Interventions

Explications de vote et scrutins

Déclaration du Gouvernement relative à l’organisation des prochaines élections départementales et régionales, suivie d’un débat et d’un vote

Monsieur le premier Ministre, si je devais résumer votre exercice solitaire du pouvoir – votre incapacité à prendre soin des gens, à réarmer l’hôpital, à amortir par des mesures concrètes les conséquences sociales et psychosociales d’une crise qui n’en finit pas de bousculer, chaque jour un peu plus, la dignité de la jeunesse, des familles les plus modestes, de nos aînés –, ce serait par la formule : « Loin des yeux, loin du cœur. » Loin des yeux, loin du cœur parce que la réalité du pays vous échappe. Loin des yeux, loin du cœur, parce que l’intelligence du terrain vous agace, notamment celle des maires, ces piliers de la République de proximité. Loin des yeux, loin du cœur, quand on sait que les ordonnances auront été plus nombreuses sous ce quinquennat que durant la guerre d’Algérie. Pour vous, la démocratie, le débat, les propositions émises par l’opposition, ne sont apparemment que du temps perdu. Loin des yeux, loin du cœur, puisque, une fois de plus, le Parlement est maltraité, mis au courant de ce débat la veille pour le lendemain, et que c’est en direct que nous découvrons les propositions du Premier ministre. Quant à la circulaire que les services du ministère de l’intérieur ont déjà dû rédiger, si les choses sont faites correctement, nous n’en avons même pas connaissance.

L’avant-dernier exemple en date de ce manque de démocratie, c’est le simulacre de consultation des maires qui a eu lieu ce week-end, concernant le report des élections régionales et départementales : les préfets exigeaient vendredi à dix-neuf heures trente d’avoir une réponse lundi à midi. Quel manque de respect !

Les maires ne sont pas comme le Président de la République : avant de prendre une décision, ils apprécient de pouvoir consulter leur conseil municipal. Soit dit en passant, ceux de Seine-Maritime auraient bien voulu être informés avec la même efficacité lors de l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen ! Alors que de nouvelles mesures de confinement sanctionnent l’absence de stratégie des plus hautes autorités de l’État, désormais spécialistes de tout et par conséquent de pas grand-chose, les territoires de vie n’ont toujours aucune visibilité, aucune lisibilité, s’agissant de savoir si les doses promises seront livrées et si, en vue de la guerre vaccinale, la communauté médico-hospitalière pourra se trouver au rendez-vous.

Chez moi, à Dieppe, nous venons d’ouvrir un vaccinodrome : à l’heure où je vous parle, je ne sais pas si nous disposerons la semaine prochaine d’autant de doses que cette semaine. Chez moi, en Normandie, comme partout en France, alors que les écoles, les collèges, les universités ont été mis en sommeil, la première semaine de cours à distance ressemblait à un bac blanc non préparé, comme si nous n’avions rien appris des précédents confinements. Dans le même temps, les inspecteurs d’académie continuent de sortir leur règle à calcul et d’annoncer des fermetures de classes et des réductions de dotations horaires globales.

Chez moi, en Normandie, comme partout en France, on se demande pourquoi vous ne profitez pas de cette pause pour vacciner les enseignants, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), les agents des lycées et des collèges, en un mot les adultes du secteur. Décidément, la subtilité de vos raisonnements m’échappe : auriez-vous décidé de le faire à la veille des grandes vacances ?
Chez moi, en Normandie, comme partout en France, les hôpitaux restent dans l’attente de moyens structurels, notamment en réanimation : profiterez-vous de la rentrée pour, en lien avec les régions, former de nouvelles recrues dans les instituts de formation d’aides-soignants (IFAS) et les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) ? Chez moi, en Normandie, comme partout en France, où ni les savoir-faire ouvriers, ni l’intelligence collective ne font défaut, on se dit qu’il serait temps de recouvrer notre souveraineté industrielle pour fabriquer des vaccins, et ne pas se contenter seulement d’assurer leur conditionnement. On se dit qu’avec vous, les jours heureux ont des airs de lendemains qui pleurent.

Avec ces réflexions en tête, le débat démocratique d’aujourd’hui, sur la tenue des élections régionales et départementales, prend un relief particulier. Cette question électorale relève de votre responsabilité, que vous n’engagez pas, car le vote du Parlement demeure purement formel. Personne n’ignore que votre décision est prise. Dans ces conditions, doit-on ajouter foi aux engagements que vous avez pris devant nous, à la promesse que nous pourrions de nouveau respirer en mai ? Le Parlement ne peut qu’exiger de vous des garanties, des mesures concrètes, pour que le rendez-vous électoral soit tenu, avec toutes les précautions sanitaires qui s’imposent, afin de ne pas amoindrir, de ne pas affaiblir la démocratie avec un grand D.

