Après douze jours de débats dans cet hémicycle est venu le moment de nous prononcer sur la proposition de loi visant à « garantir un égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs », et sur celle relative au « droit à l’aide à mourir ».
Ces douze jours n’ont certes pas permis d’épuiser les débats. Pour ma part, ils ont même parfois soulevé de nouvelles interrogations, ou suspendu mon jugement sur un sujet qui me paraissait pourtant acquis ; mais ils ont su aussi conforter des avis et des convictions sur l’un comme sur l’autre texte. Et cela me paraît bien naturel, et même rassurant, au regard de la charge que nous avons ici collectivement acceptée et qui est celle, d’une part d’inscrire dans la loi une ambition nouvelle pour l’accès aux soins palliatifs et d’autre part, de trouver la voie la plus sage pour inscrire dans la loi un nouveau droit, celui de l’aide à mourir.
En ce qui concerne la première proposition de loi, visant à garantir un égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs, je le répète : son titre même ne doit pas demeurer déclaratif.
Son titre traduit une ambition sans précédent qui exige un engagement de rupture de ce gouvernement, et de ceux qui lui succèderont, en matière d’accès aux soins palliatifs, mais plus fondamentalement au regard de notre système de santé dans son ensemble.
L’accompagnement et les soins palliatifs s’inscrivent dans une prise en charge globale de la personne malade et de son entourage.
Devant le retard colossal et insupportable de notre pays en matière d’accès aux soins palliatifs, doublé d’inégalités territoriales intolérables, nous avons souhaité que l’accès aux soins palliatifs soit désormais un droit opposable. Nous avons décidé de mettre en place des plans personnalisés d’accompagnement pour assurer un meilleur suivi global du patient. Nous avons décidé de créer de nouveaux établissements médico-sociaux publics : les maisons d’accompagnement, un maillon manquant et pourtant indispensable pour des malades qui ne peuvent demeurer à domicile sans toutefois que leur état nécessite une hospitalisation.
Toutes ces dispositions ne sont pas du luxe. Elles sont depuis de longues années déjà amplement justifiées par les besoins des personnes malades et de leur entourage, et par le déficit de moyens dont souffrent les soignants.
Mais ces dispositions n’auront aucune traduction concrète si la volonté politique qui les porte n’est pas celle qui, dans un seul et même geste, vise à réparer l’ensemble de notre système de soins.
Le gouvernement, dans le cadre des lois de finances à venir, ne pourra pas se tenir ici, debout devant nous, si sa volonté est encore et toujours de réduire les moyens alloués à notre système de santé, aux hôpitaux ou à la revalorisation salariale des soignants.
Si les commissaires des affaires sociales ont unanimement voté ces dispositions, quel que soit leur groupe politique, je veux croire que ce n’est ni par complaisance ni par légèreté.
Chaque député, chaque groupe politique, en votant ce texte, sait quelles obligations il requiert, la plus importante étant celle de réinvestir une politique de santé publique en partant des besoins des soignants et des patients.
C’est cette ambition qui doit demain collectivement nous guider dans nos travaux sur le devenir de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, sur la définition d’un budget de la sécurité sociale, sur un renforcement de notre système de sécurité sociale. Je pense notamment que la notion de loi de programmation pluriannuelle fait son chemin sur les bancs de cette assemblée, nous l’avons vu au cours de nos débats, et que non seulement celle prévue pour les soins palliatifs ne doit pas rester lettre morte mais que, davantage, son principe doit irriguer nos prochains débats budgétaires.
C’est mû par cette conviction et avec le sentiment que cette proposition de loi doit venir bousculer les politiques d’austérité en matière de santé publique, que le groupe des députés communistes et des territoires dits d’Outre-Mer votera favorablement cette première proposition de loi.
A titre personnel, je la voterai aussi car sans la garantie d’un droit opposable à l’accompagnement et aux soins palliatifs, il ne peut être envisagé sereinement la création d’un droit à l’aide à mourir.
Madame la Ministre l’a elle-même rappelé lors de notre dernière séance dans l’hémicycle : le recours à l’aide à mourir ne peut pas être un acte par défaut d’accès aux soins palliatifs.
C’est en ce point que même si nous avons séparé l’examen des deux propositions de loi, elles sont néanmoins indéfectiblement liées : sans un changement radical de notre appréciation de l’accès aux soins et de son financement, l’aide à mourir ne trouvera pas sa justification en tant que droit.
Dès l’examen en commission, j’ai défendu cette idée que l’aide à mourir devait être un droit. Pas un dispositif. Mais un droit, strictement encadré et conditionné.
Pourquoi ? Parce que ce qui nous a conduits à légiférer sur l’aide à mourir, c’est la persistance de personnes malades incurables dont les souffrances ne peuvent être soulagées par aucun soin, et pour lesquelles la sédation profonde et continue n’est pas accessible. Dans ce contexte, envisager l’aide à mourir comme un droit c’est garantir dans la loi l’accès à une mesure d’exception, d’ultime recours, protectrice à la fois pour la personne qui demande et pour les soignants qui devront l’accompagner.
Ce droit ne consacre donc pas la liberté de choisir sa mort, comme je peux l’entendre dire.
