Nous sommes réunis ce soir à l’invitation de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés pour débattre de la gestion des masques depuis 2017. L’objectivité impose d’embrasser une période plus longue et de remonter à l’épidémie de H1N1, qui a constitué un point de bascule, la ministre de la santé de l’époque ayant été raillée et accusée de gabegie pour l’achat de millions de vaccins et de masques.
Alors que notre pays vient de traverser l’une des crises les plus graves de son histoire et que près de 30 000 concitoyens ont perdu la vie ces derniers mois, nous devons, par égard pour leurs proches et par respect pour l’ensemble des Français, nous efforcer de tenir un discours de vérité. Face au terrible bilan de la pandémie, l’heure n’est pas aux polémiques politiciennes consistant, pour les partis ayant exercé le pouvoir, à se « refiler la patate chaude » et, en définitive, à « épaissir le mensonge universel », pour reprendre les mots d’Albert Camus.
Face à cette crise sans précédent dans l’histoire récente de notre pays, soyons à la hauteur de l’engagement sans faille de l’ensemble des personnels soignants, des caissiers et des caissières, des éboueurs et des éboueuses, des conducteurs et des conductrices de bus, et de tous les autres, qui ont travaillé, et continuent de le faire, en première ligne, envers et contre tout, bien souvent au péril de leur vie. Comme l’ensemble de nos concitoyens, ils exigent désormais des explications.
Tous veulent comprendre pourquoi la sixième puissance économique mondiale n’a pas été en mesure de fournir suffisamment de masques et de matériels de protection pour les protéger. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Français étaient en droit d’attendre une commission d’enquête totalement impartiale, se donnant pour tâche d’identifier les nombreux dysfonctionnements que nous avons tous constatés dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19. Or, comme l’ont révélé les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans une enquête publiée par Le Monde le mois dernier, le Gouvernement actuel ne porte pas seul la responsabilité de la situation dans laquelle s’est trouvé notre pays ces derniers mois.
Les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande portent, eux aussi, une lourde part de responsabilité, qu’il serait utile, mais aussi louable, de reconnaître et d’assumer. En effet, limiter nos débats sur la gestion des masques aux trois dernières années ne résiste pas à l’épreuve des chiffres et des faits. En mai 2009, notre pays disposait d’une réserve évaluée à 2,2 milliards de masques ; à cette époque, la France était encore considérée, par l’Organisation mondiale de la santé, comme l’un des pays du monde les mieux préparés à affronter une éventuelle pandémie. Pourtant, année après année, la réserve de masques a inexorablement fondu, sous les assauts d’une gestion managériale soucieuse d’économies ; il n’y avait ainsi plus que 1,4 milliard de masques en 2011, 714 millions en 2017 et seulement 117 millions au début de l’année 2020.
La circulaire du 2 décembre 2011, signée par Xavier Bertrand, ministre de la santé de Nicolas Sarkozy, n’est pas un produit administratif, mais bien celui d’un choix politique, tout comme l’est celle du 11 juin 2013, signée par Marisol Touraine, ministre de la santé de François Hollande : elles font partie de ces décisions qui ont consacré l’austérité budgétaire au détriment de la protection de nos concitoyens, en entérinant le désengagement progressif de l’État dans la gestion des masques.
De la même manière, la dissolution de l’EPRUS en mai 2016 fait partie de ces décisions catastrophiques, qui ont conduit notre pays à reléguer au second plan le principe de précaution qui prévalait jusque-là, le précipitant dans la pénurie lorsque le besoin est apparu. Ce sont bien les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2009, voire avant cette date, qui ont œuvré à créer la pénurie dont nous avons souffert durant la pandémie de covid-19.
Pour relever les défis qui nous attendent, mais aussi pour gagner la confiance, chacun doit commencer par assumer sa part de responsabilité dans la tragédie que nous venons de vivre : tous les gouvernements en place depuis une vingtaine d’années ont cru bon de limiter les dépenses de santé et de faire leur le principe du flux tendu pour réaliser des économies ; tous ont versé dans la dénonciation permanente de la supposée gabegie des hôpitaux et ont œuvré à réduire leurs capacités budgétaires. Il nous faut impérativement sortir, dans la plus grande transparence, de la fuite en avant et de l’enfermement dans une logique comptable mortifère, dangereuse et inhumaine. Une remise à plat complète – je dis bien complète – de notre doctrine préventive s’impose.
Je vais finir par une phrase qui en surprendra peut-être quelques-uns, mais qui est parfaitement adaptée à la situation : monsieur le ministre, si vous ne renversez pas la logique actuelle, votre politique aura, pour reprendre l’expression de Coluche, « autant d’effet que des piqûres dans des prothèses de fesses ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)