Interventions

Explications de vote et scrutins

Loi sapin II

Monsieur le ministre, sous l’intitulé ronflant de « transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique », votre projet de loi est, en fait, réduit à la portion congrue. Après les espoirs suscités par la qualité des travaux de la commission des lois, la déception est au rendez-vous pour tous ceux qui attendaient un tournant dans la politique d’une France qui restera longtemps au vingt-troisième rang du baromètre mondial des pays les moins corrompus. En fait, vous êtes resté au milieu du gué. C’est une occasion manquée, qui peut toutefois encore être rattrapée d’ici à la fin de la navette parlementaire.
La création de l’Agence française anticorruption, dont les objectifs sont louables, voit sa portée limitée, faute d’indépendance véritable à l’égard de toute influence politique. Et quid des moyens qui lui seront accordés ?
En rejetant nos amendements, vous avez, une fois de plus, tiré le « verrou de Bercy », cette exception française qui permet aux « triche-fisc » de s’acheter l’impunité, voire l’immunité. Comme l’a dit un collègue dans le débat : « Les amendes ne les effraient aucunement car ils savent qu’elles seront payées, soit par les entreprises, soit par les bénéfices redistribués. Le système de transaction fiscale tel qu’il existe actuellement encourage donc la fraude, dans la mesure où il neutralise le risque. »
À propos des lanceurs d’alerte, la définition retenue est insatisfaisante car elle ne protège pas ceux qui dénoncent une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général : elle ne couvrirait pas le cas d’Antoine Deltour, lanceur d’alerte du scandale LuxLeaks. On doit pouvoir faire mieux !
La création d’un registre des lobbyistes va dans le bon sens mais son efficacité nécessite de le doter d’une procédure de sanction effective des lobbyistes peu scrupuleux. Allez-vous vous y engager ?
En vous retranchant derrière une directive européenne en préparation, qualifiée de « fumisterie » par l’un de nos collègues, vous proposez une usine à gaz, au lieu d’un vrai reporting pays par pays. Celui-ci reste confiné dans le secret des administrations fiscales,…
M. André Chassaigne. Sans domicile fisc ! (Sourires.)
M. Alain Bocquet. …alors que la transparence véritable réclame qu’il soit public. Si les choses restent en l’état, ce sera à coup sûr l’inefficience, alors que la France devrait être pionnière dans la lutte contre la fraude fiscale, qui coûte chaque année 80 milliards d’euros à notre pays et 1 000 milliards à l’Europe. L’heure n’est vraiment pas à la mièvrerie.
Le manque de traçabilité de la décision publique, les conflits d’intérêts et les pantouflages – tel celui de M. Bézard, passé de la direction générale du Trésor à la direction d’un fonds franco-chinois, dont on dit qu’il a des intérêts dans certains paradis fiscaux – passent très mal auprès des Français. Or votre projet de loi, au point où nous en sommes, fait un peu sabre de bois.
Face à cela, monsieur le ministre, soyons clairs : l’ambition affichée ne saurait suffire. Seuls les actes seront susceptibles d’orienter notre vote définitif. Bien sûr, les dispositions déplorables visant à « macroniser » l’artisanat et les petites entreprises ont été très justement liquidées, une à une, par l’Assemblée.
Enfin, pour encadrer les rémunérations patronales, ce projet de loi se contente de rendre le vote des actionnaires décisionnel. C’est clairement insuffisant quand le pacte social est en jeu. Vous avez décidé de rejeter toutes nos propositions, pourtant adoptées en mai dernier, qui visaient à encadrer les dérives de ces prétendus « super-patrons ».
Au bout du compte, les réponses apportées ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les fraudeurs de la finance, les optimisateurs, blanchisseurs et évadés ou exilés fiscaux qui nous volent pourront encore dormir sur leurs deux oreilles si rien ne bouge d’ici à la fin du parcours de cette loi anticorruption.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce texte, mais nous restons évidemment prêts à discuter avec le Gouvernement pour l’améliorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. André Chassaigne. Excellent discours, camarade !

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