Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur le thème « Les conséquences des bouleversements menés par le Gouvernement en matière éducative »

DISCUSSION GENERALE

Depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron à la tête de notre pays, force est de constater que le malaise grandit parmi les enseignants et les personnels de l’éducation nationale. De nombreuses réformes ont été mises en œuvre – instauration de Parcoursup, réforme du baccalauréat puis du lycée professionnel –, de sorte qu’en sept ans, le ministère de l’éducation nationale est devenu une forme de laboratoire de politiques publiques que l’on peut qualifier de délétères.

Le manque de moyens est criant, au point que certains parents qui en ont la possibilité font le choix de se tourner, par dépit, vers des établissements scolaires privés. Mais finalement, n’est-ce pas là le but recherché implicitement : détricoter l’école publique et l’égalité des chances pour favoriser les établissements privés où règnent l’entre-soi et la reproduction des élites ? À la vue des réformes engagées, nous pouvons légitimement nous poser la question.

La réforme du baccalauréat, censée supprimer toute hiérarchie entre les trois filières générales, n’a fait que les recréer au travers d’options et d’un tronc commun amputé des mathématiques. L’application de cette réforme a représenté un véritable casse-tête pour les établissements et a contribué à fragiliser un peu plus ce diplôme national. Parallèlement, l’instauration de Parcoursup, avec son fonctionnement opaque et sa logique de sélection accrue, est devenue pour les élèves et leurs parents une véritable source d’angoisse.

Car loin d’être la passerelle entre le lycée et les études supérieures, ses algorithmes brisent chaque année les voeux d’orientation de milliers d’élèves qui n’obtiennent pas de place dans la filière escomptée. Face à ce système qui broie les élèves, les formations privées et les boîtes de conseil se frottent les mains en surfant sur l’angoisse des parents et des élèves, pour qui obtenir le v ?u souhaité sur Parcoursup devient un véritable défi.

Plus récemment, le Gouvernement a fait le choix de réformer le lycée professionnel sans discussion avec le Parlement et sans réelle concertation avec les syndicats. C’est l’énième passage en force d’un gouvernement qui s’accommode peu du dialogue.

Le pacte enseignant, qui n’a de pacte que le nom, est un autre exemple frappant de cette manière de faire la loi au détriment du consensus. Plutôt que de revaloriser le salaire des enseignants dont le point d’indice a été gelé durant plusieurs années, le Gouvernement a préféré créer une nouvelle indemnité conditionnée à la réalisation d’heures supplémentaires. Cette mesure démontre un certain mépris du ministère envers les enseignantes et les enseignants, car elle laisse entendre qu’ils ne travaillent pas assez et que leur mission pourtant essentielle ne mérite pas d’être tout simplement rémunérée à sa juste valeur. Le signe le plus récent de mépris est venu la semaine dernière, lorsque le ministère a annoncé renoncer à rémunérer les heures supplémentaires effectives (HSE) réalisées par les enseignants, les sacrifiant sur l’autel des sacro-saintes économies réclamées par Bercy.

Vous êtes heureusement revenue sur cette décision, madame la ministre, après le tollé qu’elle a suscité.
Face à ces nombreux reculs, nous avons plusieurs propositions à formuler. Elles consistent par exemple à inscrire dans les budgets les cinquante-quatre heures annuelles dédiées à l’orientation des lycéens, prévues dans la réforme Blanquer et qui n’ont jamais vu le jour ; à anonymiser le lycée et l’adresse de chaque candidat sur Parcoursup (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et SOC), car les arguments que nous avons avancés en faveur de l’anonymisation des CV s’appliquent aussi bien à Parcoursup ; à rendre les algorithmes publics ou encore à revenir sur la réforme du lycée professionnel, qui ne forme désormais qu’à la tâche au lieu de former des travailleurs citoyens qualifiés.

Par ailleurs, si nous sommes favorables à l’augmentation du temps de scolarisation des élèves, nous estimons que ce dispositif doit s’adapter en fonction du degré scolaire et qu’il doit s’accompagner d’une hausse du recrutement des enseignants et d’une revalorisation salariale. Enfin nous ne souhaitons pas le restreindre aux élèves des quartiers prioritaires et des REP, comme le prévoit le Gouvernement, mais garantir qu’il s’applique à tous les élèves.

