Dans votre propos liminaire, monsieur le garde des sceaux, vous avez insisté sur l’impérieuse nécessité, dans une démocratie, dans une République, de veiller comme à la prunelle de nos yeux à la séparation des pouvoirs, y compris à l’indépendance de la justice, consubstantielle à ce pilier de la République. Je veux vous interroger sur un sujet précis qui a trait à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Chacun le sait, la loi du 25 juillet 2013 a supprimé la possibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions dans les affaires individuelles – c’est une bonne chose, c’est une avancée. Néanmoins, vous l’avez indiqué, elle n’a pas mis fin à la remontée d’informations relatives à ces mêmes dossiers individuels, qu’elle a au contraire encadrée. Tel est d’ailleurs l’objectif de la circulaire du 31 janvier 2014.
L’enjeu est de retisser les liens entre nos concitoyens et la justice. Il est préoccupant d’observer que les fondamentaux, les piliers de la République, sont mis en cause. Dans ce contexte, la situation que j’ai décrite n’est plus tenable. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le dire. Lorsque l’on a demandé au procureur général François Molins si la réforme du statut du parquet changerait la donne, il a répondu : « C’est évident. Il faut que l’avis du Conseil supérieur de la magistrature lie le Gouvernement. » Par ailleurs, vous êtes conscient du risque qu’un parti moins démocratique – disons-le ainsi – n’arrive un jour au pouvoir et ne choisisse lui-même ses procureurs.
Tel est l’enjeu de la question précise que je vous pose.
La proposition no 22 de notre collègue Ugo Bernalicis est ainsi formulée : « mettre fin aux remontées d’informations judiciaires dans les dossiers individuels à destination de l’exécutif, sauf celles qui appellent une intervention directe de l’exécutif – comme les catastrophes ou les attaques terroristes massives ». Accepteriez-vous de l’appliquer ? (M. Ugo Bernalicis applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je pense avoir complètement répondu à votre question dans mon propos liminaire, monsieur Jumel, mais je vais clarifier un peu les choses.
J’entends parler de la remontée d’informations depuis que je suis à la chancellerie. En quoi consiste-t-elle ? En réalité, il s’agit de messages électroniques qui me sont transmis par la DACG – dont le directeur est ici présent – et visent à m’informer de ce qui se passe dans notre pays : une interpellation, une mise en examen, une décision de non-lieu. Rien de plus, rien de moins.
Dès lors que je dispose de ces informations, qui sont importantes, je ne peux donner, vous l’avez rappelé, aucun ordre à quelque procureur que ce soit. Et si me venait – à Dieu ne plaise – l’idée folle et anticonstitutionnelle d’appeler un procureur, je vous garantis que cela ne tiendrait pas trois minutes ! En effet, dans la seconde – je sais comment les choses fonctionnent, et je le savais avant de venir à la chancellerie –, le parquet informerait sa hiérarchie qu’on a tenté de faire pression sur lui. Dans de tels cas, il se protège, et il a raison. Cessons de nourrir ces fantasmes !
Par ailleurs, on n’en parle jamais, mais il arrive qu’un article de presse arrive sur mon bureau avant même les informations que l’on me fait remonter.
En effet, il y a des journalistes bien informés, dont certains publient même des éléments qui devraient être couverts par le secret de l’instruction et de l’enquête. Je découvre parfois dans la presse des informations que la DACG me m’a pas encore fait parvenir – et je me dis que la remontée d’informations fonctionne bien ! La DACG me répond alors qu’elle ne dispose pas non plus de ces informations, car il faut du temps pour qu’elles remontent.
À propos de ces fantasmes – je n’entends que cela depuis mon arrivée au ministère –, je tiens également à vous préciser que le mieux informé de tous les ministres est non pas le garde des sceaux, mais le ministre de l’intérieur.
Il est informé de tout, et pour cause, puisque les enquêtes de police et de gendarmerie, notamment, sont en amont des procédures. Cela ne me pose d’ailleurs aucun problème. Ensuite, c’est une question de déontologie : que faites-vous des informations qui vous remontent ? Il ne faut pas préjuger le pire, même de la part du ministre de la justice. (M. Didier Paris sourit.)