Au cours de l’histoire, l’indépendance des juges a été au cœur d’une relation tumultueuse entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. De fait, l’équilibre entre les pouvoirs et leur séparation, chers à Montesquieu, sont une construction politique exigeante, qui mérite d’être protégée par les institutions.
La nécessité de l’indépendance judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif est toujours plus prégnante. Or, depuis 2013, nous avons le sentiment que se joue une partie de cache-cache avec la réforme constitutionnelle visant à mieux la garantir.
La crise institutionnelle, inscrite dans la crise politique actuelle, est marquée par une défiance que l’on aurait tort de vouloir juguler en instaurant un pouvoir autoritaire, qui ne serait soumis à aucun contrôle. Nous avons besoin d’une démocratie vivante, pour bien vivre ensemble et affronter les défis de notre temps. Il faut donc établir de manière éclatante l’indépendance du pouvoir judiciaire, facteur essentiel de la confiance dans la démocratie, la République et l’action publique.
La défiance n’atteint-elle pas désormais l’institution judiciaire elle-même ? Loin de nous l’idée de mettre en cause l’éthique d’indépendance des juges, puisque, comme le souligne la magistrate Katia Dubreuil, il y a une large part de fantasmes dans les accusations portées contre la justice. En revanche, selon elle, il est certain que l’excessive faiblesse des garanties institutionnelles conduit certains de nos concitoyens à douter de son indépendance.
Si l’indépendance de l’autorité judiciaire est consacrée par l’article 64 de la Constitution, elle l’est de manière assez curieuse, puisqu’elle a pour garant le Président de la République, chef de l’exécutif, ce qui a fait dire au professeur Guy Carcassonne : « Autant proclamer que le loup est garant de la sécurité de la bergerie ! »
Par ailleurs, nous avons pointé la nécessité de revoir l’organisation du CSM, sa place, et les règles applicables en matière de nomination, afin de juguler les mécanismes de sujétion et d’affrontement entre les pouvoirs, et de permettre leur équilibre et leur séparation.
Nous saluons la création, à la demande de nos collègues du groupe La France insoumise, et les travaux sérieux de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Nous partageons le constat et les propositions formulées par son rapporteur. Il ne vous aura pas échappé, au regard des amendements que nous avions déposés sur le projet de loi constitutionnelle de 2018, avorté en raison de l’affaire Benalla, que nous partageons plus encore celles formulées par le président de la commission d’enquête, M. Bernalicis.
Quoi qu’il en soit, une réforme assurant l’indépendance du pouvoir judiciaire, conformément à l’objectif de ces différentes propositions, ne peut plus être reportée sine die, parce qu’il faut garantir à nos concitoyennes et concitoyens l’égalité devant la justice et la protection de leurs libertés individuelles.
Monsieur le garde des sceaux, au cours de la cérémonie de passation de pouvoir, le 7 juillet 2020, vous déclariez : « Je souhaite être le garde des sceaux qui portera enfin […] la réforme du parquet tant attendue. » Le parquet, soit l’ensemble des magistrats et magistrates chargées de représenter le ministère public, est en effet au cœur de critiques récurrentes.
Promettant la réunion du Parlement en Congrès, vous annonciez alors en outre : « Je veux avancer sur un projet qui me tient à cœur, l’indépendance de la justice. » Cet objectif institutionnel semble presque hors d’atteinte dans le calendrier serré qui est le nôtre d’ici à la fin du quinquennat. Nous le regrettons d’autant plus qu’avec ce rapport parlementaire et celui du Conseil supérieur de la magistrature, qui a été remis au Président de la République à sa demande et qui aborde la question du lien entre les procureurs, les procureurs généraux et le ministre de la justice, le Gouvernement avait toutes les cartes en main pour mener à bien cette réforme. Il ne serait pas trop tard, si vous décidiez d’une réforme constitutionnelle portant sur ce seul point. Mais nous craignons que la tentation gourmande d’intégrer à la réforme d’autres dispositions institutionnelles, beaucoup plus discutables, ne vous en empêche.
Le rapport formule par ailleurs des propositions qui ne nécessitent pas de réforme constitutionnelle, et les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine demandent donc au Gouvernement de permettre leur aboutissement. Alors que nombre de lois répressives, qui réduisent les libertés, sont allégrement présentées dans cet hémicycle, nous croyons à une démocratie vivante, qui fait de la réaffirmation concrète et pratique du principe de la séparation des pouvoirs une ardente nécessité – la crise de la démocratie n’affecte pas que les autres pays, disons-le.
Enfin, il faut donner à la justice les moyens d’être pleinement au rendez-vous, sans quoi l’indépendance ne serait qu’un mirage. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)