Madame la ministre, il y a urgence à renouer le lien de confiance entre les personnels de l’éducation nationale, les parents d’élèves, les élèves eux-mêmes et votre ministère. Cela ne pourra se faire que par le dialogue, par la recherche du consensus et en tirant les leçons des réformes engagées par vos prédécesseurs ainsi que de leurs méthodes. Les parents d’élèves, les enseignants et les élèves vous attendent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – M. Rodrigo Arenas applaudit également.)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

L’école, vous l’avez tous dit directement ou indirectement, est le reflet de notre société. C’est aussi le réceptacle de toutes ses dynamiques et de tous ses changements. C’est pourquoi elle doit constamment s’adapter pour rester en phase avec une réalité en perpétuelle évolution. Toutefois, si ces adaptations sont nécessaires, notre cap, lui, demeure : il repose sur la nécessité de faire progresser tous les élèves, partout sur le territoire, en ne laissant personne sur le bord du chemin. C’est cet objectif qui guide mon action au quotidien et qui a guidé l’action du gouvernement depuis 2017.

Il est vrai que des enquêtes nationales et internationales ont montré que le niveau des élèves n’était pas toujours à la hauteur de nos attentes et de nos investissements, et que nous devions nous améliorer sans cesse sur ce point. C’est pourquoi, depuis 2017, la majorité a entrepris de réformer en profondeur notre système éducatif à tous les niveaux. Je reviendrai sur ces réformes dans quelques instants ; je les inclus dans ma propre feuille de route, que je souhaite vous présenter ici. Je remercie d’ailleurs le groupe Écologiste de nous donner l’occasion d’échanger à ce propos, même à une heure un peu tardive.
Je commencerai par revenir sur les réformes qui concernent les plus âgés de nos élèves : les lycéens. Depuis 2017, nous avons non seulement réformé, mais également guidé la transformation sociale de demain. Je reprends ici la pensée de Ferdinand Buisson, pour qui ce sont les réformes scolaires qui forment les générations capables de penser et d’agir en vue d’une véritable transformation sociale.
La réforme du lycée général qui a débuté en 2018 a acté une volonté très ancienne de briser la cage de fer des filières au profit d’un choix libre d’options. Elle permet ainsi de favoriser l’autonomie des élèves et de lutter contre la cristallisation de choix sociaux qui étaient très fréquents, par exemple, dans la filière S. Elle a également permis de donner plus de poids au contrôle continu et de renforcer l’importance de l’oral lors des épreuves terminales. Elle assure ainsi une meilleure adéquation entre les enseignements du lycée et les attendus de l’enseignement supérieur. Tels sont les objectifs généraux de cette réforme.
Quant à la réforme du lycée professionnel, elle vise une meilleure attractivité de la voie professionnelle, une orientation plus progressive et un accompagnement renforcé de l’élève. Cela importe au plus haut point, tant pour l’avenir de nos jeunes que pour l’attractivité du monde économique. Le baccalauréat professionnel offre ainsi depuis la rentrée 2019 des parcours progressifs sur trois ans, pouvant mener soit à une poursuite d’études soit à une insertion professionnelle. Depuis la rentrée 2023, la nouvelle phase de la réforme nous permet de mieux accompagner chaque lycéen professionnel, de lutter contre le décrochage et de proposer au lycée professionnel un parcours attractif grâce à une offre et une carte de formations renovées et mieux orientées vers des métiers d’avenir. Tous les lycéens professionnels bénéficient en outre d’une gratification pour les périodes de formation effectuées en milieu professionnel. En tout, pas moins de 1 milliard d’euros sera investi en 2024 pour transformer la voie professionnelle.
Je tiens à évoquer ensuite les réformes qui concernent les plus jeunes de nos élèves, scolarisés dès 3 ans à l’école maternelle, puis à l’école primaire.
Comme vous l’avez rappelé, nous avons proposé une mesure forte : l’obligation de scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans. Prévue par la loi de 2019 pour une école de la confiance, elle constitue un aspect essentiel de la priorité donnée à l’école maternelle et primaire dans le cadre de la refondation de l’école.
Lorsqu’elle correspond à ses besoins et se déroule dans des conditions adaptées, la scolarisation d’un enfant avant ses 3 ans représente une chance pour lui et pour sa famille. C’est ce à quoi nous avons travaillé, en collaborant pleinement avec les collectivités territoriales concernées. En effet, l’entrée à l’école maternelle constitue la première étape de la scolarité et, pour beaucoup d’enfants, la première expérience de la sociabilité ; il s’agit donc d’un moyen efficace de favoriser la réussite scolaire – je rappelle que c’est là notre priorité –, en particulier lorsque, pour des raisons sociales, culturelles, éducatives ou linguistiques, la famille est éloignée de la culture scolaire. Il convient d’ailleurs de rappeler qu’un effort supplémentaire a été effectué pour favoriser la scolarisation des enfants dès l’âge de 2 ans en éducation prioritaire, tant l’acquisition précoce du langage est vecteur d’une socialisation réussie.
Sans m’attarder sur les mesures prises depuis 2017 pour l’école primaire, car vous avez été plusieurs à les évoquer, je me bornerai à rappeler que nous avons favorisé le dédoublement progressif des classes de grande section, de CP et de CE1 en éducation prioritaire, le plafonnement à vingt-quatre élèves de l’effectif des classes hors éducation prioritaire et l’instauration de plans de formation en français et en mathématiques pour tous les enseignants. Nous sommes assez fiers de ces mesures et de leur impact positif pour les enfants et pour la société en général.

