Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Encadrer le recours à l’externalisation des services publics

La présente proposition de résolution est l’occasion de débattre d’un sujet trop méconnu et pourtant central dans la vie administrative et politique française : l’externalisation des services publics. Le dogme libéral s’exprime là dans toute sa puissance ; il s’agit d’assécher l’État, ses compétences et ses finances pour immiscer le privé dans ses moindres recoins. Depuis les années 1980, l’histoire de France n’est qu’une intensification de ce système.

De la privatisation des grandes industries nationalisées après-guerre jusqu’à l’externalisation par le Président Macron de tâches intellectuelles à des cabinets de conseils stratégiques, l’histoire est longue de la libéralisation et de l’appauvrissement de l’État et de ses compétences – elle n’a pas commencé avec ce quinquennat. La majorité est l’héritière du néolibéralisme qui consiste à la fois à privatiser les gains et à nationaliser les pertes. Ce mouvement théorique représente en fin de compte une insulte aux contribuables, qui sont la vache à lait des entreprises privées.

Cette résolution pose donc le diagnostic de la victoire du dogme néolibéral, et tend à en interroger les fondements. Je parle volontairement de « dogme », parce que vous le servez sans jamais le remettre en cause.

En effet, avec la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF, de Jacques Chirac ; la révision générale des politiques publiques (RGPP) de Nicolas Sarkozy ; la modernisation de l’action publique de François Hollande et le comité Action publique 2022 d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, chaque président de la République a scrupuleusement suivi le chemin néolibéral de la transformation des services publics.

La privatisation d’infrastructures a constitué le premier artifice. Le scandale de la privatisation des autoroutes, qui engraisse depuis quinze ans les actionnaires des multinationales de plusieurs milliards, en est l’exemple le plus criant.

Cette pratique a permis aux sociétés d’autoroute d’engranger des profits colossaux, au détriment des usagers et de l’emploi, tout en augmentant les prix des péages sans contrepartie.

Les partenariats public-privé – les fameux PPP – ultérieurs sont eux aussi un véritable gouffre financier pour le secteur public, et une poule aux œufs d’or pour les exploitants privés. Les contrats sont trop importants pour que de petites entreprises locales y répondent ; les malfaçons abondent ; les coûts d’exploitation sont extrêmement élevés et les coûts de construction totalement invraisemblables, sans parler du coût du remboursement des emprunts pour les petites communes.

Ainsi, dans le PPP destiné à la construction du ministère des armées à Balard, dans Paris, les pouvoirs publics ont découvert que les imprimantes étaient facturées près de 10 000 euros par unité.

Les PPP démontrent à eux seuls la rapacité des multinationales, qui volent l’argent dans les poches des contribuables pour le mettre dans les poches de leurs actionnaires.

Avec la privatisation et les PPP, ce sont naturellement les fonctionnaires qui sont supprimés en très grand nombre, ce qui affaiblit considérablement les savoir-faire de l’État. La fonction publique d’État a perdu près de 200 000 agents depuis 2005 : pendant cette période, 35 emplois ont été supprimés chaque jour dans la fonction publique, sans compter le transfert de 220 000 agents vers des établissements publics sous contrat privé.

Il faut y ajouter la diminution des dotations de l’État aux collectivités territoriales, obligées de diminuer drastiquement leurs budgets de fonctionnement et de sous-traiter certaines de leurs actions. Évidemment, la suppression et le transfert d’autant de fonctionnaires, cela finit par se voir !

Et cela s’est vu – dans la justice ; dans l’enseignement supérieur ; dans l’éducation nationale, à tel point que l’on n’arrive plus à trouver de professeurs pour répondre aux besoins des enfants ; dans les services publics du sport ; chez les policiers ; chez les douaniers ; chez les contrôleurs du travail ; chez les contrôleurs fiscaux ; et, bien sûr, dans tout le service public hospitalier, la crise n’ayant pas empêché de lever le voile sur la situation des hôpitaux. Et que dire de la diplomatie française, qui a perdu la moitié de ses effectifs en vingt ans !

Non seulement de telles suppressions de postes obligent les ministères et les collectivités à faire appel au privé, notamment pour les services informatiques, de nettoyage de locaux ou de jardinage, mais elles mènent, de plus en plus, à dépasser ce type de sous-traitance. Alors même qu’elle est au cœur du pouvoir régalien de l’État, l’armée est de plus en plus aidée par des sociétés de sécurité privées. De la même manière, la sous-traitance massive que pratiquent les ambassades de France dans le monde entier affaiblit la sûreté de nos représentations à l’étranger.