Ce droit garantit à des personnes de pouvoir mettre un terme à des souffrances pour lesquelles la médecine ne peut plus rien, ou pour lesquelles la personne a fait le choix en toute conscience et volontairement de ne plus poursuivre de traitements.
Et c’est sur ce point, il me semble, que nous avons ces dernières semaines, grandement affiné ce que nous attendions de l’aide à mourir : après les débats sur l’horizon de temps du diagnostic vital engagé, après nos débats sur le stade avancé d’une maladie, à la lumière notamment du dernier avis de la Haute autorité de santé, nous avons arrêté un choix : celui de prendre davantage en considération la qualité de vie de la personne malade incurable que le temps qui lui reste à vivre, et par nature bien souvent incertain.
Ce choix de privilégier la qualité de vie de la personne malade prise au piège de souffrances réfractaires est l’élément fondateur du droit à l’aide à mourir. C’est un choix qui bouscule, et même sans doute qui brutalise notre perception de la fin de vie et notre souhait à tous, au fond, que la médecine pourrait tout jusqu’au bout et que la volonté de vivre l’emporterait toujours en toute situation.
Et je considère donc comme tout à fait inopportun de réduire la création de ce droit à d’un côté ceux qui seraient pour et progressistes, et de l’autre ceux qui seraient contre et conservateurs. Quand l’ordre établi est bousculé, l’instinct commande de le préserver. Quand nous, législateurs, nous bousculons l’ordre des choses, notre responsabilité commande que nous agissions avec prudence, en entendant les voix qui nous interpellent sur le déséquilibre que notre geste induit nécessairement.
C’est pourquoi, en l’occurrence, aujourd’hui encore, au moment d’exprimer mon vote, je demeure attentif à ce que certains collègues dans mon groupe, ou dans d’autres, signifient en termes de réticences et même de refus de créer un droit à l’aide à mourir.
Et, en tout état de cause, pour reprendre une expression qui nous a longuement préoccupés au cours de nos débats, je pense sincèrement que pour que chacun d’entre nous puisse aujourd’hui apprécier la création de ce droit de manière « libre et éclairée », il faut impérativement ne pas jouer avec les ressorts du sensationnel, de la culpabilité et du clivage sans nuance.
Ce texte est un texte de cheminement, dont la finalité et les modalités s’éclairent en avançant. J’ai dit précédemment où, de mon point de vue, se situait l’avancée majeure de nos derniers débats. Il y en a eu bien d’autres entre la commission et la séance, qui ont notamment permis de mieux encadrer les délais de réflexion de la personne malade et ceux de la réévaluation de sa demande ; nous avons abouti à une évaluation collégiale de la demande d’aide à mourir ; nous avons décidé de ne pas confondre « aide à mourir » et « mort naturelle », nous avons fait le choix de ne pas cacher, et ce faisant d’affirmer dans la transparence, le caractère exceptionnel de cette modalité de mourir.
Pour ma part, je regrette qu’ait été rétablie l’exception d’euthanasie conditionnée à l’incapacité physique de la personne à s’auto-administrer la substance létale, car il me semble que le droit à l’aide à mourir doit être garanti, sans distinction, à ceux qui n’ont pas la force psychologique d’accomplir eux-mêmes cet acte.
Je regrette, par ailleurs, que la question d’un délit d’incitation n’ait pas pu être autrement examiné, avec moins de véhémence, avec plus de sérieux.
Mais, au final, j’ai le sentiment, à ce stade, que nous avons réussi à définir le point d’ancrage du droit à l’aide à mourir et les restrictions qui doivent le soutenir pour qu’il soit une réponse exceptionnelle à une demande exceptionnelle.
A cet instant, je voudrais rendre hommage aux personnels soignants en soins palliatifs qui, pour un certain nombre, sont opposés à l’aide à mourir. Véritables chevilles ouvrières de l’aide à vivre, et à vivre dans la dignité, ils et elles craignent que ce nouveau droit devienne la marque d’une société élitiste et validiste venant obstruer leur quotidien professionnel. Je considère qu’ils et elles doivent poursuivre leur combat de véritables lanceurs d’alerte contre une société qui aurait la tentation d’écarter les plus faibles et les plus fragiles. Même si je considère que le texte du droit à l’aide à mourir nous écarte de ces écueils, continuer à entendre et respecter les oppositions est le plus sur moyen d’en rester loin.
Et puis, les débats ne sont pas finis. Les deux propositions de loi vont être l’objet d’un examen par les sénateurs sur la base de nos travaux. Les textes nous reviendront, peut-être même en nouvelle lecture. Cette période, par chance pour ce que j’ai pu indiquer au début de mon intervention, sera celle des lois de finances.
Nous aurons alors, à nouveau, la possibilité de reprendre nos débats, d’affirmer une volonté politique qui, je l’espère, sera à hauteur de l’ambition de ces deux propositions de loi : la création d’un droit opposable aux soins palliatifs et la création d’un droit à l’aide à mourir.
Pour ma part, je voterai aujourd’hui pour chacun de ces deux textes, convaincu que la direction empruntée est la bonne, convaincu aussi qu’il faut ce vote aujourd’hui pour que se poursuive une construction éclairée de ces deux nouveaux droits.