Entre l’école primaire et le lycée, le Gouvernement n’oublie pas la place très importante du collège dans l’apprentissage des élèves. C’est pourquoi je souhaite dire un mot de la réforme en cours de déploiement que certains d’entre vous ont évoquée : je veux bien entendu parler du choc des savoirs. Il s’agit d’un plan d’ensemble aux mesures nombreuses et complémentaires, telles que la réécriture des programmes ou la refonte du brevet, destinées à apporter des réponses aux fragilités des élèves. Leur déploiement progressif nous permettra d’en apprécier les effets.

La création de groupes de besoins en français et en mathématiques en sixième et en cinquième repose sur quatre principes. Un objectif : faire progresser tous les élèves ; un moyen : l’instauration d’une pédagogie différenciée adaptée aux besoins des élèves ; un refus, sur lequel j’insiste : celui du tri social ; une exigence : le respect de l’autonomie des établissements, qui suppose d’appliquer ces mesures avec souplesse. Nous nous appuierons sur les équipes pédagogiques en qui nous avons pleinement confiance pour assurer la réussite du dispositif. Elles seront ainsi chargées, selon la progression pédagogique retenue, d’identifier les besoins propres à chaque élève. C’est sur cette base qu’elles constitueront les groupes, au plus près de la réalité des besoins des élèves.

Je viens de le rappeler : je suis opposée à toute assignation des élèves. Notre système éducatif doit non seulement viser l’autonomie par rapport à la structure des positions sociales mais également se donner les moyens de corriger les effets les plus flagrants des inégalités sociales et scolaires.

C’est pourquoi, vous le savez, j’ai souhaité organiser des moments de brassages des groupes, par exemple lors du retour en classe de référence. Il est important que l’application de cette mesure prenne en considération les spécificités de chaque établissement – je m’y emploie.

L’ensemble de ces réformes commencent à porter leurs fruits. École, collège, lycée ont connu des évolutions importantes, que j’ai rappelées brièvement. Les premiers résultats dont nous disposons montrent le bien-fondé de la politique menée : on observe, grâce aux évaluations publiées récemment, que la classe de cours préparatoire permet de faire progresser tous les élèves dans les apprentissages fondamentaux, de rattraper le retard pris à l’entrée au CP par certains élèves et de réduire significativement les écarts observés en éducation prioritaire en début d’année, particulièrement en mathématiques.

Bien sûr, il demeure des points fragiles, notamment dans le domaine de la compréhension des textes pour laquelle la corrélation entre les performances des élèves et le milieu social demeure forte, mais nous devons avoir à l’esprit l’évolution favorable, qui confirme la justesse de l’action du ministère depuis 2017.

Permettez-moi de vous présenter brièvement la feuille de route que je souhaite suivre. Dans la lignée des succès déjà obtenus depuis 2017 et des réformes en cours de déploiement, je souhaite continuer à agir pour la réussite et le bien-être des élèves, afin que l’école change leur vie. Je me suis fixé quatre lignes directrices.

Premièrement, nous mettons tout en œuvre pour faire progresser les élèves et redonner à l’école son rôle d’ascenseur social.

