Il est difficile d’avoir en quelques minutes un débat de fond sur les suites de la crise agricole, même si je comprends que le choix de ce thème a sans doute quelque chose à voir avec les élections professionnelles en cours.
Je commencerai par dire que, contrairement à ce que laisse penser l’intitulé de ce débat, nous ne nous situons pas « un an après la crise agricole ». Malheureusement, les difficultés qu’affrontent les agriculteurs, les paysans, viennent de loin. Et non seulement elles ne sont pas levées, mais elles risquent de s’approfondir.
D’abord parce qu’elles résultent de grands choix politiques passés qui ont considérablement affaibli notre agriculture : ouverture et dérégulation des marchés, spécialisation et concentration des productions, captation croissante de la valeur ajoutée par les géants de l’agrofourniture, du négoce, de l’agroalimentaire ou de la distribution.
L’alignement progressif de la politique agricole commune comme des politiques agricoles nationales sur ces grandes orientations libérales tient une lourde responsabilité dans l’effondrement du nombre d’exploitations au cours des quarante dernières années et dans le fait qu’une majorité d’agriculteurs n’arrivent pas à vivre du fruit de leur travail. Faut-il rappeler que notre pays comptait 1,2 million d’exploitations en 1980 alors qu’il n’en existait plus que 380 000 en 2020 ? Dans l’Allier, grande terre d’élevage, depuis une décennie, une centaine d’exploitations disparaissent chaque année. Le néolibéralisme est de très loin le plus féroce prédateur d’agriculteurs. Il l’est d’autant plus que cette dérive de la PAC s’est doublée d’une folle politique commerciale de l’Union européenne, avec des accords de libre-échange, comme celui envisagé avec le Mercosur, où l’agriculture est plus que jamais considérée comme une simple monnaie d’échange.
Toute analyse sincère des causes de la crise agricole, toute ambition sincère de reconquérir notre souveraineté alimentaire devrait partir de ce constat et des réorientations politiques profondes qu’il rend indispensables. Pour les députés communistes, on ne peut lutter contre les grands maux qui touchent les paysans sans se défaire d’abord de ce libéralisme forcené. Il est impossible de construire une politique agricole efficace – une politique qui soit au service de la rémunération du travail agricole, de l’installation puis du maintien des exploitations et d’une agriculture durable – sans se doter à nouveau des outils qui ont fait leurs preuves par le passé : organisation des marchés et de la production, encadrement des prix et intervention directe sur la chaîne de valeur, notamment pour lutter contre les logiques de rentabilité de l’agrofourniture, du secteur bancaire, des industriels et de la grande distribution.
L’autre exigence fondamentale tient évidemment dans la refondation d’une politique agricole et alimentaire vraiment commune. Notre collègue André Chassaigne a présenté il y a quelques jours devant la commission des affaires européennes de notre assemblée une communication sur l’état des lieux des plans stratégiques nationaux (PSN) en matière agricole. S’il y a beaucoup à dire sur les choix retenus dans le PSN français, son rapport pointe surtout les conséquences du renforcement de la subsidiarité de la PAC, qui se fait au détriment des exigences véritablement communautaires. Petit à petit, la politique européenne n’a plus de commune que le nom. Sa fragmentation sert habilement à légitimer son affaiblissement ainsi que la disparition de ses outils d’intervention, et à abaisser les protections dont pourraient bénéficier nos agriculteurs face à leurs concurrents internationaux. Ces choix facilitent le travail de sape que mène la Commission en faveur de la conclusion des accords de libre-échange. Nous considérons que la refondation de la PAC, avec pour priorité la maîtrise de la souveraineté alimentaire européenne, est une urgence absolue. C’est surtout le seul moyen de renverser la domination de la politique commerciale de l’Union européenne.
Je terminerai cette brève intervention en évoquant le défi que pose le changement climatique aux agricultures française et européenne. Je suis convaincu que nous n’aurons pas une agriculture durable sans transformer les systèmes agricoles. Nous ne pourrons pas nous adapter à la vitesse des changements dans les conditions de production sans une ferme volonté d’accélérer la transition agroécologique et sans un accroissement significatif du nombre de paysans et d’exploitations. Pour relever ce défi, il faut se fixer des buts clairs et ambitieux.
Planification, programmation, création d’outils publics de prévention et de gestion des risques, déspécialisation, fixation d’objectifs d’installations : voilà des orientations politiques toujours insuffisamment prises en compte, y compris dans le dernier projet de loi dit d’orientation agricole. J’espère en tout cas que nous aurons l’occasion de replacer ces grands enjeux dans le débat agricole à venir. (M. Nicolas Sansu applaudit.)