Chez moi, en Normandie, comme partout en France, on se dit que vous auriez pu commencer par faire confiance aux maires pour organiser le déroulement des élections : on aimerait bien avoir un cap, une vision qui rassure. En fait, monsieur le Premier ministre, je crains que vous ne soyez pas en mesure de nous annoncer autre chose que : « Demain, s’il ne pleut pas, peut-être fera-t-il beau. » (Sourires sur divers bancs.) Au moment où je m’exprime, voilà les seules garanties que vous avez pu fournir au Parlement !
Vous avez, je l’espère, pris connaissance des courriers que vous ont adressés les oppositions au sujet du déroulement du scrutin. Vous avez en tête, j’imagine, les conditions dans lesquelles se sont déroulées les dernières élections organisées dans plus de cinquante-cinq pays, dont treize en Europe, avec un taux de participation parfois satisfaisant – et, dans le cas contraire, imputer sa faiblesse à la seule crise sanitaire serait une erreur. Retenez de notre opinion que les élections départementales ne servent pas à élire les cantonniers, en dépit de la plaisanterie de Coluche sur leur ancien nom d’élections cantonales, et que les élections régionales n’ont pas pour but d’élire des technocrates qui élaborent des schémas incompréhensibles.

Ces élections doivent être l’occasion de discuter des services publics de proximité, des moyens d’améliorer la mobilité de nos concitoyens, de redonner sens au made in France et de reconquérir des pans de notre souveraineté industrielle ou alimentaire. Elles sont l’occasion de débattre, projet contre projet, de démontrer l’utilité des collectivités territoriales, leur capacité à répondre aux besoins des habitants. Un tel rendez-vous démocratique ne peut être galvaudé : nous refusons, monsieur le Premier ministre, qu’il y ait des degrés dans la citoyenneté.

Participer à des élections ou à des opérations électorales, dans une démocratie, suppose deux conditions : être majeur et être inscrit sur les listes électorales. La création d’un passeport vaccinal municipal en vue de ce scrutin ne serait donc pas de nature à permettre l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière.

De même, il ne vous aura pas échappé que, nous autres, nous ne sommes pas des députés qui ont candidaté sur internet ; nous ne sommes pas des députés Zoom, nous ne nous satisferons pas de mener des campagnes virtuelles sur Facebook ou sur Twitter. Faire campagne, convaincre, c’est aller à la rencontre des habitants, se rendre sur les marchés, de manière responsable : masqués, mais pas muselés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) Faire campagne, c’est organiser des réunions en plein air, susciter l’intérêt pour la République. Je le répète : nous ne serons jamais des candidats Zoom ! Les élections départementales et régionales réclament des candidats qui incarnent un projet, qui soient l’émanation d’un territoire, non de nulle part.

Vous devez donc répondre concrètement à nos demandes, afin d’assurer l’égalité des dispositifs, en permettant notamment aux médias public d’ouvrir des espaces de confrontation des idées. Je n’ai pas employé le pluriel par hasard : pour que le débat démocratique ait lieu, il ne suffit pas d’une émission programmée le vendredi à minuit sur France 3 ! Il faut permettre l’accès au matériel officiel par toutes les voies possibles, il faut permettre aux candidats et aux militants de circuler. Vous avez apporté un début de réponse sur ce point, mais j’aimerais savoir quand et comment nous retrouverons cette liberté consubstantielle à la démocratie. Les distributeurs de tracts, les colleurs d’affiches, les citoyens, enfin, ne peuvent travailler dans la clandestinité !

Votre responsabilité exige désormais que l’État fasse le nécessaire pour que le scrutin ait lieu dans de bonnes conditions. Il est bien beau de consulter les maires, au dernier moment d’ailleurs, mais quels moyens concrets leur donnerez-vous en vue d’assurer la protection de nos concitoyens ? Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, la question n’est pas tant de savoir si les élections seront reportées de quelques jours – somme toute, cela ne mange pas de pain – que de savoir si, quoi qu’il vous en coûte électoralement, vous allez créer les conditions nécessaires permettant au peuple de s’exprimer et à la démocratie de vivre. En période de crise, cela peut même s’avérer utile pour lutter contre elle. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe FI.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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