DISCUSSION GENERALE
Je fais partie des députés qui, à l’instar de nombreux Français et professionnels du secteur de la dépendance, déplorent qu’Emmanuel Macron n’ait jamais tenu sa promesse – formulée il y a six ans – de soumettre au Parlement un projet de loi sur le grand âge. Même si vous venez d’être nommé, monsieur le ministre, vous devez assumer cette absence d’héritage.
Les besoins sont pourtant immenses, dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des maladies chroniques. D’ici à 2050, la population âgée dépendante devrait augmenter de 46 % en France. Le secteur médico-social se trouve dans une situation particulièrement critique : 85 % des Ehpad publics sont déficitaires, le déficit cumulé des exercices 2022 et 2023 atteignant 1,3 milliard d’euros. On estime les besoins de recrutement à 200 000 postes dans les Ehpad et à 100 000 postes dans le secteur de l’aide à domicile.
En conséquence, les conditions de travail dans le secteur médico-social sont fortement dégradées. En octobre 2022, la Cour des comptes a montré que la sinistralité y était trois fois supérieure à la moyenne constatée pour l’ensemble des secteurs d’activité. En 2019, 3,5 millions de personnes travaillant dans ce secteur ont souffert d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, soit une augmentation de 41 % par rapport à 2016. Le chiffre de 2019 équivaut à 17 000 équivalents temps plein (ETP) par an.
Outre ces très mauvaises conditions de travail, le manque de reconnaissance et la rémunération trop faible expliquent la pénurie de personnels dans le secteur médico-social. Les personnels continuent à insister aussi, au cœur de leurs revendications, sur l’urgence de retrouver le sens de leur métier. Il faut leur permettre de l’exercer décemment, c’est-à-dire de véritablement prendre soin des patients.
Dans ce contexte d’appauvrissement du secteur, la prise en charge de la dépendance se déporte inexorablement sur les proches. Selon une étude récente de la Drees, 3,9 millions de personnes aident un proche de 60 ans ou plus à son domicile. Parmi elles, un aidant sur deux déclare que l’aide qu’il apporte a un effet sur sa propre santé.
En somme, l’absence de politique publique d’envergure pour la prise en charge de la dépendance, couplée à des moyens insuffisants, a créé un état d’insécurité pour l’ensemble du secteur et des familles.
Face à cette urgence et à la bombe à retardement que constitue le vieillissement de la population, le gouvernement et ses alliés de l’époque se sont contentés, en avril 2024, d’une proposition de loi sur le « bien vieillir », sans étude d’impact, sans budget et sans envergure, rebaptisée à juste titre par le Sénat « proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie ». Quelques « diverses mesures », aussi utiles soient-elles, ne sauraient être à la hauteur de l’enjeu.
Le 24 septembre dernier, dix-huit fédérations et organisations du grand âge se sont de nouveau mobilisées pour réclamer des moyens d’urgence et exiger « une loi systémique, garantissant des financements suffisants » pour l’accompagnement des personnes âgées. Elles demandent en priorité au nouveau gouvernement, donc à vous, de « débloquer un fonds d’urgence de 1,4 milliard d’euros afin d’assurer la survie des établissements et services en grande difficulté » et de « lancer enfin une réforme structurelle forte via la loi de programmation ». Prévue par la loi « bien vieillir », celle-ci est demeurée lettre morte.
La CNSA, qui assure une partie très large des financements, a elle aussi alerté le gouvernement, il y a tout juste un mois. Son conseil national a émis un avis largement défavorable sur le PLFSS pour 2025 – par vingt-neuf voix contre et seulement deux voix pour. Cet avis traduit une inquiétude réelle et forte, à la suite des mesures d’économie décidées par le gouvernement pour les branches maladie et vieillesse. Le relèvement du ticket modérateur entraînera une nouvelle hausse des cotisations aux complémentaires santé, déjà très élevées, et aggravera le renoncement aux soins. Le décalage de six mois de la revalorisation des retraites réduira le niveau de vie des pensionnés et, par conséquent, leur capacité à financer les besoins de maintien dans l’autonomie et le reste à charge pour l’hébergement en établissement ou pour l’accès aux services.
Lors de l’examen du PLFSS, je le répète, nous n’avons pas eu de débat sur la dépendance. Il était nécessaire, ne serait-ce que pour discuter strictement des moyens ; il aurait néanmoins été insuffisant au regard de l’urgence sociale et médico-sociale dans notre pays.
Pour le groupe GDR, qui rassemble les députés communistes et des élus des territoires dits d’outre-mer, le gouvernement ne peut plus reculer : il faut soumettre au Parlement un projet de loi qui dessine une politique publique ambitieuse de prévention et de prise en charge de la dépendance ; il faut, dans la foulée, instaurer une loi de programmation en la matière.
Fondée sur une politique publique claire, une telle loi de programmation répondrait aux besoins et aux spécificités territoriales. À cet égard, elle romprait avec la logique délétère des lois de financement de la sécurité sociale, dans lesquelles les besoins sociaux et sanitaires sont envisagés comme des charges qu’il s’agit de rendre soutenables, sans plus de vision d’ensemble ni, dans la durée, de perspective en matière de santé publique. Cette logique laisse dangereusement la place à la financiarisation des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, dont on peut mesurer les effets malheureux et indigents. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)