La réussite est notre ambition collective, une ambition que nous partageons tous. C’est une priorité nationale pour le Président de la République, pour le Premier ministre et bien entendu pour moi-même. La mission première de l’école, qui est de former, doit se conjuguer avec son rôle de promotion de l’égalité dans les occasions d’apprentissages et de développement, en travaillant à la fois sur les procédures d’évaluation, sur l’orientation et sur la pédagogie différenciée, pour une plus grande égalité des chances, que je m’emploierai à promouvoir.

Deuxièmement, nous accompagnons les enseignants et les membres de la communauté éducative, dont le travail quotidien au service des élèves est remarquable et doit être salué comme tel, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont fait.

Les personnels sont désormais lassés du temps de l’urgence, de l’application souvent précipitée des réformes. Ils ont besoin de temps et d’espace pour faire leur travail, ainsi que de sécurité – j’ai dit à de multiples reprises à quel point je compte entourer l’école d’un bouclier de protection.

Cet accompagnement doit également passer par un renouveau de la formation initiale, que le Président de la République a récemment annoncé, pour améliorer l’attractivité, avec un modèle de recrutement à bac + 3 suivi d’un master professionnalisant, ainsi que par un travail important sur la formation continue. C’est le chantier ambitieux que nous avons lancé avec le Président de la République et que je mène dès à présent. Le besoin de restaurer l’attractivité du métier et le bien-être des enseignants dans notre école le rend indispensable.

M. Jean-Paul Lecoq

Il y a aussi les salaires !

Mme Nicole Belloubet, ministre

Il est vrai que le salaire est un point important mais, comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, des efforts considérables ont été consentis depuis 2017.

M. Jean-Paul Lecoq

N’hésitez pas à répéter que vous allez augmenter les salaires !

Mme Nicole Belloubet, Ministre

Troisièmement, nous refusons toute assignation au sein de l’école, en assumant la diversité des élèves et des territoires.

Restaurer l’égalité des chances passe d’abord par une politique volontariste de mixité en assurant l’accueil et le suivi des élèves dans les établissements d’affectation. Le lien avec l’enseignement privé fera l’objet d’un suivi attentif en ce qui concerne aussi bien l’allocation des moyens que le contrôle des obligations qui découlent du contrat qui les lie avec l’État ou que le respect des exigences de mixité qui incombent, aux termes du premier article du code de l’éducation, tant aux établissements publics qu’aux établissements privés. Dans un autre domaine, la prise en considération de la ruralité exige, pour les élèves qui y vivent, des mesures spécifiques et adaptées, auxquelles je veillerai.

Quatrièmement, je me donne pour objectif de promouvoir l’école de l’avenir pour tous nos élèves. L’école du futur devra assurer le bien-être – j’insiste sur ce terme – des élèves comme des personnels de l’éducation nationale, pour garantir les meilleures conditions de transmission des savoirs.

À titre d’exemple, pour garantir le bien-être des élèves, nous avons instauré des petits-déjeuners gratuits, mais aussi des repas à 1 euro à la cantine, ou encore des aides aux devoirs qui ont bénéficié à un tiers des collégiens au cours des années récentes. Nous instaurerons également l’accueil en internat sans reste à charge. Nous sommes par ailleurs en lien étroit avec toutes les collectivités territoriales pour améliorer la situation du bâti scolaire tant du point de vue de la sécurité que de l’aspect physique.

Travailler sur l’intégration des enjeux environnementaux ou numériques me paraît indispensable pour permettre aux élèves de s’y adapter.

Dans cette démarche, nous nous félicitions du succès du Conseil national de la refondation (CNR) lancée par le Président de la République, qui repose sur une méthode de dialogue et d’action pour construire, au plus près des acteurs de l’école, des solutions concrètes sur les grandes transformations à venir au sein même de l’école. L’intérêt de ce travail en profondeur est de laisser place aux initiatives pédagogiques locales, auxquelles je suis très attachée.

Nous avons donc mené à bien plusieurs réformes depuis 2017. Il reste beaucoup à faire dans des domaines que je n’ai pas le temps d’aborder tous dans ce propos liminaire, mais que vous avez évoqués. Il faudra donc continuer à agir – c’est certain – notamment autour de la question du temps scolaire, celui des élèves, des familles, des professeurs, pour que ces temps correspondent mieux aux enjeux de notre époque. Nous le ferons toujours avec un seul objectif en tête : faire progresser tous les élèves et refuser toute assignation sociale.

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