, et cloisonnera des activités qui cohabitaient jusque-là. Cela n’a pas de sens.
Pire, confrontés à nos demandes de moyens supplémentaires, pour compenser la baisse très prononcée qu’ils ont subie, vous n’avez pas su convaincre les personnels et le Parlement que l’État ne saisira pas l’occasion de cette réforme pour faire des économies.
Vous n’avez pas non plus su nous rassurer quant au maintien du monopole d’EDF sur l’exploitation des installations nucléaires. L’ouverture à des marchands de savonnettes de l’exploitation des SMR constitue pour nous une ligne rouge. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et SOC. – M. le rapporteur s’exclame.)
Nous contestons ce texte mais, s’il nous désole, nous ne tomberons pas dans le piège que vous avez laissé s’installer : aux antinucléaires la défense de notre système dual, aux pronucléaires la défense de votre réforme. Bien que le groupe communiste considère que la relance du nucléaire est nécessaire, il redouble de vigilance quant au modèle que vous vous apprêtez à construire – un modèle que vous avez choisi de faire adopter quoi qu’il en coûte, avec les voix d’un RN girouette, comme l’a souligné ma collègue.
Moi, député de Penly, et soutien du projet de nouvel EPR qui doit s’y implanter, je vous le dis : je ne voterai pas cette mauvaise réforme – et la totalité des membres du groupe GDR présents aujourd’hui feront de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES, et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)