La crise sanitaire a passé notre société au révélateur et mis au jour, s’il en était besoin, les vulnérabilités et les inégalités préexistantes. Ce fut évidemment le cas dans le domaine du soin et de la perte d’autonomie. Notre système de santé a été mis à rude épreuve pour lutter contre la pandémie de covid-19. Il a dû affronter la crise en étant déjà fragilisé par des années d’austérité budgétaire, de compression des dépenses de santé et de marchandisation rampante.
La situation critique des EHPAD était connue de longue date, et la crise n’a fait qu’aggraver les difficultés quotidiennes. Le rapport d’information rédigé par Monique Iborra et Caroline Fiat en 2018 avait déjà dressé un état des lieux alarmant : manque de moyens publics – vous le savez, madame la ministre déléguée, puisque vous étiez alors présidente de la commission des affaires sociales –, personnels en sous-effectif, conditions de travail dégradées, absence de médicalisation, le tout sur fond d’offensives privées sur le secteur. Au moins 21 % des places en EHPAD relèvent désormais du secteur privé, ce qui implique la présence d’actionnaires qui exigent des niveaux de rentabilité indécents, fragilisant la prise en charge et le suivi des résidents et affectant la nécessaire mutualisation.
Selon une étude des Échos, le taux de marge net moyen s’élevait à 7,8 % en 2017, affichant déjà une hausse de 0,9 point par rapport à l’exercice précédent. On se rappelle d’ailleurs qu’en plein milieu de la crise, les géants du secteur ont d’abord envisagé de verser plusieurs dizaines de millions d’euros de dividendes à leurs actionnaires avant de se résoudre à y renoncer, prenant conscience que l’indécence d’un tel geste pouvait mettre en péril leur avenir.
Comme nous tous, je pense à nos aînés. Lors de la première vague, 29 933 personnes sont décédées des suites du covid-19 et, sur ce total, 14 081 d’entre elles, soit près de la moitié, étaient des résidents et résidentes d’établissements d’hébergement pour personnes âgées. La deuxième vague n’a pas fondamentalement dérogé à cette situation.
Ce drame sanitaire s’est doublé d’une détresse sociale et psychologique au sein des établissements, en raison de la dégradation des conditions de vie des personnes âgées. Les mesures de confinement ont renforcé leur sentiment d’isolement et limité leurs contacts sociaux. Les efforts de soutien à l’autonomie ont été affectés, et l’interdiction des visites des familles, si importantes pour ces personnes, a constitué une épreuve supplémentaire, ce dont les députés de la commission des affaires sociales se sont alarmés très tôt.
Le présent débat nous donne l’occasion de comprendre la situation pour mieux faire face à la crise actuelle et préparer l’avenir. Les travaux issus de la commission d’enquête sur l’impact du covid-19, rendus en décembre 2020, nous fournissent un éclairage saisissant sur l’impact de la crise sanitaire dans les EHPAD. On y apprend que les établissements n’ont pas été équipés en masques avant la fin mars, que les tests y ont été déployés au compte-gouttes, que la prise en charge des personnes contaminées a été tardive en raison d’une absence de médicalisation de ces structures et par manque de matériel, qu’il manquait des lits de réanimation pour les patients âgés, et que le plan bleu, c’est-à-dire l’outil de gestion de crise, n’a été engagé que dix jours avant la date de début du premier confinement.
Les mesures de restriction et d’isolement ont soulevé des questions éthiques importantes en raison de leur impact social sur les résidents, et nous savons à quel point la relation fait partie du soin et de l’accompagnement nécessaire à la vie quotidienne. Tous ces constats doivent nous interpeller, ils traduisent la situation d’autant plus délicate dans laquelle ont été placés les personnels et les gestionnaires de ces structures, que je veux saluer pour leur travail si précieux. Ils exigent des actions publiques urgentes afin que chaque poussée épidémique ne se traduise plus par une tragédie sanitaire et une souffrance sociale dans les EHPAD et afin de promouvoir d’autres façons de vivre les situations de ce type.
Des moyens sont nécessaires pour embaucher massivement du personnel et atteindre ainsi un taux d’encadrement décent, acheter le matériel nécessaire et améliorer les conditions de travail. Il est temps de reconnaître l’utilité sociale des métiers du soin et de l’aide à domicile en révisant les grilles salariales bloquées depuis des années autour du SMIC, ce qui constitue une condition essentielle à l’attractivité de ces métiers. Il est nécessaire d’avancer sur la question de la médicalisation des EHPAD en renforçant la présence de médecins coordonnateurs. En un mot, il faut sortir des logiques structurelles qui mettent l’ensemble des personnels en difficulté au quotidien, et donc financer un grand plan de formation et de recrutement.
Au-delà, on ne peut plus s’exonérer de changements profonds face à un modèle de prise en charge de la perte d’autonomie à bout de souffle. Des réflexions doivent être menées pour faire évoluer le modèle des EHPAD avec comme priorité le « prendre soin ». Nous avons besoin d’une nouvelle ambition face au défi du vieillissement, pour lequel la création d’une branche à part n’apporte pas de garanties, en tout cas pour l’instant. Nous devons assurer une meilleure protection sociale et développer un puissant service public de l’autonomie, ce qui suppose de mettre un coup d’arrêt à l’austérité et d’en finir avec les logiques de privatisation et de marchandisation du soin et de l’accompagnement. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et LT.)