C’est mon collègue Stéphane Peu qui aurait dû intervenir cet après-midi mais, ayant été testé positif au covid-19, il s’est placé à l’isolement comme il convient de le faire dans cette situation.
À l’occasion de cette semaine de contrôle du Gouvernement, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a décidé, une fois de plus, de placer le logement au cœur des débats.
Élément constitutif de la dignité humaine, droit à valeur constitutionnelle, préoccupation prioritaire des Français, le logement est pourtant le grand sacrifié de votre politique : pas de ministère de plein exercice ; un budget amputé, année après année ; une loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique – ELAN – qui est néfaste sur bien des aspects, j’y reviendrai ; des attaques répétées à l’encontre des bénéficiaires des allocations logement ; des coups de rabot d’une ampleur inédite dans les ressources des organismes HLM.
Pour résumer, dérégulation et technocratisation sont les maîtres mots de votre politique du logement, qui donne de bien piètres résultats.
Sur ce sujet comme sur d’autres, nous ne cessons pourtant de vous alerter sur la dangerosité de ces recettes libérales. Sur ce sujet comme sur d’autres, vous n’écoutez aucune critique et refusez de remettre en question votre logiciel.
Pourtant le résultat est sans appel : la crise du logement n’a jamais atteint un tel niveau de gravité. Dans la sixième puissance économique mondiale, près de 15 millions de Français souffrent de mauvaises conditions de logement. Avant même la crise sanitaire, 300 000 personnes étaient sans domicile fixe dans notre pays. Signalons que ce chiffre, rendu public par la Cour des comptes en octobre dernier, est deux fois plus élevé qu’en 2012. Près de 3 millions de personnes vivent des logements surpeuplés, sans confort, précaires.
Malheureusement, la crise sanitaire aggrave encore la situation : depuis le premier confinement, 6 à 7 millions de nos concitoyens éprouvent de sérieuses difficultés à payer leur loyer ou les échéances de leur prêt bancaire ; les procédures d’expulsion explosent.
Malgré cela, vous refusez de prendre des mesures exceptionnelles pour amortir le choc. Votre obstination enfonce notre pays dans une crise du logement et dans la régression sociale, mais vous avez pourtant décidé de consacrer moins de 1 % des 100 milliards d’euros du plan de relance aux plus vulnérables de notre pays.
La part consacrée au logement dans le budget des ménages n’a jamais été aussi grande. La construction de logements s’effondre dans tous les secteurs : dans le logement social comme dans l’accession à la propriété, à la ville comme à la campagne, dans le logement pavillonnaire comme collectif. Les taux de rotation dans le secteur locatif, publics et privés, sont au plus bas, créant un immense embouteillage dont nous voyons les répercussions jusque dans l’hébergement d’urgence. Ce phénomène contribue à allonger la liste des demandeurs de logements HLM, dont le nombre n’a jamais été aussi élevé – 2 millions de ménages attendent.
Malgré tout cela, vous persistez à assécher le secteur. D’après le rapport du compte du logement 2019 qui viennent d’être publiés, jamais les aides publiques au logement n’ont été aussi faibles depuis la création de cet indicateur en 1984.
Comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement, addict au « en même temps », augmente les prélèvements sur le secteur, au point que nous en arrivons à une situation grotesque où l’État prélève plus de deux euros pour chaque euro d’aide qu’il verse.
Comment s’étonner que le pays soit plongé dans une crise du logement inédite, avec son lot de détresse et de drames humains ? Combien de familles mal logées, sans logis, ou incapables de faire face aux dépenses de logement frappent à la porte de nos permanences parlementaires pour appeler à l’aide ? Stéphane Peu et moi-même, élus de banlieues populaires, nous en recevons des dizaines par semaine. Sans relâche, nous écrivons aux maires, aux bailleurs publics et privés, au préfet ou sous-préfet, à Action logement, pour plaider ici et là, avec toujours la même détermination, en faveur de ces femmes – car il y a beaucoup de femmes –, de ces hommes et de ces enfants – qui n’arrivent pas, malgré leur ténacité, à obtenir ce toit décent et durable qui leur permettrait enfin de mener une vie normale.
Compte tenu de l’histoire si singulière de notre pays en la matière, comment pouvons-nous accepter une telle situation ? Jusqu’à présent, notre politique du logement constituait pourtant un amortisseur efficace des crises. La politique du logement était efficace car fondée sur une économie mixte : une jambe publique et l’autre privée, une économie de court terme et une économie de long terme, pour se soutenir alternativement l’une l’autre, afin de marcher.
