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Explications de vote et scrutins

Adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels - CMP

Adopté en première lecture par notre assemblée au début du mois de décembre, le texte qui nous occupe entend consacrer le principe jurisprudentiel de la responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage. Il institue par ailleurs une exception générale, tirée de la théorie de la pré-occupation, à ladite responsabilité afin de trouver un meilleur équilibre entre les intérêts en présence.

Est-il utile d’inscrire dans la loi un régime de responsabilité qui fonctionne même s’il résulte d’une création prétorienne ? Cette question se pose depuis que nous avons commencé à débattre de la proposition de loi.

M. le garde des sceaux nous a indiqué en première lecture qu’« introduire ce principe général dans le code civil le rendra plus accessible et renforce la sécurité juridique du droit français, tout comme l’égalité de nos concitoyens devant la loi ».

Nous ne sommes pas convaincus par cette argumentation. En vérité, si nous inscrivons aujourd’hui dans le code civil le principe selon lequel chacun a le droit de jouir paisiblement de sa propriété, de son logement, de son fonds et a droit à réparation du préjudice qu’il subit en cas de trouble anormal du voisinage, c’est uniquement pour faire valoir une exception générale à ce principe tiré de la théorie dite de la pré-occupation.

Cette exception est calquée sur les dispositions de l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation aux termes desquelles « les nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire […] a été demandé […] postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

Le texte que vous nous proposez prévoit ainsi qu’aucune des activités « quelle qu’en soit la nature » existant avant l’installation de celui qui se plaint de trouble anormal du voisinage n’engage la responsabilité de l’auteur des troubles dès lors qu’elle s’exerce « dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».

Disons-le nettement, cette rédaction n’est pas pleinement satisfaisante.

Depuis l’origine, ce texte vise à répondre aux préoccupations du monde rural. Sa motivation principale est d’éviter la multiplication des actions en justice engagées par de nouveaux arrivants ayant acquis une propriété à la campagne. Ainsi que le rappelait, en première lecture, mon collègue André Chassaigne : « Il est fréquent de voir des situations dégénérer, alors que le litige repose à l’origine sur des raisons futiles. »

Combien de chants de coq, de cloches annonçant l’angélus, de bruits d’engins agricoles, d’odeurs d’excréments émis par des animaux d’élevage sont-ils à l’origine de batailles juridiques interminables ?

Nous partageons votre souci d’y mettre un frein.

Il reste que la rédaction proposée et l’ajout d’une clause exonératoire au profit des agriculteurs pour les troubles causés par « la mise en conformité de l’exercice de [leurs] activités aux lois et aux règlements, ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité » soulève des interrogations. Ne sera-t-elle pas de nature à générer des effets de bord, à nuire aux intérêts légitimes des riverains, à constituer un nouveau nid à contentieux ?

Nous restons en tout état de cause assez perplexes sur l’utilité et sur les motivations cachées de ce texte qui tend à faire prévaloir les enjeux économiques sur la qualité de vie et le bien-être de nos concitoyens.

S’il s’entoure de précautions suffisantes, la pente n’en est pas moins dangereuse : il n’y a qu’un pas entre la défense légitime du principe de pré-occupation et l’érection de l’activité économique en totem d’immunité.

Afin d’éviter que certaines situations ne tournent au drame lorsque des acquéreurs ont investi toutes leurs économies dans un achat immobilier et se retrouvent prisonniers d’une situation non voulue, nous restons convaincus qu’il aurait été souhaitable de privilégier une autre approche. Nous aurions pu, par exemple, systématiser la pratique de certaines études notariales qui imposent aux futurs acquéreurs d’accomplir toutes les diligences utiles et nécessaires afin de s’informer sur l’environnement proche du bien acheté, notamment sur les éventuelles nuisances liées à des activités industrielles, artisanales, agricoles ou sportives. C’était d’ailleurs l’objet de l’un de nos amendements de première lecture.

En conclusion, si nous ne sommes pas dupes de certains sous-entendus de ce texte, nous confirmons notre vote en sa faveur.

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)
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