Si le statut de fonctionnaire offre des emplois stables et correctement rémunérés, les entreprises titulaires des contrats usent et abusent de contrats courts, précaires et mal payés – tel a par exemple été le cas des femmes de ménage de l’Assemblée nationale. Où est la plus-value sociale ? Où est le progrès lorsque l’on remplace un fonctionnaire par un intérimaire ? La privatisation et l’externalisation des services publics suivent un mouvement clair depuis les années 1980, qui consiste à privatiser des services de plus en plus proches du cœur de l’État et des pouvoirs régaliens.

Mais la nouveauté du quinquennat Macron, c’est l’infiltration d’un cabinet de conseil en stratégie, qui, pour plusieurs millions d’euros, a conseillé directement l’Élysée sur la crise sanitaire de la covid-19. Jusqu’alors, les cabinets de conseils ne travaillaient pas officiellement pour l’Élysée.

Voilà que les masques sont tombés sous Emmanuel Macron. Telle est la véritable nouveauté.

Au reste, l’apparition d’une entreprise américaine au cœur de l’exécutif pose une série de problèmes. Qu’en est-il de la confidentialité, de la protection et de la sécurité de l’État ? Pourquoi la haute fonction publique ne serait-elle pas en mesure de faire ce genre d’études ? Comment en est-on arrivé à un tel appauvrissement ? Au vu du bazar sans nom de la stratégie vaccinale, a-t-on prévu le remboursement de cette prestation ?

Car sur la stratégie sanitaire, il a été démontré au grand jour qu’en raison de l’appauvrissement délibéré de la réflexion politique, la gestion des stocks de masques, la stratégie vaccinale, l’élaboration de l’application numérique anti-covid ont été autant d’échecs retentissants. Et que dire de l’état de l’hôpital public ! La crise n’a été surmontée que grâce aux efforts titanesques de soignants qui avaient l’intérêt général chevillé au corps : tels sont, aussi, les fonctionnaires. En décembre dernier, le magazine « Cash Investigation » a d’ailleurs mis en évidence que la baisse effective des dépenses des hôpitaux s’était faite au détriment de la qualité des prestations, par l’augmentation des cadences ou suite à la détérioration du matériel utilisé.

Comment expliquer que le service de prise de rendez-vous pour la vaccination contre la covid-19 ait été confié à une plateforme privée ? Comment expliquer que l’ensemble des graphiques et des données présentées par le ministère de la santé proviennent d’un site internet qu’un ingénieur a créé pendant son temps libre après avoir constaté l’absence d’outil adéquat ? Le collectif Nos services publics chiffre l’ampleur des transferts à un minimum de 160 milliards d’euros, soit près de la moitié du budget de l’État.

Tel est également l’enseignement qu’il faut tirer de cette obsession dogmatique : l’État a mis en place, depuis vingt ans, un carcan visant à obliger tout le monde à utiliser de tels modes d’action.

Les règles juridiques, comptables et budgétaires ont limité progressivement la possibilité d’embaucher des fonctionnaires, tout en ouvrant au maximum le recours à la sous-traitance. La coupable est évidemment la LOLF, puisqu’elle interdit légalement l’augmentation des dépenses de personnel. Ainsi, lorsque l’on a besoin d’embaucher, il est interdit de recruter des fonctionnaires mais il est autorisé de faire appel à un prestataire extérieur, car les crédits budgétaires permettant de le payer ne sont pas interdits, eux.

Un membre du collectif Nos services publics a indiqué avoir remarqué au cours d’un contrôle qu’une agence de l’État était dotée de 120 fonctionnaires pour un budget en ressources humaines de 15 millions d’euros. Cependant, étant en sous-effectif et ne pouvant recruter en raison du plafonnement des dépenses de personnel prévu par la LOLF, elle faisait appel à 60 prestataires en continu, pour un budget de 15 millions d’euros : les prestataires coûtaient donc deux fois plus cher ! Ainsi, en raison de la LOLF, l’agence était obligée de payer deux fois plus cher un prestataire privé plutôt que de recruter des fonctionnaires.

Ne pas se pencher sur les abus en arguant de la « rationalité des dépenses » relève soit du dogmatisme, soit de la bêtise – je retiendrai le dogmatisme.

Pire, aucune leçon n’est retenue de ces nombreux scandales. À preuve, le rapport final du comité Action publique 2022 propose d’approfondir encore plus l’externalisation en s’attaquant au service public de l’emploi, aux armées et aux contrôles dans les domaines de la santé, de la protection du consommateur et de la répression des fraudes. Il préconise même le transfert de 150 kilomètres de routes dans les concessions autoroutières existantes, comme si cela était économiquement et financièrement efficace pour l’État !

Par cette proposition de résolution, madame la secrétaire d’État, nous vous invitons à évaluer enfin les coûts de cette politique, en examinant les incidences budgétaires de l’externalisation et ses éventuelles conséquences sur la qualité des compétences et services publics. Sortez du dogmatisme, posez-vous les bonnes questions et donnez-nous les bonnes informations !

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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