Nous avons beau répéter que cet équilibre dynamique est le bon, vous n’en avez cure. La jambe publique étant votre ennemi, vous la cassez. Vous mettez à terre notre modèle HLM pourtant envié au-delà de nos frontières.
Vous vous désengagez toujours plus des aides à la pierre. Vous vous attaquez aux aides personnalisées au logement – APL – et, toute honte bue, vous confiez les clefs au marché privé, ce qui entraîne les effets désastreux que nous observons dans le monde entier.
Faut-il vous rappeler que sans cette jambe publique, à savoir le secteur du logement social, l’appel de l’abbé Pierre en 1954 n’aurait pas obtenu une réponse nationale d’une telle ampleur ?
Madame la ministre déléguée, mesdames et messieurs les parlementaires de la majorité, ce cap est mortifère. Tous les acteurs du logement vous le disent : nous sommes devant une bombe à retardement qu’il faut vite désamorcer si vous visez, comme nous, l’objectif de loger dignement nos concitoyens.
J’ajoute que cette crise du logement accentue la ségrégation sociale. Dans le 92, le département des Hauts-de-Seine, on sait ce que sont les ghettos de riches. Vous dénoncez le séparatisme ? Il est là, c’est un séparatisme social.
Je pourrais énumérer encore longtemps les mauvais chiffres de votre politique et les drames humains qui en découlent. Vous refusez d’écouter les acteurs du logement et d’entendre leurs nombreuses et intéressantes propositions qui permettraient d’enrayer la machine et de remettre l’intérêt général au cœur de votre politique du logement.
Avec son habituelle humilité, le Président de la République nous a invités à nous réinventer. Les députés du groupe GDR, toujours prêts à le faire, vous font donc des propositions.
Commencez par rétablir un ministère du logement de plein droit, disposant de son propre budget. Le logement devrait être une grande cause nationale.
Revenez sur vos mesures aux effets récessifs, notamment en suspendant la réduction de loyer de solidarité pour les bailleurs HLM : nous avons désormais le recul nécessaire pour évaluer à quel point cette mesure affecte durement les capacités d’investissement des organismes de logements sociaux.
Mettez fin aux mécanismes de défiscalisation qui n’ont d’autre effet que de favoriser la multipropriété, et rétablissez l’APL accession pour aider à la primo-accession.
Revenez aussi sur les mesures les plus destructrices de la loi ELAN : les accrocs à la loi pour la solidarité et le renouvellement urbain – SRU –, dont nous venons de célébrer les vingt ans ; la vente forcée de HLM ; la précarisation des baux.
Sortez du champ d’application de la réforme des APL, entrée en vigueur ce 1er janvier, les bénéficiaires qui en subissent des effets négatifs, à commencer par les jeunes actifs.
Amplifiez le plan « logement d’abord » et encouragez les maires bâtisseurs. À Gennevilliers, dans ma circonscription des Hauts-de-Seine, votre politique a eu pour effet de faire passer les délais d’attente pour un logement de quatre à six ans, en moyenne.
Inspirez-vous de notre proposition de loi visant à éradiquer l’habitat insalubre. Celle-ci prévoit un plan d’éradication en dix ans, financée grâce au rétablissement d’une taxe minime sur les loyers.
Il s’agit là d’un sujet majeur et d’une urgence absolue car, à bien des égards, des vies sont en jeu. Dans la circonscription de mon collègue Stéphane Peu, à Saint-Denis, pas moins de vingt-cinq personnes sont mortes en douze ans en raison d’incendies ou d’effondrements d’immeubles, sans compter les centaines d’enfants et d’adultes qui souffrent de problèmes de santé – saturnisme, maladies respiratoires ou de peau, troubles du comportement alimentaire – liés à leurs conditions de vie.
Le droit au logement n’est ni un slogan ni une marchandise, il s’agit d’un droit fondamental et d’un bien de première nécessité. Il y a quelques années, à une époque finalement pas si lointaine, le Président de la République, alors candidat, parlait de révolution. Franchement, nous ne vous en demandons pas tant !
Cependant, alors que notre pays compte 300 000 personnes sans domicile et qu’il traverse une crise dont nous mesurons encore mal l’onde de choc – certains parlent d’une bombe à retardement –, nous vous demandons d’au moins réinterroger votre politique du logement et même, à bien des égards, de la réinventer. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)