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Pt orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture

La souveraineté alimentaire ne se décrète pas. Reprendre la main sur notre destin alimentaire et agricole exigera plus que des déclarations d’intention et un texte insuffisant qui renvoient les sujets fondamentaux à de futures lois. Depuis des mois, les agriculteurs l’affirment : pour se relever, l’agriculture française a besoin de bras et d’un cap.

En l’espace d’un demi-siècle, elle a subi un plan social massif, perdant de nombreux emplois agricoles et accusant la disparition de 800 000 exploitations. Cette grande transformation a conduit les exploitations à s’agrandir, sous les effets d’une politique agricole commune (PAC) davantage tournée vers l’intensification des processus de production. Les terres se sont concentrées et la taille moyenne des fermes a presque triplé en trente ans. Si rien n’est fait, on estime que d’ici à 2035, la France pourrait continuer de perdre plus de 100 000 exploitations agricoles. On ne saurait se résoudre à cette perspective, à moins d’accepter que les zones rurales se transforment en vastes déserts.

Dans nos assiettes, fruits, légumes, poissons et viandes sont massivement produits à l’étranger et importés, selon des normes sociales, environnementales et sanitaires au rabais. Voilà où nous en sommes : à cause de la mondialisation alimentaire, même l’acte de se nourrir en est venu à subir la loi de la concurrence libre et non faussée. Cette trajectoire, qui fait du mal à nos campagnes et sape notre souveraineté alimentaire, nous conduit dans le mur. À ne vouloir faire de l’agriculture qu’un bien d’exportation interchangeable avec des voitures ou d’autres biens, nous avons capitulé et sacrifié notre souveraineté ; nous ne permettons plus le renouvellement des générations et nous fragilisons l’environnement.

Le texte, que nous avons longuement discuté, ne répond pas aux grands enjeux d’une agriculture française qui décroche depuis dix ans et ne parvient plus à assurer la relève des générations. Non, ce texte ne relève pas le défi de l’accès au foncier. Non, ce texte ne relève pas le défi majeur de l’élevage fragilisé, il ne met pas un terme aux fermetures successives des ateliers laitiers et il ne permet pas aux éleveurs de surmonter leur découragement. Non, ce texte ne répond pas à la question centrale des prix rémunérateurs pour cette profession où l’on peut travailler soixante-dix heures par semaine pour gagner moins d’un Smic. Non, ce texte ne relève pas le défi de l’accaparement des terres et de la fragilisation d’une agriculture à taille humaine. Non, ce texte ne traite pas le sujet central des traités de libre-échange qui attaquent notre modèle agricole.

À ce sujet, vous avez rejeté toutes nos propositions de moratoire, mais les députés du groupe GDR-NUPES reviendront à la charge dès jeudi prochain, à l’occasion de notre journée de niche avec un texte visant à en finir avec le CETA – Accord économique et commercial global. Vous rattraperez-vous ? Soutiendrez-vous cette initiative afin de protéger ceux qui nous nourrissent ?

Par ailleurs, ce texte comporte de nombreux défauts, comme celui consistant à résumer les enjeux de souveraineté alimentaire à des mesures de simplifications de normes. Prenons l’exemple de l’« intérêt général majeur » : la notion peut être séduisante, si on la regarde à la va-vite, mais elle pourrait avoir des conséquences négatives en matière de respect du droit de l’environnement. La réforme de la fiscalité des donations et des successions des terres agricoles ou la question des taux de la taxe foncière sur les terrains agricoles sont avancées sans qu’aucune garantie ne soit donnée aux collectivités quant à la pérennité des moyens qui leur seront alloués.

Un signal fort était attendu après les manifestations historiques de cet hiver. Sur les sujets fondamentaux, comme celui des prix – qu’on ne peut pas éternellement renvoyer à plus tard – et celui de l’accès au foncier, le statu quo n’est pas tenable.

Ce texte, souvent déclaratoire, n’est clairement pas de nature à répondre aux défis de l’agriculture en France et dans les outre-mer pour les dix ans à venir. Dans les débats, par respect pour le monde agricole, nous avons voulu éviter la caricature. Dans ce texte très insuffisant, nous avons voulu défendre ce qui pouvait l’être et promouvoir, grâce à nos amendements – comme celui d’André Chassaigne relatif aux communes boisées – quelques avancées, telles que la défense d’une ambition pour l’agriculture biologique ou le rejet d’une introduction massive de fonds d’investissement privés dans l’agriculture par le biais des groupements fonciers d’investissement.

Ce n’est pas le texte que nous voulions, même si l’on peut mettre à son crédit l’inscription de points positifs dans notre droit, comme la prise compte des difficultés pesant sur l’installation des jeunes agriculteurs, avec la création des guichets France Services agriculture, ou quelques perspectives supplémentaires données à l’enseignement agricole. Malgré les améliorations que nous avons pu y apporter, nous restons sur notre faim.

Dans l’attente des résultats de la navette parlementaire, la grande majorité de notre groupe parlementaire s’abstiendra – des voix discordantes s’exprimeront, comme elles ont toujours le droit de le faire dans notre groupe où la liberté est la règle. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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